Du christianisme à l’hindouisme, la philosophe Catherine Clément scrute les extases des fous de Dieu, entre orgasme et haine de soi.
Catherine de Sienne (1746), par Tiepolo. |
Écrit par Elisabeth Roudinesco
Passionnée par la vie des dieux, des déesses et de leurs serviteurs – gourous, chamans, ascètes, messies, etc. –, Catherine Clément analyse dans cet ouvrage les pratiques érotiques de quelques grands mystiques, avec pour fil conducteur cette sentence du rabbi Israël Baal Shem Tov (1698-1760), fondateur du judaïsme hassidique : « La prière est un coït avec la présence divine. » Du judaïsme à l’islam, en passant par le christianisme et l’hindouisme, elle relate des récits d’extases qui montrent que faire l’amour avec Dieu, c’est s’anéantir en lui afin de réussir à jouir de l’horreur de soi-même. Autant dire qu’il s’agit, pour ces fous de dieu, d’une pulsion destructrice à l’état pur.
Extases et mortifications
La vie de Catherine de Sienne (1347-1380), sainte chrétienne canonisée en 1461, en est l’illustration. En rébellion contre sa famille, elle refuse dès son jeune âge tous les attributs de la féminité. Elle se mutile, pratique le jeûne et se plaît à être défigurée par la petite vérole afin de s’enlaidir. Après être entrée en religion chez les sœurs de la pénitence de saint Dominique, elle cultive extases et mortifications jusqu’à se convaincre que Jésus l’a prise pour amante : « Puisque par amour pour moi, tu as renoncé à tous les plaisirs, lui dit-il, j’ai résolu de t’épouser dans la foi et de célébrer solennellement mes noces avec toi. »
Jésus lui donne un anneau invisible, elle suce ses plaies et mange le pus des seins d’une cancéreuse. Pour la récompenser, il lui offre son sang dont elle se délecte en éprouvant une folle jouissance : « Mon âme a pu alors satisfaire son désir, se cacher dans sa poitrine et y trouver des douceurs célestes. » Ainsi couche-t-elle avec Dieu par l’intermédiaire de ce liquide qui lui traverse le corps à la manière d’un sperme.
Dès sa jeunesse, le plus grand mystique indien du XIXe siècle, le Bengali Ramakrishna (1836-1886), toujours habillé en femme, connaît des expériences extatiques qui lui procurent d’indicibles plaisirs. Adorateur de la terrible déesse Kali, qui porte sur sa poitrine une guirlande de crânes et dont la langue rouge s’allonge en dehors de la cavité buccale, il est recruté comme prêtre et se met en tête de la séduire. Rien ne le rebute et surtout pas les multiples bras de cette amante rêvée qui s’agitent à chaque transe frénétique en jetant sur l’univers des imprécations mortifères. Quand enfin il croit pouvoir l’étreindre,...
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