sexta-feira, 26 de julho de 2024

Faut-il vraiment supprimer les noms de plantes jugés racistes?

Dovyalis caffra, un pommier originaire d'Afrique australe, va être rebaptisé Dovyalis affra. Et c'est une petite révolution. |

 

Écrit par Alban Leduc — édité par Louis Pillot

Dovyalis caffra, un pommier originaire d'Afrique australe, devra officiellement changer de nom. Cela ne va sûrement pas bouleverser votre vie mais, dans le milieu de la botanique, c'est une petite révolution. Réunis en congrès international à Madrid, les représentants de la discipline ont voté le 18 juillet la disparition du terme «caffra» dans les noms des plantes, champignons et algues du monde entier.

 

Le mot a désigné, pour les colonisateurs européens, les populations du sud de l'Afrique en opposition aux «vrais nègres» depuis le début du XVIe siècle. Un terme aujourd'hui considéré comme raciste et offensant, à tel point qu'on a interdit son usage en Afrique du Sud. Pour gommer cet héritage, les quelque 300 plantes nommées ainsi seront corrigées en «afra», pour mieux refléter l'origine africaine des espèces. Une première historique pour tenter d'amorcer une décolonisation de la science, qui évite généralement le changement.  

 

Un processus qui n'a presque jamais évolué  

 

C'est «une sorte de face négative du wokisme», regrette Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), pour qui «on s'achète là une bonne conscience sur de vrais problèmes qu'on ne gère pas en profondeur». Totalement absentes des débats lors de la dernière convention de nomenclature en 2017, les critiques sur la botanique ont depuis largement émergé.

De plus en plus de scientifiques des pays des Suds pointent du doigt la mainmise encore forte des Occidentaux. Sur les 150 personnes présentes pour voter les changements du code à Madrid, les porte-paroles des grandes institutions comme le MNHN de Paris ou le New York Botanical Garden conservent par exemple le plus de voix.

Depuis près de trois siècles, les règles de nomination des espèces naturelles conçues par les Européens n'ont ainsi presque jamais varié. On renseigne d'abord le nom de genre en latin, soit le groupe qui partage des caractéristiques communes, comme «dovyalis» pour le pommier Kau. Puis la personne qui découvre cette espèce est libre d'inscrire une épithète spécifique, à la seule condition qu'elle n'existe pas encore: «caffra», par exemple. Le tout est écrit en italique, suivi du nom de l'auteur et parfois de la date de découverte.

 

Ces règles simples donnent lieu à des noms étranges, comme l'insecte Scaptia Plinthina beyonceae, en référence à la chanteuse américaine de R'n'B, ou le papillon Neopalpa donaldtrump, aux écailles proches de la coiffure de l'ex-président américain. «Il y a quand même des règles de savoir-vivre: vous n'allez pas insulter vos voisins, c'est peut-être bien de le rappeler en principe», précise Marc-André Selosse.

 

Après les statues, la botanique?

 

Oui, mais voilà: cette liberté a aussi permis la nomination de nombreuses espèces en référence à des termes offensants ou à des personnes controversées. George Hibbert, un membre du lobby proesclavagiste de Grande-Bretagne, qui donne son nom à plusieurs plantes, est par exemple sous le feu des critiques.

 

«Qu'il ait été un riche patron de la botanique (ses richesses provenant en grande partie de l'esclavage) ne peut pas éclipser ses attitudes, qui même à l'époque étaient largement considérées comme offensantes», écrivaient les chercheurs australiens Timothy Hammer et Kevin Thiele dans une proposition d'amendement en 2021. Pour ne pas froisser les descendants d'esclaves, ils suggéraient de modifier les dénominations qui l'honorent toujours.

 

«Il ne faut pas faire sur-parler les noms, répond Marc-André Selosse. Le problème n'est pas de les figer dans le marbre. Il y a des noms de genre qui disparaissent, d'autres qu'on fait évoluer. Mais il faut que l'étiquette reflète une position exacte et pour des questions pratiques, il faut qu'elle change le moins possible.» Ouvrir la possibilité de refuser ou de modifier la dénomination entraînerait un certain flou, jugent ainsi certains botanistes.

Avec la modification du mot «caffra», il risque d'y avoir au moins un cas de doublon. Un plantain sud-africain nommé «Plantago afra» se retrouverait avec la même appellation qu'une autre espèce de Méditerranée, et devrait alors utiliser un nom actuellement considéré comme un synonyme. Compliqué pour les botanistes, où tout doit entrer dans une case précise.

Entre considérations techniques et implications morales, les débats ont duré des heures au congrès de Madrid. Après un vote serré, il a finalement été décidé de créer une instance de réflexion sur les noms offensants pour la prochaine rencontre dans sept ans, ainsi que la possibilité de refuser de nouvelles dénominations controversées à partir du 1er janvier 2026.

Des changements surtout symboliques

Présent sur place et ayant pris part aux discussions, le botaniste Valéry Malécot fait les comptes. «Créer un comité spécialisé n'est pas vraiment un marqueur fort. On en a déjà beaucoup qui sont missionnés sur des thématiques entre deux congrès et sur 5.000 nouveaux noms proposés chaque année, il devrait n'y avoir que très peu de contestations.»

L'enseignant-chercheur à l'Institut agro Rennes-Angers évoque plutôt l'ouverture d'une «fenêtre d'Overton», avec une plus grande «perméabilité entre une science réputée neutre et une société civile qui peut être réticente à certaines pratiques». Il raconte ainsi avoir eu d'importantes discussions avec ses collègues et ses pairs avant de déterminer sa position, qu'il souhaite garder secrète.

«Le problème, c'est d'effacer l'histoire: si on efface les traces des réflexes sexistes et racistes, ça peut être difficile de montrer ce qu'on doit éviter.»

Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN)

 

Même constat pour Marc-André Selosse, qui a même envoyé un mail à l'auteur de l'amendement décolonial pour contester ses observations à quelques jours du vote. «Juger des connotations des mots peut nécessiter des connaissances qu'un groupe de taxonomistes risque de ne pas posséder», a-t-il écrit. Derrière cette évolution significative de la discipline, le chercheur voit en effet «une sorte d'arrogance culturelle occidentale, si ce n'est anglo-saxonne».

En prenant l'exemple du terme «caffra», il considère que la décision scientifique s'est fondée sur son acception anglaise, quand elle renvoie, selon lui, à la géographie dans la langue française. «Un mot a des sens différents selon les langues, mais l'anglais risque de devenir la référence», s'inquiète le spécialiste en botanique et mycologie.

Une imposture selon lui, alors que dans une précédente controverse, les Australiens avaient été accusés de néocolonialisme, en «volant» le genre «acacia» aux Africains. Comme les deux familles coïncidaient à des endroits différents, il a fallu trancher pour n'en garder qu'une. Malgré son inscription plus ancienne en Afrique, c'est finalement la catégorie australienne qui a prévalu.

Une discipline hétéronormée et xénophobe?

À l'instar des statues déboulonnées ou des noms de rues rebaptisées, Marc-André Selosse suggère d'expliquer les implications de chaque dénomination, plutôt que de les supprimer. «Le problème, c'est d'effacer l'histoire: si on efface les traces des réflexes sexistes et racistes, ça peut être difficile de montrer ce qu'on doit éviter. Et cela résonne fort aujourd'hui avec l'actualité…»

Au-delà des nominations, le chercheur propose ainsi d'allouer plus de ressources à la recherche internationale pour que les botanistes du monde entier, et non pas que les Occidentaux, puissent se déplacer et nommer de nouvelles plantes.

De plus en plus de disciplines se penchent sur les pratiques datées de la botanique. L'historienne Hélène Blais invite par exemple le public à analyser l'héritage colonial des jardins des plantes, et la botaniste indienne Banu Subramaniam appelle à abandonner nos biais hétérosexuels dans l'observation de la nature, ainsi qu'à adopter un nouveau regard sur les plantes exotiques envahissantes, l'actuel favorisant la xénophobie. Du langage à l'étude des plantes, un rappel important que tout est éminemment politique.


[Photo : SAplants via Wikimedia Commons - source : www.slate.fr]

 

quarta-feira, 24 de julho de 2024

La palabra carne

Ahí está el riesgo: que un gran avance técnico no beneficie a las multitudes que lo necesitan sino a una junta de accionistas 


Escrito por MARTÍN CAPARRÓS
 

La carne es carne es carne, carne de su carne: la palabra carne suena tan concreta, tan precisa y, sin embargo, es probable que en pocas décadas signifique otra cosa. Lo sabemos: las palabras dicen cosas distintas a medida que las cosas son distintas. Un villano era cualquier vecino de una ciudad o villa y ahora es el malo de la película; una corriente eran aguas turbulentas y ahora es electricidad; un ratón nos daba asco y ahora lo toqueteamos todo el tiempo. A la palabra carne pronto le pasará lo mismo: dejará de ser un trozo de animal para ser uno de inteligencia humana.

 

De carne somos y carne comemos y, hasta ahora, cualquier bocado cárnico era el producto del sacrificio de una bestia, carne débil. Nos parece difícil pensarlo de otro modo y, sin embargo, ya es hora de empezar: pronto la muerte dejará de ser la condición para comerse un buen asado.

 

Willem van Eelen, un joven holandés, no sabía qué sería de su vida cuando el ejército nipón lo encerró cinco años en un campo, prisionero de guerra en Indonesia. Allí, hambre y más hambre, se le ocurrió la idea; tras la paz estudió Medicina y pasó décadas buscando cómo hacerlo hasta que, hacia 1990, los avances en las técnicas de clonación —y la llamada “ingeniería de tejidos”— se rindieron a sus fantasías: células madre de diversos bichos, alimentadas con las proteínas adecuadas en un medio propicio, podrían reproducirse infinitamente y crear verdadera carne de animal sin animal.

 

En 2013 Van Eelen se dio el gusto: sus discípulos presentaron en Londres la primera hamburguesa de carne cultivada. Pesaba un cuarto de libra y costaba un cuarto de millón de libras —pagados por Sergei Brin, el dueño de Google— pero los catadores dijeron que sabía a carne verdadera. Solo faltaba encontrar las formas de fabricarla a bajo precio: en Estados Unidos, Europa, Corea, Israel, hay laboratorios que ya lo están consiguiendo y dicen que pronto se venderá en supermercados. Mientras, todos ellos discuten por su nombre.

 

Nunca una sola cosa tuvo tantos. La palabra carne está en todos, y después viene otra: carne humanista, carne de laboratorio, carne saludable, carne inanimal, carne artificial, carne in vitro, carne sintética. Hace cuatro o cinco años parecía que “carne limpia” ganaría la carrera, pero ahora los científicos y empresarios involucrados prefieren hablar de “carne cultivada”. Quizá no piensen que nuestros nietos la llamarán carne a secas.

 

La nueva carne es carne —de vaca, pollo, oveja— y dicen que tiene gusto a vaca, pollo, oveja. Hasta ahora solo fue legalizada en Singapur, pero en otros países falta poco —salvo en Italia, donde el Gobierno de extrema derecha la prohibió hace meses. Cuando sea autorizada por las agencias correspondientes y empiece a venderse será el principio de una revolución sólo comparable al invento de la agricultura. Entonces los hombres descubrieron cómo hacer que la naturaleza les obedeciera; ahora descubrimos que ya no necesitaremos a la naturaleza. Y los efectos son incalculables: todas esas tierras que se usan para criar ganado quedarán libres para el cultivo o, incluso, para oxigenar el planeta. El efecto invernadero cederá y, sobre todo, ese 70% de la agricultura que se usa para engordar vacas y cerdos se podrá destinar a los humanos y terminar de una vez por todas con el hambre.

La carrera está lanzada: los laboratorios que la protagonizan suelen ser start-ups que consiguen inversores de esos que entran en proyectos más o menos delirantes para perder un millón o ganar miles. Ahí está el riesgo: que un gran avance técnico no beneficie a las multitudes que lo necesitan sino a una junta de accionistas. Ahora, mientras todo está por verse, los Estados y sus organismos internacionales tendrían la ocasión de cambiar el modelo: de decidir que serán ellos los que desarrollen la nueva comida para que no sea propiedad de unos pocos sino patrimonio de todos; para que no le sirva a una corporación sino a la humanidad. Sería una gran oportunidad —una oportunidad única— para acabar con esos mecanismos que hacen que cientos de millones de personas no coman suficiente. Parecen grandes palabras; quizá sea, también, un gran proyecto. El invento, por fin, de la famosa carne viva.

 

[Foto: AMAX PHOTO (GETTY IMAGES) - fuente: www.elpais.com]