L’histoire d’un jeune fugueur enrôlé comme associé d’un épicier peu recommandable. Un récit drôle qui met en évidence le courage des «petites gens» pour (sur)vivre. À découvrir en Poche depuis fin août.
É
Bédo. Boulot. Stylo. Ainsi pourrait-on résumer le quotidien du héros de La Sainte Touche, le premier roman de Djamel Cherigui. Ce néophyte des lettres, épicier à Roubaix, retrace les déboires d’un jeune homme, ayant fui sa famille, aux prises avec ses obsessions: l’écriture, les drogues (alcool et cannabis) et la survie. C’est sa rencontre avec Alain Basile, patron de l’épicerie La Belle Saison, qui bouleversera son existence et lui permettra de se reprendre en mains.
Précisons. En plus de son travail à l’épicerie, Alain Basile est entrepreneur dans un «bizness» pas très légal pour gagner un paquet d’argent: il livre des colis de drogue à des trafiquants ou consommateurs, arnaque les locataires de son immeuble… Et trouve en la personne de ce jeune homme, qu’il surnomme «l’artiste», un bon associé pour faire le sale boulot à sa place. Alain Basile, c’est un peu la figure paternelle de substitution du personnage principal. Un dur à cuire qui connaît «la vraie vie», la dure, celle des gens qui se battent tous les jours, et qui tente d’initier son protégé à «la loi de la jungle». De la poésie, de la littérature ou du farniente, Alain Basile n’en a cure. Lui, ce qui le passionne, ce sont les chiffres. «Faire de l’oseille», comme on dit dans le jargon. Il n’aime pas les branleurs, les assistés et les impôts…
«Tu sais c’est quoi le problème dans notre société? Je vais te l’dire moi (il se répondait à lui-même): la bactérie, le virus, j’irais même jusqu’à dire le cancer… oui, c’est ça, le cancer de notre société… c’est le défaitisme! Oui, voilà, bordel de merde! Le défaitisme! Les gens subissent un échec, accusent un contrecoup, endurent une petite déconvenue, et ça y est, c’est le drame, y’a plus personne, ils se couchent, s’allongent, ils baissent les bras.»
La débrouille contre le défaitisme
L’histoire, qui se déroule dans une ville française proche de la Belgique (Roubaix?), développe un sujet classique: la naissance d’un écrivain qui, après bien des galères, écrit le livre que l’on tient entre les mains. Classique, simple, efficace. Le scénario n’est pas des plus novateurs, mais ça marche. Pourquoi? On s’identifie à ce jeune paumé qui, au fond, n’a pas eu de chance (et n’a pas cherché à la saisir). Ayant fugué du domicile familial, le héros doit apprendre l’art de la débrouille par ses propres moyens. Du récit comique et déjanté, La Sainte Touche se révèle roman d’apprentissage.
Patron de l’épicerie Le Parvis de Roubaix, Djamel Cherigui dresse un portrait de quelques individus déclassés dans cette «France périphérique», selon l’expression du géographe Christophe Guilluy. La France des villes moyennes et des banlieues oubliées par les métropoles et la mondialisation. Cette France peuplée d’individus qui rêvent d’une vie meilleure et qui ont recours à toutes les astuces, notamment au système D, pour s’en sortir. À ce sujet, le titre du récit s’avère éclairant: la «Sainte Touche» désigne le jour des allocations. La bonne aide qui tombe, chaque mois et le même jour, de la part de l’État pour que des dizaines de personnes puissent vivre.
La dure réalité
Sous ses airs de légèreté, l’histoire aborde en filigrane la question de la disparition des petits commerces, assaillis par les factures, les normes et les taxes, lorsque le propriétaire de La Belle Saison reçoit un grand nombre de courriers administratifs l’obligeant à fermer son épicerie. Une réalité à laquelle sont confrontés moult magasins locaux et que l’auteur, lui-même gérant d’un établissement, a choisi de mettre en lumière dans son ouvrage.
«Le fait est que les temps changeaient: les petits proprios dans le genre d’Alain passaient tous à la trappe. L’État ne voulait plus du sous-entreprenariat. Seuls les gros poissons étaient à même de résister, ceux qui avaient le coffre assez solide, des fonds de roulement suffisamment costauds. Les autres n’avaient plus qu’à dégager, à fermer la boutique, illico presto… La vie, c’est comme un tournoi de foot, c’est souvent les petits qui sautent en premier.»
Par son usage de l’argot et son récit suivant les traces des outsiders de la société, La Sainte Touche rappelle les romans de Johann Zarca (Paname Underground) et de Bukowski (Le Postier), mais dans un style plus épuré. L’auteur (et ses personnages) emploie une langue avec des tournures oralisées et constellée de langue des banlieues, ce qui donne corps à l’histoire et apporte d’ailleurs quelques situations comiques. Un des moments les plus drôles du récit prend place lorsque «l’artiste» essaie d’expliquer à Alain Basile qu’il écrit des aphorismes, que ce dernier prononce «aforizsmes»…
«Il a froissé le post-it, et l’a jeté sur le balatum crasseux.
– Ça veut dire quoi cette daube? J’ai rien capté!
Je ne pouvais pas trop le contredire… C’était effectivement de la daube. On s’en rend toujours mieux compte quand c’est lu de vive voix.
C’est un aphorisme… j’lui ai répondu.
Un aforizme?
Une idée philosophique énoncée avec style.
Et ça sert à quoi?
À rien.»
Le duo formé par «l’artiste» et Alain Basile est, à bien des égards, attachant. Leurs visions du monde, diamétralement opposées, exigent du lecteur une réflexion: que privilégier et dans quelle situation? L’oseille? La liberté?… À défaut de se comprendre, ces deux personnages, issus de deux milieux différents, s’avèrent capables de collaborer et de magouiller ensemble. Une manière pour l’auteur de donner corps et de concilier, le temps d’un récit, ses deux facettes: celles d’épicier et d’écrivain.
[Image: une épicerie fermée à Saint-Maurice-de-Beynost (2012) - Benoît Prieur / Wikimedia CC0 - source : www.leregardlibre.com]
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