De là à se passer du goût, de l'odorat et de la vue des spécialistes humains?
«L'œil est net, jeune, attrayant. Si le boisé vanillé a les coudées franches, l'amande et la noisette ne doivent rien au fût. D'une rondeur sans excès, c'est un 2003 préférant —on lui en sait gré— la finesse à la puissance. Il n'a pas pris de coup de soleil et son harmonie générale se situe dans la bonne moyenne. On le croit assez subtil et équilibré pour atteindre trois à quatre ans.»
Si ce genre de critique vous émoustille, c'est sans doute que vous aimez autant les mots que le vin. Mais prenez garde, explique Scientific American: il n'est désormais plus certain que ce type de texte ait bel et bien été rédigé par un être humain.
Le site reprend des résultats publiés dans l'International Journal of Research in Marketing par une équipe scientifique américaine, qui a développé une intelligence artificielle capable d'analyser un vin (ou une bière) et d'en tirer une description plus vraie que nature.
L'objectif annoncé est de travailler en «complémentarité avec les humains pour les critiques en ligne», c'est-à-dire d'aider les professionnels du vin et de la bière à produire sans effort des textes de présentation de leurs breuvages, ou de donner aux humains des modèles de textes sur lesquels se baser. L'équipe de recherche affirme d'ailleurs que d'autres types de produits, comme le café ou les voitures, pourraient également faire l'objet d'une telle initiative.
Cette intelligence artificielle développée selon le principe du machine learning –on lui a fait ingurgiter 125.000 critiques de vins et 143.000 critiques de bières– semble capable de produire des textes semblables en tout point à ceux écrits par les humains, lesquels deviendraient alors strictement inutiles. Des tests ont en effet montré qu'il était quasiment impossible de distinguer les critiques rédigées par cette IA de celles qui ne l'étaient pas.
Sans dégustation
Reste que l'outil ne fonctionne qu'en se basant sur des critiques déjà existantes: à aucun moment il n'est question de lui faire goûter le vin ou la bière qu'il doit critiquer. Son rôle consiste simplement à compiler les avis trouvés dans sa base de données et à les mettre joliment en forme. À ce jour, le nez, l'œil et le palais humain restent donc irremplaçables. Mais Praveen Kopalle, spécialiste du marketing et coauteur de l'étude, affirme que l'étape suivante consistera à doter l'intelligence artificielle de capacités prédictives.
En se basant sur les précédents millésimes et les conditions météorologiques de l'année en question, l'IA devrait ainsi finir par être capable d'établir un pronostic sur les qualités –et les défauts– d'un produit, avant même que celui-ci ait pu être testé par les humains. Ceux-ci se prêteront tôt ou tard au jeu de la dégustation, ce qui permettra alors à l'algorithme de savoir si ses prévisions étaient bonnes –et d'emmagasiner de l'expérience, quoi qu'il en soit.
Les spécialistes mettent en garde contre les effets pervers d'une telle invention, relevant notamment que des personnes malintentionnées –oui, ça existe–pourraient parvenir à manipuler ce genre d'outil afin de «pourrir un adversaire et détruire son affaire sur le plan financier», comme l'explique Ben Zhao, expert en machine learning et en cybersécurité à l'Université de Chicago.
Les concepteurs de l'outil, eux, se veulent rassurants, mettant en avant le prodigieux gain de temps que peut représenter, pour les exploitants et revendeurs, l'obtention sans effort des textes originaux à utiliser pour promouvoir leurs produits. Une positivité à toute épreuve qui relève de l'aveuglement ou de la méconnaissance la plus totale des rouages de notre internet.
[Illustration : Jehyun Sung via Unsplash - source : korii.slate.fr]
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