quarta-feira, 2 de agosto de 2017

Modernisation de la justice : “Mort programmée de l'état civil avec le projet de loi J21”

Suite au vote par l’Assemblée nationale du projet de loi de Modernisation de la justice, le Réseau national d’actions des archivistes vient de diffuser un message d’alerte. La présidente Nathalie Lopes annonce la « mort programmée de l’État civil », avec le projet de loi J21. Nous proposons ce document dans son intégralité.

Palais de Justice de Paris
Palais de Justice, à Paris 


Par plus de 301 voix pour, l’Assemblée nationale vient d’adopter le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle dit J21. Lors de son audition devant la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, a indiqué : « La justice du XXIsiècle doit être une justice faite pour l’homme, à la mesure de ses besoins, que ce soit en tant que justiciable ou en tant que professionnel. » Et que le projet de loi proposé ne sert « qu’à améliorer le service public rendu au justiciable ». 

Que l’objectif de ce texte soit d’améliorer le service public rendu aux Français est tout à fait louable, bien au contraire. Mais il nous semble qu’une des mesures de ce texte ne répond pas du tout à cet objectif. En effet, l’article 18 prévoit la suppression du second registre d’état civil par la création d’un article 40 du Code civil, qui stipulerait que lorsque les communes se sont assurées que les données relatives à l’état civil qui font l’objet d’un traitement automatisé « sont conservées dans des conditions garantissant leur sécurité et leur confidentialité », elles « sont dispensées de la tenue du deuxième exemplaire du registre ». 

Cette mesure peut paraître bénéfique et profitable pour les citoyens, ainsi que pour les communes et l’État. Mais est-ce vraiment le cas ? Nous tenons à rappeler aux citoyens et aux membres de la Commission mixte paritaire, qui doit se réunir prochainement, les enjeux fondamentaux de cette mesure pouvant paraître minime. 

À l’heure actuelle, les actes d’état civil des Français sont établis en double minute par l’officier d’état civil. Ce système, mis en place par Louis XIV pour éviter les fraudes et pouvoir pallier la destruction d’un registre, a démontré à de maintes occasions son efficacité. Il a même servi de modèle dans le monde entier. Ainsi chaque citoyen peut prouver son identité et son existence par un acte authentique et fiable. Si le registre conservé en commune est pour une raison ou une autre détruit ou altéré, le second registre du greffe est utilisé avec la même valeur juridique. 

Donc décider de supprimer un exemplaire sans avoir la certitude que celui qui subsiste ne disparaîtra pas constitue un véritable danger. Pourquoi mettre en péril un système qui a fait ses preuves ? L’État a-t-il oublié qu’il est le garant de l’authenticité, de la fiabilité, de l’intégrité et de la lisibilité de l’état civil ? Et pourquoi cette décision sans qu’aucune étude ni expérimentation n’aient été lancées ? Le garde des sceaux a évoqué des mesures de simplification pour les communes et que « personne ne sera ne perdant ni l’État ni les collectivités territoriales ». 

Il est malheureusement possible d’en douter fortement. Au lieu de supprimer ce second registre papier et mettre en place une sauvegarde des données par les communes elles-mêmes, pourquoi ne pas créer un véritable registre national dont la gestion et la conservation seraient assurées au niveau central ? Ce registre existe dans certains pays d’Europe, mais avec un seul bémol : l’acte ainsi conservé n’a pas la même valeur authentique que l’acte sous format papier. Alors, faisons en sorte que cela soit possible et mettons en place un registre central qui permettra de conserver un acte, et d’y inscrire les mentions marginales comme pour un registre papier. Il devra assurer les mêmes principes d’intégrité, d’authenticité, de sécurité, de pérennité que pour le registre papier. Ainsi il sera possible, même en cas de destruction du registre conservé en mairie, de reconstituer un nouveau registre. 

En rejetant, dans l’étude d’impact, la suppression de la rédaction en seul exemplaire des actes ou leur enregistrement uniquement dans un format électronique, le Gouvernement reconnaît l’obligation d’un double registre pour la sécurité des données et le fait que le registre électronique ne soit pas encore viable, fiable et pérenne dans le temps. Comme il admet qu’actuellement, il est impossible, du fait d’énormes contraintes techniques d’authentifier les actes : l’utilisation d’une signature électronique pour chaque individu, ou du moins pour chaque officier d’état civil n’est pas encore possible. Enfin, il convient que la structuration des actes et la création d’un système d’archivage électronique viable et pérenne sont pour l’instant encore trop contraignantes. 

Nous pensons, au nom de notre réseau professionnel, qu’il faut maintenir dans un premier temps l’existence des deux registres qui seront conservés dans deux lieux différents : cette mesure est, pour l’instant, garante de la fiabilité et de l’authenticité de l’identité de chaque Français.Nathalie Lopes, présidente de Rn2a


Au lieu d’une dématérialisation progressive de l’état civil, pourquoi ne pas reporter la réforme ? Ceci afin de lancer une véritable réflexion sur les différentes possibilités et les conséquences de chacune d’elles. La garantie de l’identité de nos concitoyens est à ce prix ! La précipitation ne pourra générer que pertes, disparités territoriales, difficultés et coûts supplémentaires pour pallier les problèmes qui apparaîtront lors de sa mise en œuvre. Et dans ce cas, le coût de récupération des données et la reconstitution des registres ont-ils été calculés ? 

Mettre en place une telle réforme sans aucune concertation ni expérimentation est irresponsable. 

Une véritable réforme de l’état civil devrait être pensée, réfléchie et son application pourrait être effectuée en plusieurs étapes afin d’en vérifier sa pérennité et sa fiabilité. On voit à l’heure actuelle les difficultés de mise en œuvre, pour les collectivités, des procédures de dématérialisation pour les actes des collectivités, les marchés publics... Ne reproduisons pas les mêmes erreurs ! 

Si la volonté du Gouvernement est d’engendrer des économies autant au niveau des juridictions que des communes, pourquoi alors ne pas supprimer l’envoi des mentions marginales aux greffes pour toutes les communes et non pas simplement pour celles qui ont un traitement automatisé ? Mais aucune mesure en ce sens n’a été proposée alors que, dans l’étude d’impact, le Gouvernement reconnaît que ces envois constituent un coût d’affranchissement non négligeable pour l’ensemble des communes et que leur conservation impacte très fortement les juridictions. 

Et tout ceci pour des documents qui ne sont pas utilisés par les greffes, qui sont tout juste entreposés avant d’être éliminés à moyen terme. En effet, si la commune a obligation de conserver les avis de mention pendant une durée de 10 ans, ce n’est pas le cas des tribunaux qui peuvent en demander l’élimination après 5 ans 2. Les ministères de la Culture et la Justice ont argumenté, en 2009, en faveur d’une réduction de 100 ans à 5 ans du délai de conservation des avis dans les juridictions en indiquant que « les avis de mises à jour forment des stocks importants de papier, le plus souvent non ordonnés. Ils seraient théoriquement utiles pour reconstituer l’état civil de communes en cas de sinistre. En pratique, leurs conditions de conservation rendraient cette opération très difficile, voire irréaliste ». 

S’il est acquis qu’à court terme il est déjà improbable, voire irréaliste, de les utiliser pour reconstituer les registres, on peut s’interroger sur cette volonté de maintenir pour les communes, cette obligation d’envoi des mentions aux juridictions. Pourquoi donc faire voter une mesure qui n’engendrerait que cinq cent mille euros d’économie alors que l’on pourrait espérer, en supprimant l’envoi des mentions marginales aux greffes, un gain financier évalué par le Gouvernement à presque 2 millions d’euros auxquels il faut ajouter les frais de personnels et de conservation ? En ces temps de recherches constantes d’économies, supprimer les envois de mentions aux juridictions serait une bonne mesure et permettrait un gain certain pour les budgets communaux et juridictionnels. 

Et que dire de la pérennité de l’archivage numérique ? La plupart des personnes ne font pas la différence entre la sauvegarde (qui est à court et à moyen terme) et l’archivage des données numériques (qui devrait être à long terme). Lors de la discussion de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, certains sénateurs ont fait valoir qu’il convenait de faire preuve de la plus grande prudence dans le recours à l’archivage numérique « afin d’éviter des pertes dues à l’obsolescence progressive des techniques de stockage ». 

Le projet de loi ne s’intéresse qu’à la sécurité et à l’intégrité du traitement. Il oublie ce point fondamental qu’est l’authenticité que doit avoir l’acte ainsi que la pérennité des données. 

Messieurs, Mesdames les membres de la Commission mixte paritaire, voter cette suppression serait prendre un risque important pour l’identité de chaque citoyen de notre pays sans aucune véritable économie pour le budget de l’État et de chaque commune. 

Nous pensons, au nom de notre réseau professionnel, qu’il faut maintenir dans un premier temps l’existence des deux registres qui seront conservés dans deux lieux différents : cette mesure est, pour l’instant, garante de la fiabilité et de l’authenticité de l’identité de chaque Français. Et, dans un deuxième temps, une réflexion devra être lancée pour étudier toutes les réformes possibles, avec les conséquences positives et négatives de chacune d’elles, leurs coûts et les difficultés engendrés pour chacune. 



[Photo : CC BY SA 2.0 - source : www.actualitte.com]

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