Nous poursuivons notre enquête sur la Catalogne qui pourrait organiser le 1er octobre un référendum portant sur son indépendance. Après les volets politique, économique et culturel (La Dépêche des 8, 9 et 10 août 2017), nous évoquons ici l'attachement de la Catalogne à l'Union européenne.
Écrit par Henry de Laguérie
Indépendante ou non, la Catalogne n'imagine pas son avenir hors de l'Union européenne. Le Brexit, la crise des réfugiés ou les politiques d'austérités imposées par Bruxelles n'ont pas entamé les convictions europhiles d'un territoire viscéralement attaché à la construction européenne. «Lorsque l'Espagne est entrée dans l'Europe en 1986, c'était l'euphorie à Barcelone», se souvient un brin nostalgique Joaquim Millan, consultant et spécialiste européen. «à l'époque, l'Europe représentait un pas en avant : l'essence de ses valeurs est encore présente. Certes, l'euphorie est retombée, mais la très grande majorité des Catalans continue à percevoir l'Europe comme un projet très positif.»
C'est aussi et surtout un moyen d'exister et de s'affirmer : à l'époque, les nationalistes voient dans la construction européenne la possibilité de contourner l'État espagnol et s'affirmer comme un acteur à part entière sur le continent.
Mais ils déchantent rapidement. «La Catalogne n'existe quasiment pas à Bruxelles : nous avons 7 millions et demi d'habitants, mais nous ne sommes associés à aucune décision et notre langue n'est toujours pas officielle», déplore Aleix Sarri, assistant parlementaire à Bruxelles, membre du PDECAT, le parti indépendantiste qui gouverne la Catalogne, en coalition avec la gauche républicaine.
A l'image de cet énergique trentenaire, les séparatistes ont du mal à accepter que la Catalogne n'ait pas voix au chapitre au sein de l'UE, alors que des territoires bien plus petits comme l'Estonie (1,3 millions d'habitants) ou Malte (440.000 habitants) disposent d'un droit de véto!
«Nous voulons être indépendants afin de participer davantage à la construction européenne, soutient Aleix Sarri. La Catalogne peut ainsi accueillir des réfugiés et apporter son aide à la crise européenne des migrants, mais elle en est empêchée par l'Espagne.»
La Commission européenne se tient à l'écart
Mais attention! En cas de séparation, la Catalogne n'est pas certaine de rester dans l'Union européenne. «Aucun texte ne prévoit la sortie d'un territoire européen», explique Amadeu Altafaj, représentant du gouvernement catalan à Bruxelles. «Pourtant, les Catalans sont européens, il est juridiquement difficile de leur retirer la citoyenneté».
Interrogée par une eurodéputée espagnole farouchement hostile aux sécessionnistes, le président de la Commission européenne, Jean Claude Juncker, a rappelé la position officielle : «La Commission n'a pas à s'exprimer sur les questions d'organisation interne des États. Mais, quand une partie du territoire d'un État membre prend son indépendance, les traités ne s'appliquent plus à ce nouvel État.»
Qu'importe pour Amadeu Altafaj : «L'UE saura se montrer pragmatique et trouvera une solution.» Ce brillant polyglotte qui a travaillé pendant longtemps pour la Commission européenne estime que les 28 États membres n'ont pas intérêt à exclure du marché commun un territoire qui pèse 30% des exportations espagnoles.
Politologue installée à Bruxelles et membre du Parti socialiste catalan, Laura Ballarin ne partage pas l'optimisme des autorités catalanes. «Je ne comprends pas comment les indépendantistes peuvent véhiculer de tels mensonges !», s'indigne celle qui travaille au Parlement européen. «Ils ressemblent aux eurosceptiques britanniques qui ont soutenu le Brexit : ils basent toute leur campagne sur des contrevérités».
En tout cas, les institutions européennes essayent de se tenir en marge du dossier, mais en réalité, Bruxelles se passerait bien d'une crise territoriale. «La Catalogne pose objectivement un problème à l'Europe, dans un agenda difficile», reconnait d'ailleurs Altafaj. Selon lui pourtant, Bruxelles ne peut pas se désintéresser de la Catalogne. «Je regrette que les institutions communautaires ne s'impliquent pas dans le dossier, alors qu'en privé, la plupart de mes interlocuteurs me font part de leur préoccupation quant à la dérive autoritaire du gouvernement espagnol de Mariano Rajoy qui n'oppose qu'une réponse juridique au défi démocratique lancé par la Catalogne». Il explique ce silence par le travail de sape de la diplomatie espagnole. «Les autorités européennes refusent de recevoir notre président Carles Puigdemont et nous avons moins de contacts de haut niveau car Madrid exerce une pression brutale auprès de Bruxelles.»
«Economiquement et démographiquement nous sommes proches de la Finlande ou de l'Autriche»
Laura Ballarin, elle, comprend cette mise à l'écart : «En agissant de façon unilatérale et en allant contre l'état de droit, le gouvernement catalan défie le gouvernement espagnol, un État membre influent de l'UE.»
Loin du triomphalisme qui gagne parfois certains indépendantistes, convaincus que l'Europe prendra fait et cause pour la Catalogne si Madrid empêche la tenue du référendum, Amadeu Altafaj garde la tête froide. «Il ne faut malheureusement pas attendre grand-chose de l'UE. Nous devons continuer à expliquer notre combat et rappeler les valeurs démocratiques qui nous animent». Une forme de lucidité qui n'entame en rien des convictions profondes : «Nous sommes économiquement et démographiquement proches de pays comme la Finlande ou l'Autriche : la Catalogne a toute sa place au sein de l'Union.»
[Source : www.ladepeche.fr]
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