segunda-feira, 6 de outubro de 2014

SÉNÉGAL - Difficultés d’élocution, d’articulation… L’école perd son français


De nombreux étudiants éprouvent des difficultés à s’exprimer correctement en français. Alors, ils n’hésitent pas à recourir au wolof (langue la plus parlée au Sénégal), et ce, jusque dans les amphithéâtres.

Il est 9 heures. Nous sommes à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Dans ce temple du savoir, les débats se font en langues nationales (précisément en wolof). Cela, au campus social et parfois même dans les amphithéâtres. Le français est souvent banalisé par les étudiants. 

Trouvé à côté du Pavillon R, Abdoulaye Barro, étudiant à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg), soutient que la baisse du niveau s’explique par une mauvaise formation des enseignants. Lesquels, selon lui, ne sont pas bien outillés pour offrir une formation de qualité aux élèves. « Il faut rallonger la durée de formation des volontaires et arrêter leur recrutement. Pour résoudre définitivement ce problème, il faut aussi faire passer la durée de formation des élèves-professeurs qui sont à la Fastef (ex-École normale supérieure) à quatre ou cinq ans », préconise-t-il. Cet étudiant sort du lot, car s’exprimant bien en français.

Par contre, Oumar Traoré, inscrit en Licence à la Faculté des Lettres et Sciences humaines (Flsh), affirme que les étudiants doivent fournir un « grand effort » pour maîtriser la langue française. Il précise qu’il n’a pas un bon niveau en français. « Auparavant, je disais que les professeurs ne sont pas bien formés. Mais, c’est tout à fait le contraire. Ce sont les étudiants qui n’ont pas le niveau. Je commence par moi-même. Il ne faut pas que nous accusions les professeurs du moyen, du secondaire ou encore de l’université. Ils n’y sont pour rien », déclare-t-il.
MIX DE FRANÇAIS ET DE WOLOF
Oumar reconnait ainsi sa difficulté à bien s’exprimer en français. D’ailleurs, il a répondu en wolof à toutes nos questions. Pas un seul mot en français. Il avoue que même dans les amphithéâtres, les étudiants ne s’expriment qu’en wolof. Oumar Traoré souligne aussi que de nombreux étudiants ne peuvent pas parler deux minutes sans introduire le wolof ou une autre langue nationale. « Dans les établissements privés, les élèves parlent couramment le français. Pourquoi pas les étudiants ? C’est vraiment honteux ! », regrette-t-il.

« Les étudiants doivent donner une bonne image de l’université. Celui qui a eu dignement son Bac doit être en mesure de bien parler français. Et ce nouveau concept que nous avons à l’université, à savoir « Diangee pour dialeu » (apprendre pour passer en classe supérieure), nous rend plus nul », renchérit Traoré. Il fustige cette méthode qu’il juge mauvaise. 

Mamadou Lamine Pouye, étudiant en Master 1 au département des Lettres modernes, met aussi du temps à trouver ses mots. Il réfléchit, doute, confond même le genre de certains mots. Il utilise « le » à la place de « la » et refuse d’admettre que les professeurs sont mal formés. « Nous sortons de l’université sans aucune qualification. Parfois, les profs s’expriment en wolof pour nous expliquer certains concepts. Parler français est une question d’habitude. Les étudiants doivent s’auto-former. Le diplôme ne compte plus, c’est la maîtrise du français qui compte », argumente-t-il. Le mérite, poursuit M. Pouye, n’existe plus au Sénégal. Résultat : les étudiants sont nuls. Du coup, tout le monde passe en classe supérieure.
QUÊTE DE SAVOIR
Alioune Badara Bèye, étudiant en Physique-Chimie, constate que le niveau de français a chuté dans leur faculté. Il exhorte ses camarades à beaucoup lire. « Je suis scientifique et je lis tous les jours pour améliorer mon niveau en français. Il faut que l’étudiant maîtrise le français avant d’arriver à l’université », estime le jeune homme. Pourtant, cet étudiant en Licence III, tout en incitant ses camarades à lire pour maîtriser la langue de Molière, nous répond dans celle de Kocc Barma (wolof). La seule phrase qu’il a dite en français est : « Les vrais scientifiques sont des philosophes ». 

De son côté, une étudiante à la Faculté des Sciences juridiques et politiques (Fsjp), trouvée au Pavillon Q, exclut toute idée de rallonger la durée de formation des professeurs du moyen ou du primaire. Elle pense que l’étudiant doit être conscient et en quête perpétuelle du savoir. «Je ne parle pas très bien le français, mais je ne cesse de me débrouiller pour améliorer mon niveau. Je sais qu’un jour, je serai appelée à m’exprimer devant un auditoire», reconnait-elle, sous le couvert de l’anonymat. 

Elle indique aussi que le problème se situe au niveau de la formation de base. Pour régler définitivement cette question, dit-elle, il faut que l’entrée à la Faculté des Sciences et Technologies de l’Éducation et de la Formation (Fastef) se fasse uniquement avec le niveau de la Licence III et du Master. Selon elle, à la Fsjp, aucun étudiant n’ose parler le wolof devant son professeur. « Le problème, c’est au niveau du campus social. Quand tu manies bien la langue française en roulant les « r », on te dit : « danga wanné » (tu es un vantard). Cela nous intimide et nous rend nul. Je ne suis pas amatrice de lecture, mais je me rends à la bibliothèque universitaire lorsque j’en éprouve le besoin », indique-t-elle. Cependant, la jeune fille soutient que le moteur de recherche « Google » est son ami.
RECOMMANDATION : Le livre, comme une grande corbeille aux savoirs…
La baisse du niveau des étudiants est diversement analysée. Des enseignants rencontrés soutiennent que le constat le mieux partagé est que le niveau des étudiants est « très faible ». Une idée que ces derniers ne partagent pas.

La baisse du niveau des étudiants ne laisse personne indifférent. Cette question préoccupe le corps professoral de l’Ucad et crée même des polémiques. Pour Oumar Dia, professeur de philosophie à la Faculté des Lettres et Sciences humaines (Flsh), les causes de cette baisse de niveau remontent à la réforme. Cette mesure a consisté à passer d’une école d’élite à une école de masse sans mesures d’accompagnement. « Les générations actuelles d’étudiants ont été formés pendant tout leur cursus par des volontaires et des vacataires ni formés ni motivés. La baisse de niveau constatée aujourd’hui est une conséquence logique de cette orientation », souligne-t-il. M. Dia soutient que la lecture, qui est irremplaçable dans la formation des étudiants, est, de nos jours, « banalisée» par ces derniers. Or, dit-il, elle leur permet de disposer d’une solide culture générale et d’un esprit critique. Ce qui leur permet de s’adapter dans un monde en perpétuelle mutation. 

Ainsi, le Pr. Dia révèle qu’il est tout à fait possible de redresser, à moyen terme, le niveau des générations sénégalaises qui accèdent à l’enseignement supérieur. Mais, argumente-t-il, c’est à condition de changer résolument de cap, en formant les enseignants et en revalorisant l’école et la fonction enseignante. D’ailleurs, son collègue, M. Diaw, un enseignant à la Faculté des sciences et techniques (Fst), affirme que le recrutement des enseignants sur quota favorise la baisse du niveau des étudiants. Les enseignants sont « mal formés », souligne M. Diaw, et le passage aux examens n’est plus sélectif comme auparavant. La maîtrise du français a été banalisée depuis le bas-âge. L’enseignant va plus loin. Il ajoute que les étudiants ne peuvent plus faire la distinction entre le son « S » et « Ch » et le son « J » et « Z ». « Les étudiants ont une grande difficulté de prononciation. Même certains enseignants d’université s’expriment mal en français », regrette-t-il.

Un autre enseignant officiant à la Faculté de médecine soutient que la maîtrise du français reste la plus grande difficulté des étudiants. A la Fac de médecine, dit-il, le niveau est trop bas. Même s’ils passent en masse en première année, ajoute-t-il, ces derniers doivent s’efforcer de lire. « Celui qui veut améliorer son niveau en français doit beaucoup lire. Il n’y a aucun secret. Les étudiants doivent fournir cet effort. Malheureusement, ils n’ont plus l’amour de la lecture », regrette-t-il. De son côté, Seydi Ababacar Ndiaye, secrétaire général du Syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes), exclut toute idée de baisse du niveau des étudiants. Il défend que la baisse du taux de réussite est due aux sureffectifs et au manque d’infrastructures. Pour le syndicaliste, la Faculté de médecine, qui a réussi tant bien que mal à réguler ses effectifs, obtient d’excellents résultats. « Comment peut-on suivre un cours dans un amphithéâtre de plus de 1000 places sans système de sonorisation et sous une lumière, si tant est qu’elle existe, blafarde ? » s’interroge-t-il. 

Néanmoins, M. Ndiaye admet que les étudiants ne lisent plus. « Il faut reconnaître que, de nos jours, « Google » règne en maître absolu de la congrégation des paresseux », affirme-t-il. Cependant, le secrétaire général du Saes n’est pas le seul à soutenir que le nombre «pléthorique» d’étudiants peut aussi avoir un impact négatif sur la qualité des enseignements. « L’Ucad compte au moins 90.000 étudiants pour 1.300 enseignants. Pour relever le niveau des étudiants, l’État doit imposer une redéfinition des filières au sein de toutes les universités et remodeler les techniques de formation par rapport aux réalités actuelles », plaide le Pr. Mamadou Lamine Ndiaye de l’École supérieure polytechnique (Esp) de l’Ucad.
Diagnostics de formateurs : Les étudiants n’arrivent plus à l’université avec des pré-requis
Le niveau actuel des étudiants est relativement bas. Selon les professeurs Mayatta Ndiaye et Mamadou Badji, cela s’explique par la réduction du quantum horaire et l’absence d’une formation de base.

Trente semaines de cours. C’est la durée d’une année académique normale. Aujourd'hui, le constat est unanime. Selon le Pr. Mayatta Ndiaye, les universités ont du mal à boucler le quantum horaire. « On ne peut plus respecter les quantums horaires. Or, ceci a des répercussions sur le niveau des étudiants. Le constat est général. Cette baisse est sentie et visible dans presque toutes les facultés. Les étudiants n’ont plus un bon niveau. Le temps de la formation, un élément fondamental, est réduit. Du coup, on ne peut pas avoir le produit fini qu’on espérait », soutient l’assesseur de la Faculté de droit. 

Il fait savoir que « beaucoup d’étudiants n’ont pas le niveau. Ils arrivent à l’université sans plan de carrière. Donc, il faut qu’ils sachent que l’université n’est pas construite pour recruter tout le monde. Il faut que les étudiants viennent avec des pré-requis ». Quant aux professeurs, estime M. Ndiaye, ils sont tenus d’assurer la continuité de l’œuvre des enseignants du primaire, du moyen et du secondaire. « A l’université, on ne peut pas former des étudiants qui ne sont pas en mesure de conjuguer un verbe au présent. Nous allons aider les meilleurs à faire partie de l’élite », affirme-t-il. Le doyen de la Faculté de droit, le Pr. Mamadou Badji, indique, pour sa part, que les étudiants ont d’énormes lacunes aujourd’hui. Selon lui, ces derniers ont des difficultés pour s’exprimer en français ; ce qui est dû au fait qu’ils ne lisent plus. 

« L’étudiant est l’acteur de sa propre formation. Il ne doit pas tout attendre du professeur. Celui qui n’a pas ce pré-requis ne peut pas réussir à l’université. Les étudiants n’ont plus un niveau élevé de français », renchérit M. Badji. Il défend que la formation de base influe sur la réussite de l’étudiant à l’Université. « Il n’y a aucune complaisance dans la formation et dans la notation de l’étudiant », souligne-t-il. Ainsi, le doyen Badji estime que l’État, de même que les autorités universitaires, ne peuvent pas tout faire pour les étudiants. « Nous ne pouvons pas acheter des Bescherelle (livres de grammaire, orthographe, conjugaison : Ndlr) pour tous les étudiants. L’État doit s’occuper d’un nombre raisonnable de personnes », se désole-t-il. Il faut que les étudiants arrivent à l’université avec un niveau « acceptable et raisonnable », préconise ce professeur de Droit privé. D’où l’application, selon lui, du système Licence-Master-Doctorat (Lmd). « Ce système est conçu pour favoriser la réussite de l’étudiant. Mais, il faut reconnaître que l’université n’est pas faite pour accueillir tout le monde », conclut-il. De l’avis du Pr. Mayatta Ndiaye, « le système Lmd ne peut pas contenir une masse. Il faut que les citoyens le comprennent ». Selon lui, il faut un temps d’adaptation et de maturation de ce système.
PR. MAMADOU LAMINE NDIAYE, ENSEIGNANT CHERCHEUR A L’ESP : « Avec le niveau actuel, les étudiants ne sont plus compétitifs »
Pour analyser et identifier les causes de la baisse du niveau des étudiants, il faut descendre très bas. Les enseignants de l’élémentaire, du moyen et du secondaire sont de moins en moins bien formés. C’est ce qu’a révélé le Pr. Mamadou Lamine Ndiaye, enseignant-chercheur au département de Génie électrique de l’École supérieure polytechnique (Esp) de Dakar. 

Au fur et à mesure qu’on avance, la baisse du niveau des étudiants en français et même dans les autres matières se fait sentir. Selon le professeur Mamadou Lamine Ndiaye, cela est du au fait que les volontaires et les vacataires qui forment les élèves dès le primaire ne sont plus bien formés. « Avec le niveau actuel qu’ont les étudiants, on se demande si ces derniers sont prêts à assurer la relève. Ils ont un niveau jugé trop faible et ne sont souvent pas trop compétitifs, une fois sur le marché du travail », regrette-t-il. « Il y a des étudiants qui sont en Master et qui ne peuvent pas composer trois phrases sans faire de fautes. Ils s’expriment toujours en wolof par peur d’être corrigés », dit-il. Ce qui fait que les universités ne produisent pas des ressources humaines de qualité. M. Ndiaye préconise également une analyse sectorielle de la situation pour connaître les facteurs bloquants. Lesquels, d’après lui, peuvent constituer un frein au développement du Sénégal. « Même à l’Esp, nous avons des étudiants qui ont parfois des difficultés à s’exprimer en français. Ils refusent de commettre des fautes », dit-il.
Gaustin DIATTA (stagiaire)
[Source : www.lesoleil.sn]

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