La décision d'Adobe, de renforcer sa politique autour de mesures techniques de protection pour les livres numériques, est loin de faire l'unanimité, bien au contraire. La firme américaine, qui a poussé le format EPUB, avec l'IDPF, vient de lancer son DRM Musclor, censé être plus résistant contre les pirates qui avaient pris l'habitude de le supprimer des ebooks achetés. Mais les conditions dans lesquelles s'opère cette mutation font grincer des dents.
Le principe est simple : une mise à jour de l'ensemble des outils fournis par Adobe va entraîner une incompatibilité entre les livres numériques achetés précédemment. Il faudra donc que les fabricants de tablettes et lecteurs ebook mettent à jour leurs appareils, de même que les développeurs d'application. Sauf qu'Adobe n'a pour l'heure fourni de solutions techniques que pour ces derniers. Et comme le DRM Musclor sera mis en place définitivement à partir du mois de juillet, les appareils non mis à jour ne pourront pas non plus lire les ebooks commercialisés à partir de cette période. Autrement dit, un joyeux bazar en perspective.
C'est ce que nous confirme Alban Cerisier, responsable des développements numériques aux éditions Gallimard. « Cela me rappelle la décision d'Apple d'instaurer un prélèvement sur les ventes réalisées à l'intérieur des applications. C'est un choix unilatéral, effectué par une société en état de quasi monopole, et qui repose sur le même principe : on impose un choix, avec une communication proche du néant. »
Ce sont des revendeurs qui ont alerté la semaine passée les éditions Gallimard, qui en viendraient presque à déplorer « d'avoir été de trop bons élèves, avec Eden Livres », en adoptant les nouvelles versions des outils Adobe. « Ça montre une fois de plus qu'il ne faut pas être dépendant des solutions techniques d'une seule société. C'est au-delà du débat pour ou contre les DRM, et le comportement d'Adobe nous conforte dans l'investissement que nous avons mis au sein du consortium Readium. »
"C'est un choix unilatéral, effectué par une société en état de quasi monopole, et qui repose sur le même principe : on impose un choix, avec une communication proche du néant."
Avec plusieurs sociétés françaises, comme Hachette Livre ou le groupe Eyrolles, les éditions Gallimard ont en effet choisi de rejoindre le projet Readium, qui travaille au développement de technologies Open Source pour la lecture de fichiers au format EPUB 3. « Avec Readium, nous avons une approche différente, qui permet le développement d'une solution globale, et qui n'est pas dans les mains d'un seul acteur. D'ailleurs, les solutions de Readium ne sont pas forcément exclusives de celles d'Adobe. Et s'il y a un problème, ce n'est pas en se cachant derrière des pratiques autocratiques déplorables et des communications confidentielles qu'on peut les régler. »
Hadrien Gardeur, cofondateur de la librairie Feedbooks, sollicité par ActuaLitté, ne disait pas autre chose : « En agissant ainsi, ils [Adobe] montrent que non seulement ils se moquent complètement de l'écosystème en place, mais qu'ils ne sont pas un partenaire de confiance. Cette décision ne peut donc avoir qu'un seul impact: intensifier les efforts des uns et des autres pour s'affranchir d'Adobe. Readium SDK était déjà un pas dans cette direction, et il est évident que cette situation ne fera que renforcer le besoin de migrer vers Readium LCP ou des solutions sans DRM, selon les cas »
Alban Cerisier insiste : « Leur couperet va tomber en juillet, alors que les mises à jour pour les appareils ne sont toujours pas prévues. Les délais sont extrêmement réduits. Ce n'est une bonne nouvelle pour personne. C'est difficile à supporter d'être mis devant le fait accompli de cette manière. »
En avril 2012, ActuaLitté interrogeait Adobe sur les solutions de gestion des DRM pensée pour le format EPUB 3 : « Nous avons un devoir à l'égard des sociétés qui sont déjà nos clients. Nous proposerons une solution DRM pour les fichiers EPUB 3, bien entendu, mais effectivement, les sociétés ne disposent pas encore d'un outil pour ce faire », expliquait alors Denis de Coster, business developper manager chez Adobe. Personne ne se doutait alors que l'action de la firme serait aussi autoritaire, sans aucune concertation avec les partenaires commerciaux.
Nous avons sollicité le groupe Hachette Livre, qui pour l'heure ne souhaite pas faire de commentaires. « Nous allons examiner la situation, et voir quelles sont les implications du choix d'Adobe », nous explique-t-on. Nous attendons dans la journée une réaction du groupe Eyrolles.
Écrit par Nicolas Gary
[Source : www.actualitte.com]
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