Ces mots et expressions qui se ressemblent tant n’ont pourtant pas la même signification. Suivez le guide.
Écrit par Michel Feltin-Palas
Allons, ne mentez pas. Ne me dites pas que jamais ne tressaille un seul instant au fond de votre cerveau le léger doute, la crainte de l'erreur, l'indicible flottement qui trahit l'indécision, l'indétermination, la perplexité. "Il y va" ou "il en va" ? "Conjecture" ou "conjoncture" ? "Mettre à jour" ou "mettre au jour" ? Pour ma part, je le confesse sans honte : il m'arrive régulièrement de devoir consulter le dictionnaire pour ne pas me fourvoyer. Eh quoi ! C'est qu'il existe en France d'innombrables termes et expressions qui se ressemblent tant qu'on les croirait inventés dans le seul dessein de nous induire en erreur. Aussi m'a-t-il semblé utile de procéder cette semaine avec vous à une petite révision.
- Mettre à jour ou mettre au jour ? Pour être proches, ces deux expressions n'ont pas du tout le même sens. "Mettre au jour" signifiait à l'origine "donner le jour". "J'ai dû cette vengeance à qui m'a mise au jour" (Corneille). Au figuré, il a pris le sens de "rendre visible", de "mettre à la lumière du jour". Lors de fouilles, un archéologue met ainsi au jour des trésors enfouis. "Mettre à jour", en revanche, a le sens d'actualiser. "Je mets à jour une application sur mon téléphone" (non, ce n'est pas du Corneille).
- Il en va ou il y va ? "Il y va" exprime un danger. "Fuyez ! Il y va de votre vie". Rien à voir, donc, avec "il en va", qui introduit une comparaison. "Ce restaurant est excellent. Il en va de même de celui d'en face." Un petit truc : contrairement à "il y va", "il en va" peut-être remplacé par "il en est" (dans un registre plus littéraire).
- Sabler ou sabrer le champagne ? En l'occurrence, l'un n'empêche pas l'autre. "Sabler le champagne" veut dire tout simplement "le boire en abondance" (par allusion au métal en fusion que l'on verse dans un moule) tandis que "sabrer le champagne" évoque le geste spectaculaire consistant à trancher le col de la bouteille avec un sabre. Reconnaissons que le premier cas est plus fréquent que le second...
- Aménager ou emménager ? "Aménager" signifie "disposer avec ordre" tandis qu'"emménager" a pour sens "s'installer dans un nouveau logement". Cela dit, rien n'empêche d'aménager après qu'on a emménagé...
- Décade ou décennie ? En français, une "décade" est une période de dix jours, tandis qu'une "décennie" correspond à une période de dix ans. Sous l'influence de l'anglais, où décade se dit ten days et décennie decade, le premier terme est parfois utilisé à la place du second. Mistake !
- Balade ou ballade ? Pas facile de distinguer ces deux termes qui ont exactement la même étymologie, en l'occurrence l'occitan ballar, "danser". La "ballade," avec deux l, désignait initialement une chanson à danser, avant de devenir une chanson tout court. Le substantif a débouché sur le verbe "balader" (avec un seul l) avec le sens de "chanter des ballades", puis de "marcher en chantant et en demandant l'aumône". Et c'est ainsi que l'on a abouti à son sens actuel : se promener.
- Inclinaison ou inclination ? Ces deux mots, eux aussi, partagent la même origine, "incliner", mais ils diffèrent par le sens. Le premier a une acception concrète qui renvoie à un objet penché : on parle de l'"inclinaison" d'un terrain ou de celle de la tour de Pise. Le second, lui, est un terme plus abstrait. Il désigne un penchant pour un objet ou une personne (ce vers quoi l'on incline). On peut ainsi évoquer l'"inclination" naturelle d'un individu pour les substances illicites (mais non, je ne pense à aucun collègue en particulier).
- Prêt à ou près de ? "Près de" renvoie à la proximité - "Je suis près de toi" - et peut être remplacé par "loin" (avec le sens inverse, évidemment) : "Je suis loin de toi". "Être prêt à", c'est être disposé à : "Je suis prêt à partir". Et là, on ne peut pas dire "Je suis loin à partir" (à moins d'avoir sérieusement abusé des substances ci-dessus mentionnées).
- À l'envie ou à l'envi ? C'est par le hasard de la phonétique historique que ces deux expressions ont fini par se ressembler. "À l'envie" correspond à l'évolution du latin invidia ("envie, jalousie") qui a gardé ce sens en français moderne. "Je n'ai pas pu résister à l'envie d'une glace au chocolat". "À l'envi" vient de son côté d'un autre mot latin, invitarer, "inviter", "provoquer". Celui-ci a débouché sur "envi" (sans e ), qui a eu le sens en ancien français de "défi au jeu" et signifie aujourd'hui "en rivalisant". "Les femmes, imitant toutes, à l'envi, l'impératrice Eugénie", a écrit par exemple Anatole France (merci aux dictionnaires de citations). Autre exemple en vogue depuis qu'Emmanuel Macron ne dispose plus de majorité absolue à l'Assemblée nationale : "Les oppositions se déchaînent à l'envi contre le gouvernement".
- Conjecture ou conjonctures ? Là encore deux mots très proches, mais la "conjecture" est une hypothèse ("on se perd en conjectures") tandis que la "conjoncture" correspond à une situation : on parle régulièrement de "conjoncture économique". Cela dit, les experts se trompant plus souvent qu'à leur tour, il n'est pas impossible de se perdre en conjectures à propos de la conjoncture...
Sources :
- Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert.
- 100 mots et expressions employés à mauvais escient, par Julien Soulié. Éditions Le Figaro littéraire.
- Revue Défense de la langue française, article de Jean-Marc Shroeder.
- Dictionnaire du bon français contemporain, par Françoise Nore. Éditions les Cent chemins.
- Le certificat Voltaire pour les nuls, par Julien Soulié, First Éditions.
[Publié sur www.lexpress.fr]
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