segunda-feira, 11 de junho de 2018

PMA pour les lesbiennes : la poétesse Marina Tsvetaeva la réclamait déjà en 1932


Dans "Mon frère féminin", l'auteure russe pose la question de l'enfant pour les couples de femmes. À relire avant la remise du rapport du Comité d'éthique sur la PMA.
 
   Marina Tsvetaeva en 192
 
Par Elisabeth Philippe  
 
Si elle était encore de ce monde, Marina Tsvetaeva aurait-elle été conviée par Emmanuel Macron à dîner à l'Elysée pour discuter de la PMA? La poétesse russe, exilée en France après la Révolution bolchevique, y aurait en tout cas eu tout autant sa place que les seize personnes (dont quinze hommes) invitées par le président, ce 23 mai 2018, pour évoquer l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. 
 
Pour s'en convaincre, il suffit de se plonger dans «Mon frère féminin», court texte écrit en français par Tsvetaeva, en 1932, et qui vient de reparaître en poche (Le Livre de poche). Il s'agit en réalité d'une lettre adressée à Natalie Clifford Barney, écrivaine américaine installée en France, homosexuelle et auteure, entre autres, de «Pensées d'une Amazone» (1920), manifeste féministe et lesbien dans lequel elle écrit: 
 Il est temps que les Amazones ne se fassent plus féconder par l''ennemi' — et l'ennemi n'est-il pas celui qui prendra à la femme son enfant, pour l'élever ou le tuer à sa guise?

Mariée, Tsvetaeva a également connu des histoires d'amour homosexuelles, notamment avec la poétesse Sophia Parnok, liaison qu'elle évoque dans le recueil «L'Amie». «Mon frère féminin» se veut une réponse au livre de Natalie Barney, et plus précisément, à la question de l'enfant pour les couples de femmes. 
On peut y lire en effet : 
Et cet autre cri, Vous ne l'avez donc jamais entendu non plus? - Que je voudrais un enfant - sans homme !» 
À l'époque où Marine Tsvetaeva écrit ces lignes, être lesbienne, c'est forcément faire le deuil de son désir d'enfant:
Celui qui ne viendra jamais. Celui dont on ne peut même pas implorer la venue. On peut demander à la Vierge un enfant de l'amant, on peut demander à la Vierge un enfant d'un vieillard - une iniquité - un miracle - on ne demande pas une folie.»

"Nous ne pourrons jamais avoir un enfant d'elle, une petite toi à aimer"

Seule solution : se renier, se sacrifier et pactiser avec «l'ennemi». L'homme, selon la terminologie guerrière («guerillère», écrirait Monique Wittig) de Barney reprise par Tsvetaeva. C'est l'amour ou l'enfant. Dilemme déchirant qu'exacerbe le lyrisme lancinant de la poétesse: 
Seul point faible qui ruine toute la cause. Seul point attaquable qui laisse entrer tout le corps ennemi. Car si même nous pouvions un jour avoir un enfant sans lui, nous ne pourrons jamais avoir un enfant d'elle, une petite toi à aimer.»
Mais Tsvetaeava ne se contente pas de déplorer ce qui lui apparaît alors comme une fatalité. Elle exalte aussi l'amour entre femmes, alors que l'homosexualité est considérée à l'époque comme criminelle et condamnée par la religion. 
Dieu ? Une fois pour toutes, Dieu n'a rien à voir dans l'amour charnel. Son nom, joint ou opposé à n'importe quel nom aimé, qu'il soit masculin ou féminin, sonne comme un sacrilège.»
Des propos qui auraient sûrement fait avaler de travers l'ultra-catho Tugdual Derville d'Alliance Vita ou le prêtre Brice de Malherbe, présents au dîner du 23 mai à l'Elysée. «Mon frère féminin» est autant un chant de désespoir qu'un chant d'amour.   
Aujourd'hui, grâce à la PMA, un couple de femmes peut avoir des enfants. Sauf que la loi ne l'autorise toujours pas. Malgré les promesses de François Hollande de 2012. Malgré celles d'Emmanuel Macron et de Marlène Schiappa en 2017. La Comité d'éthique doit remettre son rapport ce mardi 5 juin. «Mon frère féminin» s'achève sur ces mots: «Quand je vois se désespérer un saule, je comprends Sapho.»
 
 
 
[ Photo : Pyotr Shumov - source : bibliobs.nouvelobs.com]

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