En 1988, Naguib Mahfouz a reçu le Prix Nobel de Littérature. Une consécration pour cet homme de 77 ans qui n’est pas allé à Stockholm recevoir sa distinction, qui y aura été seulement représenté par ses deux filles et dont le discours aura été lu par un jeune confrère.
Écrit par Mimiche
Son âge n’excusait pas tout : Naguib Mahfouz n’aura quitté son Caire natal qu’à de rarissimes exceptions : un conteur qui nous aura fait voyager sans pourtant jamais quitter son quartier !
Mais pourquoi partir quand il avait sous les yeux, dans les rues et les quartiers de cette ville, toute la matière nécessaire pour asseoir son art de la narration, pour laisser libre cours à son imagination tellement enthousiasmante.
Ce recueil commence par la transcription de ce discours qu’il n’a pas prononcé en personne. Un discours fort, virulent, revendicatif, qui m’a beaucoup étonné, car je n’attendais pas d’un tel merveilleux conteur aux accents pleins de douceur, un propos aussi politiquement engagé dont je n’avais jamais senti sourdre, dans mes précédentes lectures, la puissance et la conviction.
C’est une diatribe forte qui renvoie aux grandes puissances d’alors la responsabilité internationale de l’épanouissement de l’humanité dans un environnement en pleine mondialisation. Pour un monde qui n’aurait plus dû, il y a trente ans déjà, laisser les égoïsmes nationaux jeter dans la famine, le besoin, la pauvreté et l’exclusion des pans entiers de cette humanité multiple.
C’est pourtant le même humanisme du conteur qui se retrouve dans ce cri du cœur profond et pétulant de jeunesse, qui fait le lien avec les nouvelles qui sont ensuite présentées.
Et là, c’est toujours le même bonheur de retrouver les vieilles rues du Caire, ses vieux quartiers, ses habitants, les histoires si simples et si complexes que, finalement, le discours d’introduction a remis dans une nouvelle perspective.
Huit petites nouvelles se succèdent alors où tous les thèmes chers à Naguib Mahfouz reviennent avec délices.
Une ambiance de vieux café, la nostalgie du passé et du temps qui passe, la roue qui ne cesse de tourner sans se soucier des absents et qui efface tous les repères de celui qui revient trop longtemps après, les erreurs du père dans l’éducation de ses fils auxquels il ne sait pas donner les qualités pour lui succéder, les croyances et les superstitions qui sont capables de se développer autour d’évènements exceptionnels, mais pourtant bien naturels, les amitiés enfantines ou adolescentes qui ne résistent pas au temps et aux tournoiements de la vie…
J’adore cette magie qui, en quelques pages, est capable de créer une ambiance, un passé, une intrigue, un présent, un enseignement et un avenir.
Toutes ces histoires, imprégnées d’un lieu et d’une époque, gardent une actualité extraordinaire tant l’acuité de l’observation et de la perception de ses contemporains par le narrateur est puissante, perspicace, fine et universelle.
Je n’ai eu qu’une fois la chance de boire un thé à une terrasse d’un vieux café dans une petite rue d’un quartier du Caire : la lumière, le bruit sont toujours présents à mon souvenir malgré les années. Et, quand j’y pense, je me demande si Naguib Mahfouz n’était pas justement là à nous y observer.
Naguib Mahfouz, trad Marie Francis-Saad – Le voyageur à la mallette (suivi de Le vieux quartier) – Signatures Points – 9782757828588 – 6,60 €
[Source : www.actualitte.com]
Sem comentários:
Enviar um comentário