Tel le vaisseau fantôme où se situe la plus grande part de son tortueux récit, le nouveau film de F. J. Ossang dérive de film noir en fantastique, d'hypnose visuelle en chant funèbre.
Paul Hamy et Elvire
Qui connaît l’œuvre singulière de F. J. Ossang en retrouvera sans surprise les principaux signes: le noir et blanc expressionniste, la musique punk rock, un sens du fantastique hanté par la mémoire de Fantômas et du cinéma noir américain. Un cocktail très particulier d’énergie et d’élégance, de révolte et de mélancolie, où l’humour n’est jamais loin.
Bande annonce du film
Qui découvrira cet univers a de bonnes chances d’être séduit par son romanesque échevelé, sa liberté d’écriture en images et en sons, la noblesse lasse mais intraitable des figures (inséparablement personnages et interprètes) qui y apparaissent.
Septième continent et septième art
Il y aurait un groupe d’activistes au service d’une cause obscure, sinon oubliée (y compris d’eux-mêmes), mais détenteurs d’une arme terrifiante. Sous les signes de Jules Verne et de Boris Vian, il y aurait un trafic mortel, des gangs, une dictature aussi omniprésente qu’évanescente. Des morts.
Il y aurait un navire, vaisseau fantôme ou cercueil flottant, un docteur aux inquiétantes potions, des marins assassins, des histoires de séductions et de trahisons en cascade. Et ce septième continent de déchets autour duquel tout gravite peut-être déjà, Éden post-apocalyptique ou enfer ultime.
Ici, tout est obscur.
Le riff de guitare électrique saturée a souvent pu faire modèle pour les films d’Ossang. Ici ce serait plutôt une mélopée, une incantation funèbre. Malgré la course-poursuite très Troisième Homme du début, malgré le MacGuffin irradiant très En quatrième vitesse, l’humeur est plutôt à la dérive qu’à la cavale.
Le danger ici, ce ne sont pas forcément les ennemis, innombrables, invisibles, mortels (c’est bien le moins). Les ennemis sont plutôt des alliés. Avec eux il y a quelque chose à faire: se battre, raconter une histoire, gagner et perdre.
La véritable menace est plutôt l’enlisement, une hypnose du quotidien qui devient une narcose.
Messages codés et légendes spectrales
Peu de mots, des phrases comme des messages codés ou des blagues au soixante-treizième degré, mais des présences pour lesquelles semble avoir été inventée la formule «lourdes de sens». Le ou les sens ne seront jamais explicités.
C’est leur possibilité, menaçante, séduisante, joueuse qui, autour de Paul Hamy en héros d’une histoire à laquelle il ne comprend rien, organise la gravitation de ces planètes obscures auxquelles Pascal Greggory, Gaspard Ulliel, Damien Bonnard, Elvire ou Lisa Hartman prêtent un visage volontiers baigné d’ombre et d’inquiétude, un corps comme épuisé des mille histoires déjà advenues et contées, une voix dont la tessiture fait douter qu’il y ait encore à dire.
Le danger ici, ce ne sont pas forcément les ennemis.
Mystérieux mais vibrant de légendes spectrales et d’inquiétudes bien réelles, bien contemporaines, 9 Doigts ne peut pas, au moment de sa sortie, apparaître autrement que comme une réponse bien plus riche et ouverte à un film récent qui recourt, en apparence, aux mêmes méthodes stylistiques et oniriques. Par comparaison avec Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico, qui semblait croiser dans les mêmes eaux mais assez vite sous pavillon de complaisance, on constate d'autant mieux l’audace et la liberté de 9 Doigts.
9 Doigts
de F. J. Ossang, avec Paul Hamy, Pascal Greggory, Damien Bonnard, Gaspard Ulliel, Lisa Hartmann, Elvire, Alexis Manenti, Diogo Doria.
Durée: 1h39. Sortie le 21 mars 2018
[Photos et bande annonce : Capricci - source : www.slate.fr]
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