segunda-feira, 14 de agosto de 2017

Mauvaise langue

Un dialogue amoureux en divers niveaux de langage et en diverses langues, du français au franglais puis au globiish.
Écrit par Jean-Philippe Costes
Un seul regard sur votre doux profil et voilà que mon âme est à jamais broyée. Belle du ciel que reste-t-il à celui que votre grâce a soudain foudroyé? Je suis muet, désarmé, réduit à l'impuissance. Souffrez que j'en appelle à votre bienveillance. Accordez-moi ne serait-ce qu'une brève audience. Mieux vaut périr cent fois que subir l'indifférence. O rêve éveillé, j'attends votre signe. Faites-moi par pitié cet honneur insigne. 
Cher ami, je ne vois nulle honte dans tes phrases. Autorise toutefois ton humble conseiller à critiquer leur emphase. Au temps de Shakespeare, ta poésie aurait provoqué l'extase mais avec le monde d'aujourd'hui, elle a cessé d'être en phase. Daignerais-tu ajouter un soupçon d'anglais à ton fébrile discours? Le mariage des langages est notoirement utile à ceux qui font la cour. Consentirais-tu par ailleurs à être plus terre-à-terre? Des envolées trop lyriques t'empêcheraient d'apprivoiser ta mégère. 

Hello, Milady, je suis fan de votre look. J'ai d'ailleurs liké votre page sur Facebook. Seriez-vous partante pour un petit speed dating? Pour moi, c'est OK, pas besoin de brainstorming. 

Cher camarade, tes amendements sont aussi radicaux qu'héroïques. Soit dit sans ambages, j'ai hélas quelques doutes concernant ton lexique. Et si ta jolie gueuse n'entendait que les termes populaires? Prends des précautions, simplifie ton vocabulaire. 

Je vous ai à la bonne, petite madame. Je ne sais pas comment jacter, devant vous je rame. C'est plus fort que moi, j'ai le palpitant qui s'emballe. J'essaie bien de le mettre en veilleuse, mais à chaque fois c'est peau de balle. Comme vous n’êtes pas une gourde, ouvrez donc vos esgourdes: ça vous dirait de m'accompagner à Paname? A votre bon coeur, ma petite dame!

Cher compère, je reste sans voix. Je crois que tu es sur la bonne voie. Permets-moi néanmoins de faire une autre suggestion. Il s'agira là de mon ultime contribution: si tu veux séduire ta reine, rends tes métaphores plus contemporaines. 

Je te kiffe grave, sois ma meuf. Si tu savais ce que j'en bave, tu me fais un effet boeuf! Quand je te vois, j'en tombe sur le coccyx. S'il te plaît, Mademoiselle, file-moi ton 06. 

Cher soupirant, j'ai lu votre missive avec intérêt. Vos vers, malheureusement, sont dignes d'un goret. Si j'étais votre Roxane, piètre Cyrano, useriez-vous de tels mots pour déclarer votre flamme? Jamais Roméo n'aurait gagné sa Juliette avec de gros sabots et de vulgaires bluettes. J'aurais fort apprécié d'entendre, à la place de "kiffer", aimer, adorer, désirer, vénérer et autres verbes tendres. La "meuf" que vous convoitez tue notre idylle dans l'oeuf. Il faut plus que des formules faciles pour rendre une femme docile. La prose des bas-fonds a bonne presse de nos jours. Elle paraît pittoresque aux nababs dans leurs tours. Les pauvres gens que vous singez, cependant, n'adoptent pas ces sentences par choix. Ils comblent leur manque de lettres bon an mal an, nécessité fait loi. Le sabir des gangs n'enrichit pas la Langue, il contribue à l'appauvrir. Quand le Dictionnaire sera exsangue, que pourrez-vous encore écrire? Qui trop embrasse les modes mal étreint. Je laisse les effets commodes aux simplistes, aux suivistes et semblables crétins.


[Source : www.agora.qc.ca]

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