terça-feira, 16 de maio de 2017

Carambole, Jens Steiner sous l'œil de son traducteur

Jens Steiner, son traducteur François Mathieu et la maison Piranha ont présenté au Goethe Institut à Paris Carambole, fascinant roman de village où « rien ne se passe. Tout se passe ». Le couple auteur-traducteur était également invité au salon Le livre sur les quais à Morges qui fêtait les 25 ans du Centre de Traduction Littéraire de Lausanne.



Écrit par Claire Darfeuille

 
« C'est un livre que j'avais hâte d'avoir fini de traduire pour mieux l'aimer et le comprendre », dit de Carambole son traducteur François Mathieu qui souligne par ailleurs qu'il est « rare d'avoir à traduire l'humour ». Une première lecture achevée, le lecteur connaîtra immanquablement l'envie de reprendre depuis le début pour mieux apprécier ce récit en douze tableaux d'un village suisse où tout semble immobile. Et pourtant, une star locale du tennis disparaît, un sans-logis est retrouvé mort, une mère kidnappe son fils, un flirt entre ados dégénère, une explosion se produit…

« Il se passe beaucoup de choses sans que l'on s'en rende compte », confirme Jens Steiner dont le village d'enfance dans la région de Zurich a servi de « matériel  empirique ». Avec un regard d'entomologiste, l'écrivain dissèque les minuscules déplacements intérieurs et extérieurs qui jalonnent le quotidien des habitants. « Lorsque je lisais, je me disais : ce village, je le connais, c'est chez nous ! », raconte François Mathieu, qui rappelle l'accueil fourches en main réservé à Josef Winkler dans son village de Carinthie après la parution de ses premiers romans… Rien de tel à Hausen am Albis où ont été données des lectures de Carambole, « les gens ne savaient pas comment réagir, s'ils devaient être intéressés ou touchés », relate l'auteur.

Né en 1975, Jens Steiner a étudié la littérature et la philosophie, été lecteur dans plusieurs maisons d'édition avant de se consacrer à l'écriture. Sa carrière d'écrivain fut plus que fulgurante avec un premier roman déjà remarqué Hasenleben (Dörlemann, 2011, non traduit) ; chacun de ses livres a été inscrit sur la liste du Prix du Livre allemand et Carambole a reçu le Schweizer Buchpreis. Cette reconnaissance immédiate a été « un encouragement à continuer », commente modestement l'auteur.

Un roman kaleïdoscopique qui se lit d'une traite

« L'attente est le personnage impalpable du roman », poursuit François Mathieu, qui tente de livrer un mode d'emploi de ce roman kaléidoscopique qui se lit d'une traite. Happé dès les premières pages, le lecteur accumule au compte-gouttes les menus indices qui permettent de reconstruire peu à peu  la vie des uns et des autres et les liens qui les unissent. « Les histoires font elles-mêmes carambolage », remarque — en français — Jens Steiner. Celui-ci dit avoir passé « deux ans d'un travail intensif » à tirer les fils de ces douze récits qui sont autant de perspectives. Le regard est du reste la clef du roman et la remarque d'une villageoise peut être une solution à l'attente : « Elle pensa : Je ne regarde pas comme il faut, voilà pourquoi tout reste silencieux. »


« Sa beauté réside dans le style, mais aussi dans la construction qui invite le lecteur à jouer », selon François Mathieu. Suivre une voie, l'abandonner, recouper les informations, s'engager sur une fausse piste… « Jusqu'où peut-on aller sans frustrer le lecteur ? », s'interroge la journaliste Katja Petrovic, qui anime la rencontre. Jens Steiner salue alors le travail éditorial qui lui a permis d'éviter cet écueil. S'il se dit marqué par les expériences avec la forme menées dans les années 20, évoque Les Faux monnayeurs d'André Gide ou encore John Dos Passos, Jens Steiner cite aussi son contemporain, l'auteur germano-autrichien Daniel Kehlmann comme source d'inspiration. Se reconnaît-il dans cette littérature allemande qui marque actuellement un retour des « romans de village » en place des récits de jeunes citadins branchés ? « Je ne peux définir ma place dans ces mouvements littéraires. Je fais ma chose… » Une chose bien difficile à définir.

Tout à la fois, chronique villageoise et enquête à rebondissements multiples, le roman est aussi pétri de questions philosophiques, la liste en serait longue à dresser : de la réconciliation, sujet récurrent, avec ces deux acolytes, la honte et la culpabilité, mais aussi l'identité, la liberté, la fuite et surtout le courage, « une bombe qui déchire la peur en mille morceaux ». Celui notamment de s'inventer une histoire, tels le vagabond Schorsch et ses deux compères, les seuls a avoir, semble-t-il, trouvé à être momentanément heureux.

Grecs, Italiens, Indiens... et un peu Corses

« Intellectuellement, nous sommes des Grecs, car nous croyons à la rhétorique, aux palabres, à la parole. Nous nous donnons des noms italiens, car nous croyons que tout tragique relève, par un côté, de la comédie. Nous jouons à un jeu indien qui se joue sur un plateau, car nous croyons en Vishnou, l'éternel conservateur et réconciliateur ». Ainsi décrit Gustavo cette improbable troïka d'amis dont le seul point commun est le « méditerranéisme ». Rasséréné et repu après chacune de leur amicale réunion, le trio reste néanmoins sur ses gardes. « Nous sommes bien, mais à la porte de notre loge, le tragique attend, en surveillant dépourvu d'humour ».

Première parution des Éditions Piranha, le roman de Jens Steiner s'inscrit très précisément dans la ligne que s'est fixée la jeune maison d'édition, à savoir « faire découvrir aux lecteurs francophones des auteurs reconnus dans leur pays natal pour la qualité stylistique de leur œuvre ou pour la rigueur scientifique de leurs recherches. Un soin particulier est apporté au choix des traducteurs pour restituer au mieux les textes originaux ».

25 titres de littérature étrangère devraient paraître cette année, avec une prédilection pour la littérature allemande, « souvent malmenée en France », selon Jean-Marc Loubet, l'un des deux cofondateurs des éditions Piranha.


[Source : www.actualitte.com]

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