Jazz, tracteurs et ventrèche: un samedi soir dans le Gers
Jean-Paul Brighelli
Reportage de notre envoyée spéciale, XXX, à Fourcès (Gers)
Natacha Polony a sorti en octobre 2015 Nous sommes la France (Plon), que l’auteur de Bonnetdane, le diable le patafiole, a cru bon de ne pas chroniquer l’année dernière… Un livre qui met le nez de la gauche dans ses dénis, et ne nous oblige pas, enfin, à choisir entre Edwy Plenel et Eric Zemmour.
Nous sommes la France exalte cet élément impalpable, donc essentiel, qu’est la francité. Qui tient à une histoire, à une géographie, à un peuple, à une civilisation. Bon, ça, c’est la théorie. La pratique, c’était samedi soir, à Fourcès.
C’est très joli, Fourcès. Un village construit en circulade autour d’un château dont il ne reste qu’une place ombragée par trente-six platanes, pas un de moins, au centre de la cité. Des délices gastronomiques comme partout en Gascogne. Et du jazz. Samedi 13 août, c’était « Marciac in Fourcès ». Un codicille au célèbre festival de jazz, devenu au fil des ans une institution dans ce même département.
Le parking était un champ sur lequel flottaient des banderoles annonçant pour dimanche une grande exposition de matériel agricole. Mais en attendant, où étaient donc les tracteurs ?
Nous nous sommes garés, et nous avons conflué vers l’événement.
Nous nous sommes garés, et nous avons conflué vers l’événement.
L’événement, c’était Sylvia Howard et le Black Label Swingtet, qui tournent ensemble depuis déjà quelques années. Billie Holiday revenue d’entre les morts. Du blues solide et râpeux chanté par une Noire quelque peu métissée, une quasi sexagénaire habillée d’un jean léopard à vous convertir au saphisme. Et les grands standards de Duke Ellington — par exemple une version extraordinaire de Sophisticated lady.
Pendant qu’elle distillait suavement I wanna go somewhere, d’autres faisaient escale à la buvette et s’enfilaient une crêpe, que Bernadette et « maman » — était-ce la sienne ? était-ce une « mère universelle », comme dit quelque part Brassens ? —, aussi pittoresques l’une que l’autre, envoyaient avec des rations de floc de Gascogne à assommer un camionneur, des barquettes de frites généreuses (et exquises, coupées main, frites sur place, pas des horreurs décongelées, mes meilleures frites depuis lurette, qui n’est pas toujours belle), et des sandwiches à la ventrèche grillée tels que Mahomet n’en dégusta jamais. Le terroir ne ment pas. Bref, la bière et l’ambiance jazzy coulaient en synchronie. Coulaient même tellement que la machine à débiter des demis, excédée, a décidé de vivre sa vie et a inondé le bar, à l’horizontale.
À la fin du concert — il était tard, le ciel de Gascogne brillait d’un premier quartier de lune absolument étincelant, le comité des fêtes avait bien fait les choses —, Michel Cardoze1, cheveux et moustache au vent, co-organisateur et présentateur de luxe de l’événement, adressa un grand remerciement aux agriculteurs locaux qui avaient barré les accès à la place avec leurs tracteurs et leurs ballots de paille pour nous protéger des fantaisies terroristes. Les conflits nouveaux remplacent les vieilles guerres.
Alors oui, j’avais beaucoup apprécié le livre de Polony, mais sous ce ciel nocturne et dans les solos de trompette, j’en ai compris le titre. Nous sommes la France, et on les emmerde.
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- Membre du PCF de 1960 à 1986. A travaillé longtemps à l’Humanité et à Révolution. A fait un bon livre sur Cyrano de Bergerac (Cyrano de Bergerac, libertin libertaire, Lattès, 1997). Pressenti par Robert Ménard pour être son conseiller culturel à Béziers. A refusé, mais travaille sur son site, Boulevard Voltaire. J’allais dire : cherchez l’erreur — mais peut-être n’y a-t-il pas d’erreur. (J.-P.B.) ↩
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