Simple alliance électorale, la Nupes est en crise profonde, sinon en coma dépassé. Pourtant, sa disparition serait l’assurance de l’échec. Pour survivre la Nupes doit profondément se transformer en changeant les rapports entre ses composantes et en s’ouvrant à des forces non partidaires pour construire un front politico-social enraciné dans la société.
Écrit par Pierre Khalfa
Dans une tribune parue dans l’Obs (reprise sur Mediapart), Philippe Marlière dresse l’acte de décès de la Nupes. Il est peut-être un peu tôt pour le faire, mais c’est entendu, la Nupes est en crise profonde, sinon en coma dépassé. Encore faut-il, si l’on veut qu’une alternative de gauche et écologique voit le jour, ne pas se tromper sur les raisons de cette situation. Il est indéniable que la Nupes est née avec deux faiblesses congénitales. La première est liée à ses conditions d'émergence. Cette alliance est née suite à l'élection présidentielle de 2022 qui a vu LFI et Jean-Luc Mélenchon (JLM) s'imposer largement face à des candidats du PCF, du PS et du pôle écologiste aux résultats bien en deçà de leurs espérances. Cette situation, combinée aux règles électorales des législatives, a amené JLM et LFI à proposer une alliance aux forces de gauche et de l'écologie, qui ont accepté cette alliance rendue obligatoire si elles voulaient garder ou acquérir un groupe au parlement.
Les conditions d'émergence de cette alliance sont donc liées à des considérants tactiques plus qu'à des mobilisations populaires ou à un processus de rapprochement antérieur des quatre forces politiques constitutives de la Nupes. En cela, la Nupes tranche avec les expériences historiques de la gauche française, le Front Populaire des années 1930, l'Union de la gauche des années 1970 ou même la gauche plurielle des années 1990. Dans ces expériences, l'alliance était pour beaucoup le produit de mobilisations de masse et elle précédait les échéances électorales. Si nous avons connu ces dernières années de nombreux mouvements sociaux, sur la défense des retraites, avec les Gilets jaunes ou les marches climat, rien de comparable avec les grèves générales de 1936, 1968 ou 1995 et surtout un rapport beaucoup plus distancié entre mouvements sociaux et alternatives politiques. Et pour ce qui concerne les partis politiques, la période précédant la création de la Nupes a été marquée par la mise en musique de divergences croissantes plus que par une volonté d'union. Ce qui constitue la seconde faiblesse. L'accession de Fabien Roussel à la direction du PCF s'est faite contre les alliances précédentes avec JLM, et les campagnes de Yannick Jadot et d'Anne Hidalgo ont insisté lourdement sur l'ampleur de leurs divergences avec JLM et LFI...
La division est l’assurance de l’échec
La question est de savoir si ces deux faiblesses sont surmontables ou si, comme le pense Philippe Marlière, la situation actuelle est inévitable. Tout d’abord, il faut remarquer que toute union repose sur des rapports de forces. Ainsi, il est assez absurde de reprocher à LFI d’avoir « proposé un pacte inégal à ses nouveaux alliés ». Lorsque le PS était le parti hégémonique à gauche, son comportement vis-à-vis de ses alliés ne s’est pas caractérisé par une bienveillance particulière, ce qui ne l’a pas empêché de gagner des élections. Philippe Marlière dénonce le « fétichisme de l’unité » et affirme que « la gauche française a essentiellement toujours été désunie, ce qui ne l’a pas empêchée de remporter des élections ». Lecture de l’Histoire assez curieuse car si la gauche a pu l’emporter, c’est justement parce qu’elle a été capable de s’unir et de dépasser ses divisions. Si l’unité ne donne aucune garantie de succès, la division est l’assurance de l’échec.
De plus, il parait contradictoire d’écrire que les organisations de la Nupes ont dû « accepter le programme de LFI » et d’écrire ensuite que « les différents majeurs ont été laissés en suspens ». En effet, si des différents majeurs ont été laissés en suspens, cela signifie que le programme adopté n’a été celui de LFI. Plus globalement, une note de la Fondation Rosa Luxemburg de juin 2023 montre qu’il s’est produit un mouvement de convergence programmatique entre les écologistes, les socialistes, les communistes et les insoumis marqué notamment, comme le reconnait Philippe Marlière, par le fait que le PS a remis le « cap à gauche ». D’ailleurs, même si le caractère passionnel du débat sur les évènements dramatiques en Israël-Palestine a semblé l’emporter sur toute autre considération, les positions des uns et des autres ont été en fait assez proches, LFI ayant sans la moindre ambiguïté condamné les « crimes de guerre » du Hamas et tous les partis de la Nupes se retrouvant d’accord pour défendre l’application des résolutions de l’ONU et une solution à deux États. Il est par ailleurs dommage que Philippe Marlière laisse entendre que JLM développe des « tropes antisémites ». Cela n’est pas acceptable. L’antisémitisme, comme toutes les formes de racisme, est un délit. En accuser quelqu’un est extrêmement grave et ne peut être instrumentalisé dans un combat politique.
Cependant certaines des positions de LFI n’ont pas été sans poser problème. Sa crédibilité a d’abord été amoindrie quand a été révélé au grand jour un fonctionnement interne totalement contradictoire avec son projet de démocratisation de la société française. Mais surtout, dominer dans une alliance implique de tenir compte de ce que pensent ses alliés. Ainsi, le fait de refuser d’aller au vote sur l’article 7 de la loi sur les retraites - et quoi que l’on puisse penser du bien-fondé ou pas de cette tactique parlementaire – alors même que les autres forces de la Nupes et l’intersyndicale étaient favorables au vote, ne pouvait qu’entraîner des tensions importantes. Il en a été de même pour l’élection au Parlement européen. La dramatisation de l’enjeu et le refus que les autres forces de la Nupes puissent se compter à cette occasion ont pesé lourd dans la situation actuelle, même si on peut penser qu’une liste unique aurait été la meilleure solution pour favoriser la cohésion de l’alliance. Or une telle cohésion se construit surtout dans l’affirmation d’un profil politique commun malgré les sensibilités différentes. Force est de constater que cela a été impossible.
Consolider et élargir
Le défi pour la gauche et l’écologie politique est d’être en capacité de construire un rassemblement majoritaire sur la base de mesures de rupture avec l’ordre existant. Cela signifie être capable de porter un projet qui soit radical dans ses objectifs tout en rassurant dans sa démarche. Or, le choix politique de JLM et du groupe dirigeant de LFI d’une conflictualité verbale quasi permanente, qui semble confondre radicalité du projet et virulence du discours, ne peut qu’inquiéter une partie non négligeable de l’électorat qui pourrait être disponible potentiellement à voter à gauche. Il est d’ailleurs assez curieux que JLM, capable lors des campagnes électorales d’apparaître comme le rassembleur de la gauche et même au-delà, devienne une personnalité fortement clivante ensuite. Quoi qu’il en soit, l’impossibilité de construire un profil politique commun a été une des causes majeures de la crise de la Nupes.
Certes la faute n’en revient pas uniquement à LFI, le PCF de Fabien Roussel se faisant un plaisir de dézinguer à tout va la Nupes dans une fuite en avant identitaire. De plus, Olivier Faure et la direction du PS sont soumis à la pression constante d’une aile qui n’aspire qu’à revenir aux errements néolibéraux du hollandisme ; et EELV, maintenant « Les écologistes », ne semble pas avoir totalement renoncé à jouer cavalier seul. Dans cette situation, la solution ne peut venir simplement d’un raccommodement, au demeurant peu probable, des forces politiques. Pour empêcher la mort de la Nupes, il faut la transformer profondément. Sous peine de disparaître, elle ne peut se réduire à une alliance électorale entre des partis politiques soumis à une logique concurrentielle qui ne peut que s’accroître à mesure que le temps passe et que l’élection présidentielle se rapproche.
Élargir la Nupes à des forces non partidaires – associations de défense des droits, d’éducation populaire et/ou de lutte, fondations, think tanks, mouvements et pourquoi pas des organisations syndicales - pour en faire un front politico-social est une des conditions pour qu’une alternative politique s’enracine dans la société et ne se contente pas d’être simplement présente sur le terrain de l’affrontement parlementaire. Non seulement un tel élargissement engagerait une dynamique politique qui conforterait sa crédibilité, mais, en permettant de sortir du face à face entre les partis politiques, ce serait aussi un moyen d’en relativiser les dissensions et surtout de les traiter en créant un cadre qui dépasse les partis politiques.
Il ne faut pas se cacher les difficultés d’une telle perspective. Elle remet en cause le partage traditionnel des tâches entre partis politiques et forces du mouvement social. Elle doit vaincre la réticence de ces dernières à s’engager dans une approche qui vise une victoire électorale, réticence paradoxale alors même que toute leur action se situe sur un terrain politique. Elle doit vaincre surtout leur méfiance - justifiée - par rapport aux tentatives régulières d’instrumentalisation et d’hégémonie dont elles sont l’objet de la part des partis politiques. Elle implique donc avant tout de la part de ces derniers un changement d’attitude et le fait d’accepter que les forces du mouvement social soient des partenaires égaux en droits et en dignité dans un cadre où les décisions doivent être prises en commun.
Alors que la gauche et l’écologie politique, ensemble ou divisées, restent encore minoritaires dans le pays et que l’extrême droite voit se rapprocher la perspective d’arriver au pouvoir, se satisfaire de la situation présente en espérant pouvoir en tirer profit serait suicidaire. Rien n’est encore perdu, mais le temps presse.
Ce point de vue a été publié avec un autre titre sur le site de l’Obs, le 2 novembre 2023.
https://www.nouvelobs.com/opinions/20231102.OBS80342/la-nupes-est-en-crise-profonde-le-defi-de-la-gauche-est-de-construire-un-vaste-rassemblement.html
[Source : blogs.mediapart.fr/pierre-khalfa]
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