quarta-feira, 15 de junho de 2016

Qui sont les olim de France ?

Par Guitel Benishay


Certes ces dernières années ont vu une augmentation remarquable de l’alya des Juifs de France. Mais, dans les faits, depuis 1968, au lendemain de la Guerre des Six Jours, ces derniers n’ont cessé d’arriver par vagues plus ou moins importantes.
Le Dr. Itzhak Dahan a décidé de réaliser sa thèse de doctorat sur ce phénomène: ”La Alya des Juifs de France entre 1968 et 2014: Entre intégration et isolement”. Qui sont les olim de France? Qu’est-ce qui les caractérise? Comment le visage de cette alya a-t-il évolué pendant toutes ces années? La grande question que pose cet universitaire est : peut-on parler d’une identité collective des olim de France et si oui, quelle est-elle?
Ce travail est unique: jusqu’à aujourd’hui personne ne s’était encore penché sur ces questions concernant les olim de France. Le Dr. Itzhak Dahan nous fait partager certaines de ses réflexions et conclusions contenues dans cette thèse aussi passionnante qu’importante pour l’avenir des olim de France en Israël. 
Le P’tit Hebdo: Quel est votre lien personnel avec l’alya française ?
Dr. Itzhak Dahan: Je suis né au Maroc. Ma famille et moi avons fait notre alya directement du Maroc en 1960, à Beer Sheva. J’ai étudié dans des écoles haredites avant d’intégrer le monde du sionisme religieux. A peine quatre ans après mon arrivée, je me sentais déjà partie intégrante de la société israélienne, ce qui s’est traduit notamment dans mon implication importante au sein du Bné Akiva. J’ai étudié la sociologie et les sciences politiques et à 24 ans j’ai intégré les rangs de l’Agence Juive.
Ce n’est qu’en 1978 que j’ai commencé à avoir mes premiers contacts avec la communauté juive de France. Je suis alors parti pendant trois ans en chli’hout à Paris. Par la suite j’ai aussi occupé ce poste au Canada, ce qui m’a permis de toucher de près au champ migratoire des Juifs francophones entre le Maroc, le Canada, la France et Israël.
En 2008 j’ai quitté l’Agence Juive et je me suis attelé à ce grand travail de recherche à partir de 2010.
Lph: Pourquoi avoir choisi précisément ce thème ?
Dr I.D.: Apres toutes ces années, j’avais le sentiment que je connaissais bien cette population. Et surtout, malgré le nombre d’olim de France depuis le lendemain de la Guerre des Six Jours et le phénomène de croissance de cette alya que l’on observe aujourd’hui, aucun travail de ce genre n’avait jamais été réalisé sur cette population.
Lph: A votre avis, pourquoi personne n’avait encore approfondi le sujet de l’alya de France sur le champ universitaire ?
Dr I.D.: Les Français arrivent, certes depuis presque 50 ans sans arrêt, mais néanmoins leur nombre reste relativement réduit par rapport à d’autres alyot: ils ne se sont pas tellement faits remarquer. Par ailleurs, les olim de France présentaient la caractéristique de rester assez éloignés de la scène publique, ils ne s’intéressaient pas au champ politique et n’attiraient pas la curiosité autour d’eux. Enfin, pour pouvoir étudier cette population, il faut en maitriser au minimum la langue et peu d’universitaires israéliens peuvent prétendre en être capable.
Lph: Quelle a été la base de votre étude ?
Dr I.D.: Je me suis intéressé au sens de la communauté chez les Juifs de France. Ont-ils apporté avec eux ce communautarisme ? Jusqu’à quel point ? Mon étude tourne autour de ce que l’on appelle en sociologie, l’identité collective.
Puis je me suis posé la question de savoir ce qui différenciait l’alya des Juifs de France dans les années 70 et celle des années 90 et 2000.
Pour cela, je me suis aidé de documentations sur les vagues d’immigration en général, que ce soit celle des Juifs d’Afrique du Nord, mais aussi des non-Juifs qui ont immigré d’Italie, du Portugal ou autres vers l’Europe ou les États-Unis. En effet, l’alya demeure une immigration, même si elle est mue par des considérations idéologiques parfois plus qu’économiques, et il s’agissait de déterminer ce qui, dans l’alya française, était commun à toute immigration et ce qui la rendait spécifique.
Lph: Le visage du judaïsme français a aussi évolué pendant les années que couvre votre étude : on est passé d’une communauté à majorité ashkénaze à une communauté à majorité séfarade. Cette mutation se reflète-t-elle dans l’alya des Juifs de France ?
Dr I.D.: Effectivement, on peut dire que dans les années 70 l’alya française était, en majorité, ashkénaze. C’est à cette époque que sont montés certains des grands du judaïsme français ashkénaze, comme André Neher ou Benno Gross, z”l.
L’alya des années 90 est plus ”nord-africaine”, puisqu’il s’agit d’olim étant nés en Afrique du Nord – et ayant transité pendant plusieurs années en France – ou de leurs enfants.
Lph: Quand on observe la façon dont les Juifs de France s’intégraient dans les années 70 et celle des années 90, faut-il aussi y voir un lien avec ces différences d’origine ?
Dr I.D.: Oui, je pense que les Juifs ashkénazes et les Juifs séfarades n’ont pas le même rapport au sionisme et de ce fait, ils ne s’intègrent pas de la même façon, une fois arrivés en Israël.
En fait, il apparait que les Juifs ashkénazes, qui sont montés dans les années 70, ont été motivés au sein des mouvements de jeunesse, ont basé leur alya sur une idéologie sioniste, mais aux tendances politiques. Je dirais qu’il s’agissait d’une alya ”rationnelle”.
Les Juifs séfarades, eux, ont toujours entretenu un lien plus affectif avec Israël. Ils y sont attirés par des considérations religieuses.
C’est pourquoi, à mon avis, les Juifs séfarades ont une force d’intégration moins importante : ils veulent de la chaleur, ils veulent qu’Israël les embrasse, ce qu’ils ne trouvent pas en arrivant et sont plus facilement déstabilisés et déçus.
Lph: Est-ce ainsi que se serait développé en Israël, le communautarisme à la française ?
Dr I.D.: Ne trouvant pas cette chaleur, les Juifs de France ont ressenti le besoin de construire des communautés. C’est leur oxygène ! Ce communautarisme à la française n’a pas pour objectif de se couper de la société israélienne, mais ils pensent qu’en procédant ainsi, ils seront mieux armés pour appréhender cette société d’accueil et y entrer.
Ainsi, les Français ont construit leurs synagogues : on compte dans tout le pays plus de 110 synagogues francophones (notamment à Raanana, Netanya, Jérusalem, Ashdod). Ces lieux obéissent aux codes du judaïsme français avec un Rav à la tête de la synagogue et des activités communautaires, entre autres. Et ce qui est, à mon sens, très intéressant, c’est qu’en arrivant en nombre, les Juifs séfarades de France ont réintroduit en Israël, la culture juive nord-africaine qui était en perdition. Leur connexion avec le patrimoine nord-africain est restée très forte en France et ils font ici office de représentants de cette culture qui s’oubliait peu à peu.
Lph: Votre thèse s’intéresse longuement au rapport à la religion de ces olim justement. Qu’avez-vous découvert ?
Dr I.D.: Là encore, une différence est à établir entre les olim des années 70 et ceux des dernières années. Ceux qui sont montés il y a 40 ans étaient plus laïcs. Aujourd’hui, comme je viens de le souligner, les Juifs de France arrivent avec un bagage traditionnel plus ancré. Et ce qui est frappant, c’est que pour ces olim, l’alya est une étape de leur développement religieux. En arrivant en Israël, ils deviennent de plus en plus religieux. A la différence de leurs aînés arrivés d’Afrique du Nord, qui se sont progressivement éloignés de la pratique religieuse, les olim séfarades français observent davantage la religion après leur alya.
Lph: N’est-ce pas justement pour s’intégrer dans une société israélienne plus sectorialiste que ces olim se sentent contraints d’évoluer au niveau religieux ?
Dr I.D.: Il est vrai qu’il existe une sectorisation de la société israélienne. Il est vrai, que, contrairement au mélange qui existe en France, ici chaque synagogue a ses coutumes et tout le monde s’y ressemble.
Mais, en réalité, la société israélienne aujourd’hui est beaucoup plus tolérante qu’il y a 40 ou 50 ans. Au début de l’État et jusqu’à récemment, on parlait du ”nouvel israélien”, cette identité était intégrative et gommait les différences. Dans les années 90, avec l’arrivée des Juifs de l’ex-URSS, cette idéologie a commencé à changer. Aujourd’hui, la société israélienne est davantage tournée vers le multiculturalisme.
Il est plus facile aujourd’hui de faire accepter ses différences. D’ailleurs, sur le plan religieux, il y a un aspect que les Français importent de plus en plus : l’acceptation et la reconnaissance d’une pratique traditionnaliste du judaïsme.
Lph: Est-ce ce communautarisme qui se retrouve dans la multiplication des centres urbains francophones ?
Dr I.D.: En effet, plus les olim de France arrivent en masse, plus ils vont avoir tendance à se regrouper, à se rassurer entre eux et donc à moins s’ouvrir vers la société israélienne.
Néanmoins, il faut noter que les fameux centres urbains francophones qu’étaient Netanya, Ashdod ou Jérusalem, tendent à s’ouvrir et à se diversifier. Plusieurs acteurs sur le terrain, notamment Chalom Wach, pour ne citer que lui, ont incité les olim à découvrir d’autres horizons dans lesquels, ils se sentent bien. Ainsi, les Juifs de France s’installent de plus en plus au cœur de la Judée-Samarie, mais aussi dans des villes différentes.
Lph: Quel regard portez-vous sur la multiplication des médias en langue française : est-ce un mauvais signe pour l’intégration ?
Dr I.D.: La profusion des médias en langue française vient nous ouvrir les yeux sur une nouvelle modification du visage de l’alya de France, cette fois très récente. En effet, il y a encore quatre ou cinq ans, les médias francophones avaient une ligne éditoriale plutôt traditionnaliste. Or, cet outil médiatique, qui est un symbole de l’identité collective francophone, évolue, notamment sous l’impulsion d’une nouvelle population française installée à Tel Aviv. Elle vient nous dire : les olim de France sont aujourd’hui plus ouverts sur la société contemporaine, plus éloignés des considérations religieuses. Je ne pense pas qu’il faille y voir un mauvais signe pour l’intégration, mais plutôt un moyen pour se rapprocher de la réalité de la société israélienne.
Lph: Puisque l’on évoque l’intégration: au terme de cette étude approfondie, quelles conclusions tirez-vous quant à la capacité d’intégration professionnelle des olim de France ?
Dr I.D.: Je traiterai cette question à travers un prisme qui exprime le lien entre l’augmentation des olim et la difficulté grandissante d’intégration. En effet, l’intégration professionnelle des olim de France pâtit de cette relation qu’il faut parvenir à estomper. C’est ainsi que se multiplient les call-center ou – et c’est encore plus problématique sur bien des plans – l’alya ”boeing”.
Lph: Finalement, ce qui manque aux olim de France ne serait-il pas une capacité à s’organiser et à obtenir une représentation politique ?
Dr I.D.: Quand on observe les olim de France, on s’aperçoit qu’ils ne ressentent pas le besoin de monter une force politique indépendante. On en perçoit, tout de même quelques prémices, au niveau local dans les municipalités, mais jamais en tant que parti sectoriel. Les Juifs de France n’ont pas de culture politique qu’ils auraient emportée avec eux de leur pays d’origine. La tentative d’Avraham Azoulay, aux dernières élections, de se placer comme représentant de la communauté francophone à la Knesset, montre que les olim de France ne manifestent pas de réelle volonté d’influencer dans le monde politique.
Lph: Pourtant les Français sont connus pour savoir manifester leur mécontentement….
Dr I.D.: Je pense que, malgré tout, ils ne se trouvent pas dans une situation de détresse aussi importante pour ressentir la nécessite de s’organiser politiquement. Prenez l’exemple des Juifs d’Afrique du Nord, arrivés dans les années 50 et 60 en Israël : leur détresse économique était telle qu’ils ont été poussés à utiliser le levier politique.
Le comportement des Français s’explique par le fait qu’ils ont grandi, en France, dans la culture de l’État-Providence. Cela ne correspond pas du tout à la mentalité ici, d’où une certaine frustration. Et pourtant ici, l’État peut difficilement faire plus que ce qu’il a déjà réalisé et ce qu’il s’apprête à octroyer.
Lph: Beaucoup d’olim prient dans une synagogue de Français, lisent des journaux en français, travaillent avec des Français : cela veut-il dire qu’ils ont raté leur intégration?
Dr I.D.: Non je ne parlerai pas d’échec mais plutôt de ralentissement dans le processus d’intégration. A vrai dire, ce qui compte, ce n’est pas tellement l’immersion totale des olim eux-mêmes dans la société israélienne, mais celle de la 2e génération ou même de la génération 1,5 : ces enfants nés en France et qui arrivent en Israël encore enfants ou adolescents.
Lph: Quel impact souhaiteriez-vous que votre thèse ait en dehors du cadre universitaire?
Dr I.D.: Cette thèse est une base de travail fondamental pour le ministère de l’Alya et de l’Intégration et pour l’Agence Juive. Elle leur fournit les éléments nécessaires pour mieux comprendre qui sont les olim de France, comment ils ont évolué, et ce afin de mieux les accompagner.
Par ailleurs, j’espère aussi diffuser les résultats de cette recherche dans les médias israéliens : la société civile israélienne gagnerait aussi à mieux connaitre ces olim.
Enfin, je poursuis mon travail, en effectuant aujourd’hui, une étude sur l’intégration des olim de France, dans le cadre du CNRS en France. Je pense d’ailleurs à faire traduire ma thèse en français en collaboration avec le CNRS.
Lph: Personnellement êtes-vous plutôt optimiste, après ce travail, sur la capacité d’intégration des olim de France ?
Dr I.D.: Je pense que si les Français font une alya de choix, qu’ils la préparent bien alors leur intégration sera possible, tout en gardant leurs spécificités, cette identité collective. En effet, les olim de France ne doivent pas renoncer à tout ce qu’ils sont pour s’intégrer correctement dans la société israélienne. 

[Source : www.lphinfo.com]

Sem comentários:

Enviar um comentário