quinta-feira, 9 de outubro de 2014

Antonioni montre la Chine de Mao comme on ne l'a jamais vue

Écrit par Pierre Haski

En 1972, Michelangelo Antonioni a filmé la Chine comme aucun autre réalisateur. Cela donne « Chung Kuo », un film de 3h40, qui n’a pas plu à l’époque ni au pouvoir maoïste, et en particulier pas à la femme de Mao Zedong, qui déclencha une grande campagne contre le réalisateur italien, ni à ses pourfendeurs qui l’accusèrent de ne rien avoir vu des horreurs du maoïsme. Trois décennies plus tard, ce témoignage unique ressort.
Le film est modestement sorti en salle mercredi, mais aussi en DVD, et Rue89 est partenaire de ce véritable événement cinématographique. De surcroit, j’ai été interviewé en « bonus » du DVD, sur le lien entre la Chine d’Antonioni et celle d’aujourd’hui.
Considéré comme un « intellectuel progressiste », Antonioni avait été invité en Chine par Zhou Enlai, le premier ministre de Mao. Sans doute s’attendait-il à ce qu’il valorise les grandes réalisations du socialisme, à l’image d’un Joris Ivens, compagnon de route du maoïsme, qui n’a jamais déçu Pékin (hasard, il y a eu récemment une rétrospective des films d’Ivens à la Cinémathèque).
Mais le résultat ne fut pas celui qu’espéraient les dirigeants du Parti communiste chinois. Et Jiang Qing, la femme de Mao, ne rata pas sa chance de marquer des points contre l’influence modératrice de Zhou Enlai. Une vaste campagne fut lancée à travers la Chine, et l’on lira avec un grand bonheur dans le livret d’accompagnement du DVD la traduction de l’article du Quotidien du Peuple, l’organe central du Parti communiste chinois, qui, en 1974, donna le coup d’envoi de cette campagne sous le titre « Intention perverse, truquages méprisables, critique du film antichinois de M. Antonioni ».

Antonioni a voulu montrer, pas expliquer la Chine

Mais le film d’Antonioni fut également attaqué de l’« autre côté », notamment par Simon Leys, l’auteur des « Habits neufs du Président Mao », pourfendeur de la Révolution culturelle, qui dénonça en quelques lignes assassines la « naïveté » du grand réalisateur qui avait sillonné la Chine sans rien voir des horreurs de la politique maoïste.
Les deux avaient bien sûr raison à l’époque. A la fois Jiang Qing, qui avait raison, de son point de vue, de considérer qu’Antonioni avait trahi les espoirs de ceux qui attendaient un film de propagande à la gloire du régime maoïste. Et Simon Leys, car les horreurs de la Révolution culturelle sont absentes de cette grande fresque.
Mais Antonioni déclare dès les premières phrases du commentaire du film qu’il n’entend pas « expliquer », mais « montrer » la Chine. Et c’est évidemment ce qui fait sa valeur trente-cinq ans plus tard. Car il le fait à sa manière, c’est-à-dire caméra à l’épaule (de son chef opérateur Luciano Tovoli, qui était à Paris pour l’avant-première et racontait quelques anecdotes savoureuses), en s’intéressant aux hommes et femmes de ce pays plutôt qu’à ce que voulaient lui montrer ses guides tatillons. De manière impressionniste, on découvre donc une Chine et des Chinois comme on ne les a jamais vus, et comme on a du mal à les imaginer aujourd’hui, après trois décennies de modernisation à marche forcée.

Un témoignage exceptionnel sur la Chine de Mao

Interdit à l’époque, le film n’a été redécouvert par les Chinois qu’en 2004, à l’occasion d’une projection à l’Institut du cinéma de Pékin, et par la vente sauvage dans les rues de Pékin d’un DVD pirate de la version italienne du film ! Les Chinois nés après 1979, je peux en témoigner, ouvrent des grands yeux et sont fascinés par ce qu’ils découvrent sur la société d’« avant » et dont il n’existe, en film, qu’une image d’épinal de propagande sur les grandes mobilisations politiques ou les grandes réalisations du régime.
Première image symbolique : là où les archives ne contiennent que les parades de gardes rouges devant Mao, Antonioni ouvre son film en plantant sa caméra sur la place Tiananmen un jour ordinaire, quand les Chinois se font photographier devant la Porte de la Paix Céleste et son célèbre portrait du grand timonier. Scènes de la vie ordinaire en Chine révolutionnaire, à la fois banal et émouvant. Un véritable régal qui dure 3h40 dont voici un avant-goût : cette scène d’ouverture du film sur la place Tiananmen, avec une chanson à la gloire de Mao que tous les enfants apprenaient à l’époque. (voir la vidéo ci-dessous)



[Source : www.rue89.nouvelobs.com]

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