C’est en Alsace, à Sainte-Marie-aux-Mines, à 70 kilomètres au sud de
Strasbourg, qu’est né le mouvement religieux des Amish au XVIIème
siècle. Aujourd’hui, leur langue, proche du dialecte alsacien, témoigne de cet héritage.
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Buggy sur une route de Pennsylvanie. Longtemps surtout fermiers, les Amish ont, ces dernières décennies, diversifié leurs activités. |
Quand Thierry Kranzer, fonctionnaire onusien et président de l’Union Alsacienne de New York,
a le mal du pays, il part se ressourcer à Strasburg, le temps d’un
week-end. Pas besoin de prendre l’avion et de traverser l’Atlantique :
en moins de trois heures de route, après avoir traversé le New Jersey et
dépassé Philadelphie, le voilà arrivé à bon port. Au milieu des fermes
amish, ce natif de la région de Colmar est pourtant bien loin de la
cathédrale Notre-Dame, des canaux de la Petite France et des coteaux
d’Alsace. Il n’empêche : à Strasburg, en Pennsylvanie, Thierry Kranzer
se sent quand même un peu chez lui.
« Un pays sans télé ni téléphone »
Ici,
les voitures, prudentes, côtoient pourtant les petites carrioles noires
des femmes en longues robes et de leurs maris en longues barbes. Sur
ces routes de campagne tranquilles, le long desquelles quelques panneaux
vantent aux visiteurs toutes les curiosités du « pays sans télé ni
téléphone », des adolescents se déplacent en patinette.
Et les rares libraires affichent en devanture les best-sellers de la littérature amish, dont le très demandé Voyage de Katie vers l’amour.
Son auteur, Jerry Eisher, l’une des vedettes du genre, a déjà à son
actif près d’un demi-million d’exemplaires vendus, grâce notamment à sa
série « Le cœur d’Hannah » qui – déjà – mêlait romance à l’eau de rose
et vie traditionnelle à la ferme.
280 000 Amish en Amérique du Nord
Le comté de Lancaster est le berceau des Amish de ce côté de l’Atlantique. Au début du XVIIIème
siècle, le fondateur de la Pennsylvanie, William Penn, quaker chantre
de la tolérance religieuse, a ouvert en grand les portes de la région à
cette population originaire d’Allemagne et de Suisse, persécutée en
raison de sa raideur et de son austérité religieuse.
Par la
suite, poussées par une forte croissance démographique, des familles ont
mis le cap à l’ouest – dans l’Ohio voisin, d’abord, puis dans
l’Indiana. Ces trois États regroupent les deux tiers des quelque 280 000
Amish d’Amérique du Nord, où ils vivent toujours, à des degrés
variables, loin de la modernité. C’est d’ailleurs ici, à deux pas de
Strasburg, qu’a été tourné Witness, le film qui, en 1985, avait fait connaître au monde entier la réalité de cette population discrète.
Pourtant,
Thierry Kranzer se sent un peu comme chez lui en Pennsylvanie. Parce
que c’est un univers rural, comme à la maison. Mais surtout parce que le
dialecte des Amish de Strasburg est très proche de celui de Strasbourg…
« J’arrive là-bas et je rencontre des gens avec qui parler ma langue natale, c’est formidable, explique-t-il. Ils sont soit Amish, soit ont été élevés dans une famille amish avant de prendre leur distance. Et quand je leur dis d’où je viens, beaucoup sont très touchés, très émus ».
Sainte-Marie-Aux-Mines, le berceau des Amish
Et
pour cause : c’est à Sainte-Marie-Aux-Mines, une commune du Haut-Rhin, à
70 kilomètres de Strasbourg, qu’est née cette religion à la fin du
XVIIe siècle. Et comme les communautés vivent entre elles, que les
enfants sont instruits dans des écoles amish, la langue s’est conservée.
Bien qu’appelée improprement Pennsylvania Dutch (« Hollandais de
Pennsylvanie »), elle est bien de la famille des dialectes parlés en
Alsace et dans les régions alémaniques avoisinantes.
« Cette
population puise ses origines dans le courant anabaptiste, né au
XVIe siècle en Europe dans le cadre de la Réforme protestante, explique-t-on au Mennonite Information Center de Lancaster, principale ville du comté. Les
Anabaptistes croyaient au baptême des fidèles adultes, à la séparation
de l’Église et de l’État et rejetaient la participation à la guerre. Ce
courant a donné naissance à plusieurs branches, dont les Mennonites et
les Amish ».
Jacob Amman et le refus de la modernité
C’est
en Alsace que la rupture a été consommée avec les Mennonites, sous
l’impulsion de Jacob Amman. Cet émigré bernois avait trouvé refuge à
Sainte-Marie-aux-Mines à l’époque de la fin du règne de Louis XIV,
entouré d’un petit groupe d’une soixantaine de familles.
Confronté
à un anabaptisme qu’il jugeait trop tempéré, Jacob Amman prôna une
orientation conservatrice et plus rigoureuse de la discipline : pour
lui, il était urgent de revenir aux principes de retrait du monde, au
cœur du refus des Amish de la modernité. La tenue vestimentaire austère –
il était tailleur de métier – est le reflet extérieur de cette rigueur.
Plus 5 enfants par foyer chez les Amish
Les
Amish se distinguent également par le nombre élevé d’enfants par foyer –
plus de 5 en général. Ce qui explique que cette communauté augmente
(ils n’étaient que 130 000 au début des années 1990 en Amérique du
Nord)… et que les États-Unis comptent aujourd’hui une dizaine de villes
nommées Strasburg.
Strasburg, dans l’Ohio, est ainsi née quand,
faute de terres, des familles ont quitté le comté de Lancaster pour
l’Ouest et ont donné naissance dans cet autre État à une commune qu’ils
ont naturellement appelée… Strasburg ! C’est également un Alsacien ayant
quitté l’Europe pour la Pennsylvanie, avant de partir plus au Sud, qui
est à l’origine de Strasburg, en Virginie.
Plusieurs Strasburg nords-américains
Même
le Dakota du Nord, à plusieurs milliers de kilomètres de là, compte une
bourgade nommée en honneur de la capitale alsacienne. Elle a sans doute
été fondée au début du siècle par des descendants de pionniers ayant
délaissé le Rhin pour s’installer dans la province canadienne de la
Saskatchewan, juste au nord du Dakota.
Thierry Kranzer, qui traque
les Strasburg d’Amérique du Nord, avait poussé jusqu’à ce petit village
lors d’un périple sur les traces du chef Sioux Sitting Bull. Et raconte
comment il avait engagé la conversation avec des habitants d’un certain
âge : en dépit des années et des kilomètres, ils parlaient encore la
langue de leurs ancêtres partis d’Alsace…
GILLES BIASSETTE (de Strasburg)
[Photo : Bradley C Bower/Reuters - source : www.la-croix.com]
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