Par Anne Bernas
Alors que la journée internationale de la Francophonie
consacrée aux droits des femmes vient de s’achever, le Salon du livre de
Paris remet à l’honneur la langue de Molière aux quatre coins de la
planète. Parmi les pays du bassin méditerranéen, le Liban est sans
conteste le meilleur ambassadeur de la langue française... et de ses
difficultés. Bien que le Pays du cèdre ait pour langue officielle
l’arabe, y entendre parler français est dans la nature des choses. Dans
les allées du salon parisien, au stand du Liban, un petit livre intitulé
Faux et usage de fautes, mieux parler français au Liban, fait beaucoup causer les visiteurs…
Le stand du Liban, entre langue arabe et française, au Salon du livre de Paris, le 22 mars 2013. |
Quel voyageur n’a jamais eu le sentiment d’être dans le sud de
l’Hexagone, alors qu’il arpentait les rues animées de Beyrouth ? A une
exception près cependant : les Libanais manient la langue de Molière
d’une façon particulière, qui rappelle au visiteur qu’il est en Orient.
Des mots tressés, métissés, que les Libanais pensent être du « vrai »
français. C’est de là qu’est né le « franbanais » : du français parsemé
de libanismes que l’écrivain Dounia Mansour Abdelnour décortique dans
son livre Faux et usage de fautes. Avec une formidable
autodérision, son ouvrage rassemble une sélection de fautes de français
transmises de génération en génération.
Onze heures et demie cinq au stand Liban du Salon du livre de Paris…
Une première édition de Faux et usage de fautes a été lancée en 2006 au Liban par la maison d’éditions Tamyras. L’auteur y évoque les libanismes tels que « un jour oui, un jour non » (pour dire « un jour sur deux »), ou bien encore « je vais à la toilette » (pour « je vais aux toilettes »). Mieux encore, au Liban, le serveur d’un café risque d’être désemparé si le client lui demande « une paille pour boire son soda ». Là-bas, c’est « un chalumeau », qu’il faut pour siroter… Et quand il est onze heures et demie cinq à Beyrouth, il est onze heures trente-cinq à Paris…
Le succès de Faux et usage de fautes surprend son auteur comme son éditeur. Une seconde édition voit alors le jour et l’ouvrage se diffuse en France via
la maison L’oiseau indigo, en 2009, au grand bonheur des milliers de
Libanais vivant dans l’Hexagone. Dans ce nouvel ouvrage s’ajoutent les
mots français qui sont entrés dans la langue arabe.
Adieu l’arabe « Isstahmamt bil’rachach » signifiant « j’ai pris une douche ». En franbanais, on dit désormais « daouachat » , du verbe se doucher, ou bien encore « daoukaret », pour dire « j’ai décoré ». « Les mots français deviennent alors des mots libanais, avec l’accent ! s’amuse Tania Hadjithomas Mehanna, directrice de la maison d’édition Tamyras basée à Beyrouth. C’est une vraie invention ! »
Et c’est une belle revanche. Parce que les Français ont pris beaucoup
de mots à l’arabe, étymologiquement : artichaut, sucre, alcool, sorbet,
sofa, etc… « C’est un voyage, raconte Tania Hadjithomas Mehanna. Les
mots sont venus du monde arabe, puis ils sont allés en Espagne, puis en
France… Aujourd’hui c’est nous qui chipons des mots au français ! Et on
les arabise ! C’est un juste retour des choses ! »
L’« englibanais » en concurrence avec le « franbanais » ?
Tania Hadjithomas Mehanna, directrice de la maison d'édition Tamyras, au Salon du livre de Paris, le 22 mars 2013. |
Bien que dans près de 75% des écoles le français soit la seconde
langue enseignée après l’arabe, nombre d’étudiants s’orientent vers la
langue de Shakespeare, au détriment de celle de Molière.
L’« englibanais » pointerait-il son nez ? Pour Tania Hadjithomas
Mehanna, le français a un long avenir devant lui. « Au Liban comme
ailleurs, des mots anglais apparaissent dans le vocabulaire quotidien,
mais ils ne suppriment pas pour autant de mots arabes ou français, ils
s’y ajoutent et s’y mélangent. L’anglais est devenu la langue des
affaires, et de la communication », explique-t-elle.
La publicité envahissante a délaissé le français pour l’anglais,
certes, mais il semble que ce soit le cas dans une grande partie des
pays francophones. Mais partout sur la planète, un « je t’aime » vaudra toujours bien plus qu’un « I love you »…
Le Liban, passerelle éternelle de la francophonie
Parler français au Liban peut donner l’image d’appartenir à une
classe sociale élevée. Mais aujourd’hui, explique l’éditrice, parler
français est aussi un acte de résistance, non pas par rapport à l’arabe
ou à l’anglais, mais par rapport à une certaine culture à préserver.
« Mais pas de craintes à avoir, renchérit Tania Hadjithomas Mehanna, les
Libanais sont très attachés au français, mais aussi à la culture
française, les valeurs françaises. Ils sont résistants ! Les
francophones sont très francophiles. Et ils le seront jusqu’à leur mort.
Ils passent à leurs enfants cet amour du français. »
Les Libanais sont bel et bien différents de leurs voisins. Leur
réputation d’être le pont entre l’Occident et le monde arabe est bien
réelle. « Parce que les Libanais vivent comme les occidentaux, qu’ils sont très modernes, parce que la femme libanaise est très moderne, analyse Tania Hadjithomas Mehanna. Ça
devient comme un acte de survie dans un monde arabe qui aujourd’hui est
en pleine reconstruction, perdition. Et on se bat pour ça ». Khalass, ça suffit !
Et l’éditrice d’alerter l’opinion sur l’avenir : « Le Liban est
tourmenté. Et les Européens viennent désormais moins vers nous
aujourd’hui. Le Liban voudrait être utilisé comme passerelle. Nous, on
vit comme l’Occident. Et l’Orient, il est dans nos gènes. On a besoin
que les autres viennent vers nous via la passerelle que nous
sommes. Et cela ne se fait pas, parce qu’on assimile trop le Liban à la
guerre, au terrorisme et au monde arabe en ébullition. »
La passerelle qu’est le Pays du cèdre entre l’Orient et l’Occident
est donc loin d’être un mythe… Et Tania Hadjithomas Mehanna, une
passionnée pour qui chaque livre est un « bébé qu’il faut porter », est là pour le confirmer. Elle esquisse un sourire complice à l’idée d’une troisième édition augmentée de Faux et usage de fautes… « Et pourquoi pas un petit dictionnaire dans les prochaines années »… Alors, Yalla !
[Photos : RFI/Anne Bernas - source : www.rfi.fr]
Salut Isac,
ResponderEliminarj'ai trouvé l'article très amusant. Et au même temps très important, vu que (en le sachant ou non) voilà qu'il parle de l'évolution des langues. Mais j'arrête ici, de crainte de commetre de tas de fautes de frantugais.
Marcus