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Un rayon de cosmétiques halal en Grande-Bretagne. |
Le marché s’est étendu par cercles concentriques aux produits alimentaires contenant de la viande ou des ingrédients issus de matières animales, puis aux produits non alimentaires et, enfin, aux services. Extrait du livre-enquête de Michel Turin.
Nous
mangeons tous halal ou cacher sans le savoir, et l'émoi suscité par
cette révélation pendant la campagne présidentielle de 2012 n'y changera
rien, car c'est toute la filière viande qui, par commodité ou
simplement pour survivre, s'est « convertie » au tout-rituel. Ce qui
n'empêche pas les consommateurs musulmans de se voir souvent proposer
des produits qui n'ont d'halal que le nom... Voici quelques-uns des
constats qui ont poussé le journaliste Michel Turin à enquêter sur le
halal, extraits de son livre Halal à tous les étals, paru chez Calmann-Lévy.
l
y a encore une vingtaine d’années, les fidèles, français musulmans, ne
mangeaient pas de porc, ne buvaient pas d’alcool et consommaient de la
viande halal. Aujourd’hui, tout est halal dans leur vie ou presque.
Le halal n’est plus réservé à la viande. Le marché du halal s’est
étendu par cercles concentriques aux produits alimentaires contenant de
la viande ou des ingrédients issus de matières animales, puis aux
produits non alimentaires et, enfin, aux services.
Le commerce halal offre aux consommateurs une quantité incroyable de
produits et propose un assortiment stupéfiant qui n’existe dans aucun
pays du Maghreb ou du Moyen-Orient.
Fethallah Otmani, porte-parole de l’agence de certification AVS, un
organisme réputé intransigeant qui s’assure dans les abattoirs que la
viande halal est bien halal, explique:
« Les entreprises se sont rendu compte de l’impact du mot “halal”. »
« Ce n’est plus que du marketing », s’exclame-t-il. Pour lui, « tout cela n’a rien de religieux ». « Ces opérations créent une ligne de démarcation supplémentaire avec les autres consommateurs non musulmans »,
constate-t-il. Les entreprises françaises, conscientes ou inconscientes
d’encourager un consumérisme discriminant, ont vu dans les interdits
alimentaires de la religion musulmane une splendide opportunité
commerciale. Les opérations de marketing ont récupéré les interdits
confessionnels pour en faire des arguments de vente. Les entreprises ont
vite compris que la mention halal rassurait le consommateur et
provoquait l’achat.
Qu’est-ce qui est halal aujourd’hui? Apparu dans les rayons des
grandes surfaces en septembre 2008 pour le ramadan, le Cham’alal n’a eu
qu’une courte existence, mais elle est emblématique de la frénésie des
acteurs de l’économie du halal. Il aurait pu reprendre à son compte le
cultissime slogan publicitaire de la marque de soda américaine, Canada
Dry, révélé dans les années quatre-vingt en France:
« Le Cham’alal avait la couleur du champagne, le goût du champagne, mais ce n’était pas du champagne. »
C’est bien d’ailleurs ce que, très vite, lui a reproché le Comité
interprofessionnel du vin de champagne (CIVC). Le gardien du temple
champenois n’a vu dans le Cham’alal qu’une contrefaçon de plus, sur les
800 à 1.000 qui occupent chaque année cinq juristes à temps plein
faisant appel quand ils en ont besoin à une soixantaine de cabinets
d’avocats. Le CIVC avait été insensible aux propos tenus par le créateur
du Cham’alal au moment de son lancement:
« Dans la France traditionnelle, le champagne est utilisé pour célébrer des événements de façon ponctuelle. On peut penser que le champagne halal aurait son utilité pour permettre à des individus musulmans de partager sur le même lieu de convivialité avec des non-musulmans lors d’une fête ou d’une célébration. »
Le Comité interprofessionnel du vin de champagne n’avait pas été davantage sensible au projet entrepreneurial.
Le quotidien Le Parisien daté du 25 septembre 2008 évoquait le « business plan » de Rachid Gacem.
Ce chef d’entreprise d’une quarantaine d’années confiait alors espérer
produire dans les deux années à venir cinq millions de bouteilles de
Cham’alal, certifié par l’Institut islamique des viandes et de
l’agroalimentaire à Bruxelles. A l’époque, la bouteille était vendue
5,90 euros chez Auchan et... 60 euros au Montecristo, un « lounge bar »
branché sur les Champs-Élysées à Paris, et la marque devait être
distribuée dans tous les Auchan de France, puis dans les Atac et les
Monoprix avant la fin de l’année 2008.
Après avoir essayé en vain de convaincre les intéressés de débaptiser
leur boisson, le CICV en avait été réduit à engager une action
judiciaire pour « radier et cesser toute utilisation de la marque et du nom de domaine Cham’alal et obtenir le retrait des circuits commerciaux et la destruction de la boisson vendue sous cette dénomination ».
Le tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 29 janvier
2009, condamnait la marque à renoncer à l’utilisation de la
dénomination Cham’alal sous quelque forme que ce soit et à payer au
comité des dommages et intérêts.
Daniel Lorson, directeur de la communication du Comité
interprofessionnel du vin de champagne, qui a vu d’autres contrefaçons,
avait du mal, cette fois-ci, à cacher son étonnement dans le quotidien L’Union daté du 5 janvier 2011, le journal qualifiant le Cham’alal de « jus de pomme pétillant »:
« Les produits halal ne peuvent être alcoolisés. Alors, détourner l’image du champagne pour un produit de ce type, c’est comme si un lait maternel se nommait champagne. C’est vraiment fort de café ! »
Mais Rachid Gacem a de la suite dans les idées, comme tout chef
d’entreprise vaillant. Chassé par la porte du marché des « boissons
festives » (il a rayé de son vocabulaire l’appellation qui a été fatale à
sa première aventure managériale), il rentrera par la fenêtre.
Cofondateur de Night Orient, « boisson festive pétillante sans alcool »
lancée en novembre 2009 et produite en Belgique, à Liège, par la
société Orient Drink, il confiait au site d’information Saphirnews le 30
décembre 2010 espérer vendre un million de bouteilles en 2012.
D’après la société Orient Drink, installée à Liège, « Night Orient est distribué dans douze pays et a été élu meilleur produit sans alcool à Dubai par un test consommateur et sélectionné comme meilleure innovation au Salon de l’alimentation (SIAL) de Paris 2010 ».
Mais toute ressemblance entre une bouteille de Night Orient et une bouteille de champagne s’arrête à la forme de la bouteille.
Le Night Orient était vendu 11,24 euros sur le site de la marque
consulté le 5 juillet 2012. La « boisson festive » fait également partie
d’un packaging très présent dans les points de vente halal ou dans les
espaces halal des grandes surfaces. Le coffret prestige Night Orient
Premium & Labeyrie réunit une bouteille de Night Orient Premium, un
bloc Labeyrie halal de foie gras de canard et sa lyre (le trancheur à
foie gras), vendu 43,99 euros.
Night Orient, comme il se doit, avait un stand au Salon du mariage
oriental, qui se tient chaque année en novembre à la Grande Halle de la
Villette, dans le XIXe arrondissement à Paris, et où les exposants proposent aux futurs mariés de « se marier comme dans un conte des Mille et Une Nuits », dromadaire et Limousine Chrysler 300 de 8,55 mètres de longueur à l’appui. « Illuminez vos fêtes sans alcool »,
proposait Night Orient à l’édition 2011 du salon dont la surface avait
doublé par rapport à l’année précédente, entre deux défilés de robes de
mariage chatoyantes au son des youyous, accompagnés de musique orientale
et avec pour voisins de stand des traiteurs halal et des organisateurs
de réceptions.
La publicité de Canada Dry a décidément fait des émules. « Ça a le goût de l’alcool, ce n’est pas du whisky, ce n’est pas de l’alcool, c’est Arkay »:
tel est le slogan de la boisson, packagée comme le meilleur whisky, que
la société américaine Arkay Beverages s’apprêtait à lancer sur le
marché français fin 2011.
Jeannette Angama, la gérante d’Arkay Beverages France, affichait
alors dans le magazine Echos d’Orient d’octobre-novembre 2011 les
grandes ambitions qu’elle nourrissait pour son whisky halal:
« A partir de décembre 2011, nous serons présents dans la plupart des magasins halal et magasins de boisson de France. Nous espérons écouler par semaine 1.000 caisses pour commencer. La bouteille de un litre en verre sera vendue 10 euros et la canette aluminium recyclable de 350 ml à 4 euros. »
Qu’importe le flacon pourvu qu’on n’ait pas l’ivresse !
Les consommateurs halal qui préfèrent la bière au champagne ou au
whisky n’ont pas été oubliés. La Sultane Kriek, la première bière halal
belge, a été mise sur le marché en janvier 2011. Roger Caulier, le
producteur, propriétaire de la brasserie artisanale Caulier, expliquait alors:
« La Sultane sera une bière 100% naturelle et fruitée, issue d’un brassage traditionnel. Ce sera un produit de la famille des bières kriek (à base de cerise), mais sans fermentation. »
En Belgique toujours, une société laitière a lancé un yaourt halal,
le Sultine, certifié par un imam. Il ne contient pas de gélatine de
porc, un gélifiant souvent utilisé dans les produits allégés. Le groupe
laitier Lactalis basé à Laval en Mayenne fabrique des fromages halal.
Chantal et Sandrine Jathet, la mère et la fille, ont lancé la
première marque de cosmétiques halal, Jamal, sans graisses animales ni
alcool, fabriquée en France. Jamal (« beauté » en arabe) propose une gamme
de dix produits (crèmes végétales de jour et de nuit, laits
démaquillants, etc.). Chantal Jathet insiste sur le fait que ses
produits sont certifiés par la Grande Mosquée de Paris et son recteur,
Dalil Boubakeur, également médecin, « a vérifié les formules », disait-elle dans le quotidien L’Union daté du 5 avril 2011, qui consacrait un article à l’installation de la marque à Reims.
Le site Saphirnews annonçait le 15 juin 2010 que la société Orapi, un
fabricant de produits d’entretien pour les professionnels, venait de
sortir une gamme de 35 produits d’hygiène certifiés halal par la Malaisie.
La gamme Halal Essentials comporte des désinfectants pour sols, des
désodorisants, des savons antiseptiques, des shampooings sans alcool ni
graisses animales.
« Donnez à votre bébé le meilleur du halal. » C’est le
discours que la marque Vitameal Baby tient aux parents soucieux d’une
alimentation non seulement saine pour leurs enfants dès le quatrième
mois, mais aussi respectant les interdits alimentaires de la religion
musulmane. Les petits pots en verre pour bébé sont à base de fruits, de
légumes, de poissons et de viande halal certifiée par l’agence de
certification AVS. C’est « la plus large gamme halal en baby food au monde »
(vendue également en pharmacie sous la marque Pharmameal Baby), d’après
le fabricant, la société Agro-Food Industrie, installée à Marrakech au
Maroc depuis 2004.
Pour les plus grands, la société Bonbons halal propose des guimauves
au chocolat, des choconours, des chamallows, des sucettes, des bâtons
fourrés halal.
« Nous importons et distribuons des bonbons gélifiés principalement de Turquie. Les ingrédients utilisés sont halal. En particulier la gélatine est certifiée halal par des organismes musulmans compétents », explique le fabricant sur son site.
Comme d’autres hypermarchés ou supermarchés, le Géant Casino
d’Angoulême propose des bonbons Haribo certifiés « halal sans gélatine de
porc ». La gamme halal des bonbons Haribo est produite en Turquie.
La Chambre de commerce et d’industrie de Bruxelles (Beci) délivre
depuis deux ans un certificat halal aux hôtels dans les chambres
desquels il n’y a pas d’alcool dans le minibar, pas de films
pornographiques à la télévision, pas de bible dans le tiroir de la table
de nuit, mais pourvues d’un petit tapis de prière à la disposition des
clients et portant l’indication de la direction de La Mecque.
A l’occasion du Euro Halal, un salon professionnel sur les produits
halal, à Bruxelles, fin novembre 2011, les organisateurs proposaient aux
visiteurs de bénéficier de tarifs spéciaux dans plusieurs hôtels de la
capitale belge, offrant aux clients des prestations halal: « room service
halal » au Radisson Blu, petits déjeuners halal au Novotel Centre Tour
Noire et à l’Hôtel des Colonies.
Les grands hôtels et les palaces se sont mis au halal partout dans le
monde –et pas seulement dans les pays du Moyen-Orient. Interviewé dans
le magazine Paris Match daté du 10 au 16 novembre 2011, Yannick Alléno,
qui a ouvert trois restaurants dans l’émirat de Dubai, se voit poser la
question:
Le chef français aux trois étoiles Michelin de l’Hôtel Meurice, le palace de la rue de Rivoli à Paris, répond:
« On fait attention. Nous passons par des circuits particuliers pour qu’il n’y ait pas de croisements de produits. Mais c’est déjà le cas au Meurice à Paris, où j’ai mon restaurant gastronomique étoilé et où les propriétaires sont musulmans. Nous possédons donc des frigos halal dédiés. »
Le restaurant L’Alambra, situé face à la cité du Clos-Saint-Lazare, à
Stains en Seine-Saint-Denis, n’est pas confronté à cette difficulté,
puisqu’il est tout halal.
Table cotée, ouverte en novembre 2006, le restaurant propose toutes
les cuisines du monde, indienne, mexicaine, algérienne, française,
japonaise. Il sert 4.000 couverts par mois.
« Les vendredis et samedis soir, c’est plein à craquer. On ne travaille que sur réservation. Nos clients viennent de toute l’Ile-de-France et même d’autres régions », expliquait
dans Le Parisien daté du 29 mars 2010 Nabil Djedjik, 32 ans, l’heureux
propriétaire de ce restaurant halal haut de gamme, également secrétaire
général du premier syndicat patronal d’entrepreneurs de confession
musulmane, Synergie des professionnels musulmans de France (SPMF).
L’Alambra a été le premier restaurant de France à proposer
l’intégralité de sa carte en version halal: tartiflette et quiche
savoyarde aux lardons de veau, jambon braisé de dinde dans le petit salé
aux lentilles, moules marinières sans vin blanc, tarte Tatin sans
graisses animales, etc.
Devant le succès rencontré par le premier, un deuxième Alambra a
ouvert au printemps 2011 à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne.
Michel Turin
[Photo : EUTERS/Darren Staples - source : www.slate.fr]
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