Si Guillaume le Conquérant, alors qu'il marchait sur Paris, n'était pas bêtement
mort écrasé sous son cheval, nous ne parlerions pas français mais normand,
langue qui mélangée à l'anglo-saxon a donné un patois à la conjugaison
simplifiée et universellement utilisé : l'anglais. Si Raymond de Toulouse, au
lieu de subventionner les troubadours, s'était doté d'une armée puissante, nous
ne parlerions pas français mais occitan. Si les ventrachoux, au lieu de se faire
hacher menu par les bleus, leur avaient foutu la pâté, nous ne parlerions pas
français mais vendéen.
Il n'y a pas de différence de nature entre le
créole et le français, pas plus qu'il n'y a de différence d'espèce entre un noir
et un blanc. La différence, la discrimination, c'est le dominant qui l'impose au
dominé, en établissant que son baragouin est la bonne façon de parler et que
celle du dominé est mauvaise. Il y réussit si bien, relayé par les prêtres et
les professeurs, que le dominé intègre en lieu-même cette indignité et que la
honte lui fait ravaler les mots que sa mère lui a tendrement appris. Bourdieu,
le sociologue qui le premier a mis le doigt sur les discriminations culturelles
tacites dont les sociétés sont truffées, disait avoir gardé une répulsion pour
l'occitan et l'accent méridional dont il avait dû se débarrasser pour intégrer
l'intelligentsia parisienne.
A partir du moment où deux êtres humains
ont convenu d'un code entre eux, qui peut être gestuel ou autre, ils peuvent
tout se dire, tout. L'outil est là, il suffit de l'utiliser. Et qu'on n'allègue
pas le manque de mots abstraits : tous les mots abstraits sont faits à partir de
mots concrets. On l'habille de latin ou de grec et hop le tour est joué!
Maintenant on utilise les sigles. Ça s'appelle le mandarinat : je vous cloue le
bec avec des mots que vous ne connaissez pas. C'est sûr que la "diarrhée" c'est
plus classe que la "foire" ou la "chiasse" et pour le certificat médical mieux
vaut avoir de l'asthénie que de la fatigue! Qu'on ne parle pas de langue
simplifiée : toutes les langues sont habitées de mouvements simplificateurs et
complexificateurs, de "cinématographe" à "ciné" par exemple.
Maintenant
parlons commerce international. Qui nie l'utilité de l'anglais? Qui nie
l'intérêt de connaître une langue parlée par un milliard d'individus comme le
chinois ou l'indien? Si vous accueillez des touristes à la Réunion, l'allemand,
le néerlandais vous donne des atouts, mais une fois que vous aurez satisfait la
demande de votre client, si vous ajoutez quelques mots en créole, vous verrez
son oeil qui s'allume. Le touriste n'est pas venu ici pour entendre le langage
du 9-3, ni même du 7-5. Il est venu pour la différence, différence de la nature
et différence de la culture.
Jean-Pierre Espéret
[Source : www.zinfos974.com]
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