sábado, 18 de novembro de 2023

« Youssef Salem a du succès », film de Baya Kasmi (France, 2022)

Écrit par Mouloud Mimoun

journaliste, critique de cinéma

C'est un second long-métrage que signe Baya Kasmi après Je suis à vous tout de suite (2015) qu’elle a coécrit avec son complice de toujours Michel Leclerc, lequel a réalisé Le Nom des gens en 2010 avec Baya au scénario. Les deux amis se sont à nouveau associés à l’écriture de Youssef a du succès, une comédie plutôt tendre qui fonctionne d’autant mieux qu’elle met en vedette Ramzy Bedia, mais tout autant une fratrie rassemblée autour des parents de Youssef, Omar (Abbes Zahmani) et Fatima (Tassadit Mandi) qui vivent dans le Midi à Port-de-Bouc.

À 45 ans, Youssef Salem a toujours réussi à rater sa carrière d’écrivain jusqu’au jour où son nouveau roman, Le Choc toxique, rencontre le succès parce que l’intrigue s’inspire des siens pour le meilleur, et surtout pour le pire ! Il est rongé par la honte car il y dévoile les tabous qui habitent souvent les familles franco-algériennes. Dès lors, Youssef aura pour hantise que ce roman, en fait autobiographique, tombe entre les mains de sa famille à la fois pieuse et prude, alors qu’il n’hésite pas à aborder les questions qui fâchent, à savoir notamment le sexe et l’homosexualité. Sa sœur Bouchra (Melha Bedia, formidable comme à chacune de ses apparitions dans les rôles des films qu’elle interprète ou qu’elle réalise) fait croire à ses parents qu’elle vit en colocation alors qu’elle est en couple avec une femme.

Baya Kasmi, qui s’est inspirée de Philippe Roth et de sa série littéraire Nathan Zuckerman, a transposé l’idée dans une famille algérienne. Dans la série américaine, la première chose que le père de Zuckerman lui demande quand il apprend que son fils écrit un livre est : « Est-ce que d’une façon ou d’une autre, Hitler aurait pu se réjouir de ce que tu as écrit ? », et c’est exactement ce que le père aurait pu demander à son fils Youssef : « Est-ce que Le Pen pourrait se réjouir en lisant ton livre ? » Adopter le ton de la comédie est apparu très vite comme une évidence pour les deux coscénaristes, car le sujet lui-même renvoyait à la tragi-comédie. Les personnages sont tous ambivalents, contradictoires avec eux-mêmes et avec leur histoire. La France est schizophrène avec ces Arabes, qui, eux-mêmes, sont schizophrènes avec la France. Ce que dit Bouchra : « En France, tout le monde a un problème avec les Arabes… même les Arabes ! » Effectivement, ces situations et ces dialogues ne pouvaient s’exprimer que par la comédie. « Les rapports au sein d’une famille sont tout aussi paradoxaux », remarque Baya Kasmi. « Car c’est la coexistence d’un amour fou et d’une exaspération folle qui produit la comédie. Les mensonges de Youssef, au fond ce n’est que cela. Il a peur de tuer son père avec ce livre, mais pour être soi-même ne faut-il pas tuer le père ? »

Le récit du film est rythmé par les allers-retours de Youssef entre Paris où il loge dans une chambre de bonne et Port-de-Bouc où vit toute la famille. Dans le TGV, il noircit son petit calepin de réflexions continues. À Paris, il est épaulé par son éditrice, que joue Noémie Lvovsky très à l’aise dans son personnage enamouré pour Youssef et active dans le monde littéraire, au point que Le Choc toxique finira par décrocher le Goncourt malgré le nombre de fautes d’orthographe que collectionne Youssef au grand dam de son père, attaché à la bonne expression de la langue française. Par ailleurs, si Youssef ne répond pas aux avances de son éditrice, c’est qu’il est très amoureux de son amie d’enfance, Léna, brillamment interprétée par la lumineuse Vimala Pons. Autre personnage du film, Rachid (Lyes Salem, très bon), sorte d’ovni, est à l’opposé de son ami Youssef, lequel est un auteur, quand Rachid, lui, fait de sa vie un roman qu’il veut réussir en tant qu’Arabe alors qu’il est marginalisé en raison justement de ses origines.

Dans sa construction, le film est divisé en deux parties : une première, en voix off, incarne le roman de Youssef, tandis que la deuxième partie et le reste du film représentent la réalité. « Il fallait que cette première partie fasse exister son univers d’écrivain, raconte Baya Kasmi, les mots devaient être remplacés par des plans et le style de la mise en scène devait incarner son écriture. Youssef ne cesse de répéter dans le film : “Et la langue ?” car il veut qu’on remarque l’écriture de son livre, que son œuvre a d’autant de fond que de forme, donc qu’il est un artiste. »

Autre enjeu de la mise en scène : le format scope qui s’est imposé à la réalisatrice qui évoque le format cinéma de son enfance, lequel vous plonge aussitôt dans l’imaginaire d’un récit ample et loin de tout réalisme social. Youssef, même s’il a pris soin de changer les noms, voire le genre, de ces protagonistes, ne trompe personne avec cette fiction qui au fond est une autobiographie.

Comme le note Marie Sauvion dans Télérama, « Baya Kasmi et Michel Leclerc à l’image de Je suis à vous tout de suite et du Nom des gens traquent le politique du côté de l’intime ». Quant à Ramzy Bedia, notre héros malgré lui, il a su convaincre la cinéaste par son énergie débordante, son côté drôle et lumineux. mais, remarque Baya Kasmi, « hypersensible, à fleur de peau. Lorsque j’ai eu l’idée de cette histoire, j’avais besoin d’un alter ego pour incarner cet écrivain de l’intime ». Et le film fait bien ressentir que l’auteur est décidément son double.

[Source : www.histoire-immigration.fr]

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