Longtemps considéré comme une langue littéraire et administrative importante, le provençal est aujourd'hui menacé de disparition.
Écrit par Michel Feltin-Palas
Demandez à un Français de vous dire ce qu'il connaît de la Provence. Dans 9 cas sur 10, vous aurez droit au soleil, aux cigales, à la bouillabaisse, au rosé, à Pagnol, à la pétanque et à la garrigue. Demandez-lui maintenant de vous parler de la langue provençale. Je précise : non pas de parler provençal, mais de parler du provençal, de son histoire, de son origine, de ses caractéristiques, de ses écrivains. Là, dans 9 cas sur 10, ce sera un silence total. D'où l'utilité du livre (1) que vient de publier Philippe Blanchet. Ce sociolinguiste reconnu, inventeur notamment du concept de "glottophobie" (la discrimination fondée sur la langue), a beau enseigner à Rennes, il est provençal d'origine et c'est à mieux faire connaître cette langue de France qu'il s'emploie dans ce petit ouvrage très pédagogique.
Résumons l'essentiel.
Le provençal est une langue romane, c'est-à-dire une évolution du latin qui a pris sur place une forme particulière. Cette variante est assez éloignée du français, marqué par une influence germanique très forte due à l'installation massive des Francs au nord de la Loire. Elle est plus proche des autres langues romanes du sud comme l'italien, le portugais, le castillan (la langue de Madrid), le catalan (celle de Barcelone) ou le corse.
Le provençal a été utilisé pendant des siècles comme langue de gouvernement et comme langue littéraire. Il dispose même avec Frédéric Mistral d'un prix Nobel de littérature, décerné en 1904. C'est là l'aboutissement d'un grand mouvement de renaissance, appelé le Félibrige, dont l'auteur de Mirèio était l'une des chevilles ouvrières. Avec Joseph Roumanille, Mistral a également élaboré un nouveau système orthographique, encore utilisé aujourd'hui dans la région.
Contrairement à ce que l'on croit souvent, le déclin de la pratique, net depuis les années 1950, ne tient pas à de supposés défauts "intrinsèques" de cette langue et moins encore à un prétendu "libre choix" des populations. Non, cet affaiblissement s'explique en partie par des raisons sociologiques (l'arrivée massive de populations extérieures à la Provence), et - surtout - par des raisons politiques. Depuis des décennies, toutes les fonctions de prestige ont été attribuées au français tandis que la langue historique du territoire était renvoyée à la sphère privée.
Peut-on encore sauver le provençal ? "Oui, mais...", répond Philippe Blanchet. Oui, car le nombre de locuteurs est encore significatif. Faute d'enquête officielle, le sociolinguiste, après avoir réuni diverses données, aboutit à l'estimation suivante : 250 000 personnes environ parleraient encore le provençal, soit 5 % de la population, sachant que de 250 000 à 500 000 personnes supplémentaires le comprendraient. Ce n'est pas rien. Et à ceux qui jugeront ces chiffres surestimés, l'universitaire rappelle un fait trop souvent oublié. Dans une société qui ne leur laisse quasiment aucune place officielle, l'usage des langues régionales est aujourd'hui souvent réservé à l'intimité. Il échappe donc généralement aux yeux et aux oreilles de ceux qui ne les pratiquent pas.
Venons-en au "mais". Le constat est simple et il est terrible. Les locuteurs du provençal sont âgés et disparaissent au fil des ans sans être remplacés par des jeunes générations, faute notamment d'un enseignement massif de cette langue à l'école. De fait, écrit Blanchet, "aucune politique linguistique ambitieuse, efficace et affirmée n'a été mise en place, ni au niveau régional ni encore moins au niveau national pour freiner ou renverser cette dégradation qui résulte d'une politique nationale et qui n'a rien d'inéluctable". En clair, si la France ne mène plus aujourd'hui ouvertement une politique d'éradication du provençal, elle ne fait rien pour empêcher sa disparition en s'abstenant de prendre les mesures qui lui permettraient de se développer.
En provençal mistralien, cette attitude porte un nom : ipoucrisìo. En bon français aussi.
(1) A la descuberto dóu prouvençau, lengo óuriginalo, lengo amenaçado (À la découverte du provençal, langue originale, langue menacée), par Philippe Blanchet. Éditions de l'Observatoire de la langue et de la culture provençales (le livre est rédigé en français).
[Source : www.lexpress.fr]
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