terça-feira, 28 de julho de 2020

Zarbis, loquedus, pouilladins : les rues de Paris à la Belle Époque


Zarbis, loquedus, pouilladins : les rues de Paris à la Belle Époque


Écrit par François Forestier

C’était un jongleur : Charles Yriarte, entre 1861 et 1900, a publié des études, des journaux de voyage (au Maroc, en Dalmatie), des reportages (sur les Prussiens à Paris, sur les jardins de Paris), des biographies (Goya, Véronèse, César Borgia), des pièces de théâtre (dont « La Femme qui s’en va »), et, surtout, des portraits. Sa plume est acide et bienveillante, amusée et légère. Dans « Paris grotesque. Les Célébrités de la rue », publié en 1864, il recense, avec appétit, les zarbis, les loquedus, les pouilladins, les demi-pontes, les fripons, les esbroufeurs, et, comme il le dit lui-même, « les dentistes de plein air, les bâtonnistes, les visionnaires, les vielleuses, les bouquetières ». Bref, il visite la Cour des Miracles, le nez au vent et le carnet de notes en main.

Voici Chodruc-Laclos, l’homme à la longue barbe, clochard qui, autrefois, était lancé dans la vie élégante, et avait « chaque matin un duel et chaque soir une maîtresse », pilier de la société des Crânes, « sacripants prêts à tout oser et tout entreprendre, beaux joueurs, francs buveurs et duellistes fameux ». Un soulèvement en Vendée eut raison de sa liberté, et, en sortant de prison, notre homme décida de se consacrer à sa barbe, rien de plus.

J’aime beaucoup monsieur de Saint-Cricq, farfelu très chic qui traverse plusieurs livres de l’époque du Boulevard : « Il prisait du sucre et en offrait aux gens qu’il rencontrait ». Mais, surtout, « il s’asseyait chez Tortoni, demandait une glace à la vanille et une glace à la fraise puis, rassemblant ses idées, se déchaussait sans façon et versait consciencieusement sa glace à la vanille dans la botte droite et la fraise dans la botte gauche. Quand il lui arrivait de se tromper, il maugréait tout bas en reconnaissant son erreur, vidait ses bottes et redemandait deux autres glaces… » Il lui arrivait aussi de commander une salade, puis de verser un bol de chocolat en guise d’huile et de vinaigre.

« Le Mapah invente la science des protubérances du crâne »

Le Mapah, héritier et habitué du Café de Paris, invente la science des protubérances du crâne et en déduit l’avenir du sujet. Puis il fonde la religion de l’androgynisme, nommée « l’évadisme » et rédige des encycliques depuis son « grabat apostolique ». Miette, physicien-bateleur, transforme les chapeaux en bouteilles, se considère comme « fils du dragon ». Jean Journet, vagabond illuminé, écrit à Victor Hugo : « De grâce, n’oubliez pas l’apôtre, lorsque saintement idyllique, tu fulmineras le cantique des cantiques. Je vous aime », et déclame ses poèmes aux Halles, « entre des montagnes de choux et de légumes » :

« Réveillez-vous ! Lévites sacrilèges
Ivres d’encens, dans la pourpre endormis
Le Saint-Esprit a dévoilé vos pièges
Il va saper vos sépulcres blanchis. »

« Augure cacochyme, civilisé éhonté, omniarque du rebut... »

Chemin faisant, Journet accable ses adversaires de noms d’oiseaux : « Augure cacochyme, civilisé éhonté, omniarque du rebut, pontife du sabbat, souteneur de Proserpine, serpent fascinateur, pygmée de perversité, sybarite gorgé, magnétiseur subversif ». Léonard de la Tuilerie, habillé en marin, étudie le lien entre la pharmacie et le trombone (« Je ne saisis pas bien le lien », confie Yriarte) pour établir le « mégacosme musical ».

N’oublions pas le « Marchand de Vulnéraire suisse », rue Saint-Honoré, vêtu d’un ancien uniforme de chevalier de Malte ; Pradier le bâtonniste, qui jongle « avec les assiettes, les saladiers, les gobelets, le paratonnerre, la pique, la carte volante » et qui est « aimé des tambours-majors » ; Mangin, marchand de crayons, « idole des titis », qui bonimente sur le boulevard, coiffé d’un casque et d’une cuirasse de paladin ; « L’homme au pavé », devant les grilles du Luxembourg, qui soulève avec ses dents des blocs de pierre énormes en étant courbé en arrière…

« Le vrai pays inexploré, écrit Yriarte, c’est celui où la curiosité du voyageur trouve toujours un aliment, où le flâneur a devant lui des perspectives infinies, dans ce Paris que nous habitons sans le connaître ». L’auteur, disparu avec le XIXe siècle, n’a pas connu Aguigui Mouna, militant anti « caca-pipi-taliste », qui prônait « le déformatage des esprits », au Quartier Latin, dans les années 1960, ni Ferdinand Lop, dont le programme politique exigeait « l’extinction du paupérisme à partir de dix heures du soir» et « la suppression du wagon de queue du métro ». Nul doute qu’il les aurait cooptés. Donc, je le fais pour lui.


Les Célébrités de la rue, par Charles Yriarte, Editeur Dupray de la Maherie, 1864. Réédité par Plein-Chant en 1995, et par les éditions de Gascogne en 2011.


[Illustration : Wikimedia Commons/CC - source : www.nouvelobs.com]

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