Pochade politico-générationnelle sur des jeunes gays d’extrême droite, La réaction de Côme Martin-Karl peut appeler deux réactions : ou bien déplorer l’absence de soin porté au texte, ou bien passer outre ce manque d’ambition littéraire et se laisser tenter par des traits d’esprit moralistes. Sans renouveler le genre romanesque, il y a là une petite gravure de personnages perdus dans cette époque compliquée de « fin des idéologies ». Leurs errances se révèlent très drôles.
Côme Martin-Karl, La réaction. Gallimard, 224 p., 19 €
Tout tourne autour de trois garçons à la fois banals et sans repères. Le premier, le narrateur du roman de Côme Martin-Karl, a pour seule passion d’être à contre-courant. Il mène une carrière assez réussie d’animateur de forum internet consistant à propager des rumeurs fascisantes ou à s’ériger contre ce qu’il pense être la « pensée unique ». Le second est passé avec armes et bagages d’un trotskisme rudimentaire au catholicisme le plus intransigeant. Ces deux-là en aiment un troisième, Enguerrand. Contrairement à ses deux amants, ce dernier semble vraiment croire en son idéal, le fondamentalisme chrétien. Étudiant en lettres classiques, ce jeune Maghrébin se nommait Khalid, mais il s’est converti. Quant aux deux autres, on comprend assez vite qu’ils ne croient ni à Dieu ni à diable. En somme, trois gays, deux Blancs et un Arabe, se retrouvent au centre d’un groupuscule violemment catholique, homophobe et raciste, le « Renouveau réactionnaire »…
De ces garçons égarés et du tout petit monde où ils gravitent, Côme Martin-Karl dresse un portrait étonnamment réjouissant. On se souviendra du site de cuisine raciste (le « Ku Klux Flan »), des revues Espoir Pétain ou Terre mérovingienne (et son « numéro spécial sur les limites de l’expérience Pinochet »), de la « grande marche européenne contre l’excès des libertés ». Satirique, le texte parvient à faire rire de deux traits caractéristiques de l’extrême droite : son grotesque foncier et sa parfaite dangerosité. Pourtant, les thèses farfelues de ces marginaux s’infiltrent dans l’ensemble de la société, « envahissant les médias traditionnels en perçant la membrane qui sépare le monde des trolls de celui des gens ». Ça finit mal, pour le pays comme pour eux trois. Phrasé sec et morale sombre finissent par composer une chanson française, qui ricane d’abord avant de montrer tout son désespoir.
Mais la jonction ne se fait pas, en partie en raison d’une conception pauvre de la politique, réduite à un symptôme. En réalité, ici personne ne croit en rien. Le personnage principal affirme tranquillement qu’il « tenait à son originalité à tel point que, si jamais l’air du temps devenait entièrement, absolument, indistinctement réactionnaire, j’envisageais d’être communiste ». Quant aux vrais convaincus, ils oscillent entre illumination, nostalgie et soif de pouvoir (ou de sexe). Un militant convaincu et rationnel ferait-il un mauvais personnage de roman ? Ouverte, cette question se retrouve dans d’autres romans français contemporains (Nino dans la nuit de Capucine et Simon Johannin, ou encore Prends ma main Donald de Julien Péluchon).
Si elle mérite d’être posée, c’est que La réaction dépasse la plaisanterie moqueuse et renvoie subrepticement dos à dos gauche et droite avant de suggérer une image générale de l’engagement politique, à la fois désabusée et méfiante. Ce nihilisme vague fait revivre l’ambiance de ces petits romans du tout début des années 2000. Pensons au publicitaire situationniste de 99 francs de Frédéric Beigbeder (Grasset, 2000) ou, plus culte encore, l’oublié et pourtant hilarant Jean-No créé par Philippe Nassif dans Bienvenue dans un monde inutile (Denoël, 2002). Eux aussi campaient un esprit fin de siècle contradictoire et paniqué. La réaction dépeint les mêmes caractères en chute libre, d’autant plus affolés à l’idée de rater leur époque qu’ils sont lucides sur leur manque de substance intérieure. Seulement, la fin du siècle a fini par finir. Avec ses effets branchés, le cocasse sinistre de La réaction semble périmé par la décennie naissante. Côme Martin-Karl peut bien perpétuer le premier Beigbeder, l’époque a changé. La multiplication des détails contemporains n’y fait rien, l’image de la gauche et des mouvements sociaux donnée par ce texte date de la chute du Mur. De ce roman à la mode, on regrette juste que ce soit celle d’il y a vingt ans.
[Photo : Jean-Luc Bertini - source : www.en-attendant-nadeau.fr]
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