C’est un retour plein de grâce. Avec Homeless songs, Stephan Eicher signe un disque d’une grande douceur, dans lequel il met une nouvelle fois en musique les mots de Philippe Djian et de son compatriote, Martin Suter. Après être sorti du procès qu’il a intenté à son ancienne maison de disque, le chanteur suisse retrouve le fil de la conversation avec son public.
Ce sont des chansons qui auraient pu ne jamais se retrouver sur un disque. Les titres d’Homeless Songs, le nouvel album de Stephan Eicher, ont trouvé un abri in extremis, après que le chanteur suisse a soldé le conflit qui l’a opposé à son ancien label, Barclay, et à sa maison mère, le géant du disque Universal.
À la suite de trois ans et demi de bataille juridique abandonnée en cours de route, il a enfin retrouvé la voie de la création. Fragilisé financièrement, le corps martyrisé par des problèmes de dos, mais libéré de beaucoup des contraintes, ce bon M. Eicher sort de son chapeau un disque mélancolique, à l’opposé des réinterprétations orchestrées avec une fanfare tzigane qui ont amorcé son retour il y a six mois.
Avec ces quatorze titres d’une grande douceur, il confirme son retour gagnant et il vient reprendre le dialogue à l’endroit où il y avait des points de suspension. Depuis L’Envolée (2012), il a imaginé un spectacle avec des automates, un autre avec une fanfare balkanique, le Traktorkestar, et participé à des cartes blanches toutes plus étonnantes les unes que les autres.
Le plus français des chanteurs suisses (il vit en Camargue) a surtout remis ses morceaux sur l’ouvrage pour qu’ils soient exactement comme il le voulait. "Je n’étais pas déprimé avec ces histoires d’industrie du disque, c’était pire. Je n’y croyais vraiment plus, j’étais dégoûté. Quand j’ai été forcé de faire ce disque, je me suis dit : 'Attends, personne ne te freine là. Je fais ce dont j’ai envie.' Alors, j’ai fait mon boulot de compositeur. J’ai transporté ces paroles le plus directement et le plus simplement possibles. Je les ai mises dans une lettre et je les ai données directement à mon public", témoigne-t-il.
Une sérénité apaisante
Si elles partent souvent d’une guitare acoustique ou d’un piano, ces "chansons sans abris" ont trouvé un orchestre sur leur chemin. Le paradoxe est qu’il n’y a pas tant de choses en commun entre la nostalgie tzigane de Gand Nid Eso, une ballade au piano comme Prisonnière, ou le bluegrass en anglais de la chanson-titre, mais cette collection hétéroclite ne dénote jamais.
À chaque écoute, il s’en dégage au contraire une sérénité apaisante, comme s’il s’agissait d’être rasséréné. "À un moment, il est devenu assez clair que le disque allait sortir. Je n’avais pas envie d’engueuler les gens. Il y a deux façons de faire un point : où vous faites cela comme le président américain, en gueulant et en faisant des tweets, ou comme les autres êtres humains, en s’asseyant autour d’une table et en parlant. J’ai choisi cette attitude", constate-t-il.
Le moment de bravoure de ce disque est sans aucun doute Niene Dehei, une ballade de plus de six minutes où les refrains travaillés à l’Auto-tune semblent pratiquement prendre leur envol. Stephan Eicher a ajouté aux paroles de l’écrivain Martin Suter, un poème des années 20-30 en dialecte emmentalois "qui n’avait rien à voir" ; une histoire d’amour manquée aux accents burlesque.
Lorsqu’il raconte comment il a retrouvé les bandes de cette lecture, après avoir contacté la veuve de l’acteur qui lisait ce poème, Rudolph Stalder, le chanteur parle tout bas et il a les yeux qui s’embuent. Ce qui illustre bien une démarche sensible, qui transparaît plus encore lorsqu’il chante en bernois. "Avec mes parents, je parlais encore une autre langue, le dialecte de l’Est. Mais après, j’ai grandi à Berne. Quand j’ai voulu regagner une fille, ou quand j’ai commencé à avoir une réflexion plus politique et plus sociale, j’ai utilisé ce langage. C’est pourquoi ça reste l’endroit où je me retire pour me sentir à la maison", raconte-t-il.
Les paroles de l’écrivain Philippe Djian
Même s’il interprète avec Axelle Red et Miossec une drôle de mise en abîme (La fête est finie), le duo que Stephan Eicher forme depuis plus d’un quart de siècle avec son parolier attitré, l’écrivain Philippe Djian, reste fondamental. Qu’est-ce que Djian a apporté au français d’Eicher ? "Un vrai sens, je pense. J’ai toujours essayé d’avoir des images un peu universelles. J’aime bien les textes qui ne finissent pas la phrase, cette poésie où chacun peut finir la pensée. Lui, il arrive à faire cela. Avec Déjeuner en paix, on est de suite dans la pièce, dans un moment de vie de ce couple, qu’il élargit avec la question : 'Me feras-tu un bébé pour Noël ?' Sous-entendu, le 24 décembre, on attend le sauveur. Je n’entends pas beaucoup de chansons en France qui ont cet univers, inspiré de Raymond Carver, de John Fante, qui sont des gens que Philippe (Djian) a lu", poursuit-il.
Pour ce disque où il a quand même glissé un peu de son humour absurde (Né un ver), Stephan Eicher a aussi voulu laisser ses douleurs de côté. "Si on écoute bien mon disque précédent, Hüh !, le chanteur est blessé. C’est un mec qui a reçu des balles, il n’est pas bien. Si je retrouvais pour Homeless Songs des prises de voix qui étaient faites à ce moment-là ou même avant, je les refaisais. Je voulais de la lumière. Je ne voulais pas que cela sonne amer, c’est pourquoi cela a pris du temps de presque tout rechanter. Oui, je voulais un happy end, quand même", confie-t-il.
Ce qu’on peut traduire par une mélancolie teintée d’allégresse, comme on en trouve en Europe de l’Est. Elle nous tiendra chaud durant tout l’hiver et même, jusqu’au retour des beaux jours.
Stephan Eicher Homeless Songs (Polydor) 2019
En concert à l'Opera comique à Paris, du 18 au 20 novembre 2019
Site officiel / Facebook / Instagram
Par : Bastien Brun
[Photo : Benoit Peverelli- source : www.rfi.fr]
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