Lecture de La Chamade, roman de Sagan, paru en 1965. |
Françoise Sagan photographiée en 1978 par RUDLING/SIPA |
Écrit par Pascal Louvrier
Cette remarque de Françoise Sagan, d’entrée de jeu : « On ne trompe
que les hommes qui nous aiment, parce qu’ils nous donnent confiance en
nous. »
Son grand roman?
Elle le tenait,
son grand roman. Les critiques l’ont pourtant massacrée. Un jeu de
phrases assassines. On se paya « la » Sagan. Comme on se paye d’autres
écrivains aujourd’hui que je ne nommerai pas. Rien de nouveau sous le
soleil qui tape fort derrière les persiennes. J’entends la mer au loin.
Il y a une odeur de sel sur les draps frais. La Chamade, le
roman d’une femme de trente ans, Lucile Saint-Leger. C’est une
bourgeoise, elle mène une vie mondaine et oisive, entretenue par
Charles, homme de cinquante ans cultivé et maniéré. Sagan, c’est un peu
Lucile. L’enfance, ce pays qui n’existe plus dès qu’on le quitte, est
évoquée, le port familial (Sagan dédie ce livre à ses parents), le passé
qui devient douloureux, réactivé sans cesse par la mémoire sensible, le
futur dont on se méfie, le présent qu’on dévore. « Seul le présent
courait avec elle dans ce vent d’aube. » La vie immédiatement, credo
saganesque.
L’amour finit mal, en général
Lucile
est de nature plutôt optimiste. Elle attend Charles, dans « l’euphorie
de la solitude ». Elle se méfie de l’amour qu’elle a connu à vingt ans,
une passion qui se finit mal. Elle ne dit plus « je t’aime » depuis.
Lucile
va rencontrer un beau jeune homme, éditeur prometteur, Antoine. Il
tombe amoureux d’elle, et elle, existe pleinement. Sagan : « Tout sa
vie, d’ailleurs, elle avait été ainsi, ne s’intéressant, par un heureux
hasard ou une horreur des difficultés presque pathologique – qu’aux
êtres qui s’intéressaient à elle. »
Lucile veut échapper au vieux Charles. Et là le roman devient
étonnamment moderne. Lucile retrouve la vie professionnelle. Elle avait
travaillé dans un journal, « un de ces journaux qui se disent de gauche
afin de mal payer leurs collaborateurs et dont l’audace s’arrête là. »
La romancière décrit ce qu’on nous a imposé sans broncher. Il faut être
performant au turbin, alors voici le programme : « Il ne fallait pas
fumer à jeun, ni boire d’alcool d’ailleurs, ni conduire vite, ni trop
faire l’amour, ni fatiguer son cœur, ni dépenser son argent, ni rien. »
Sagan, encore : « Les gens ont de plus en plus peur (…). Ils ont peur de
perdre ce qu’ils ont, ils ont peur de ne pas obtenir ce qu’ils veulent,
ils ont peur de s’ennuyer, ils ont peur d’ennuyer, ils vivent dans un
état de panique et d’avidité permanentes. »
Il ne fait pas bon être amant dans les romans de Sagan
Sagan
traite de l’avortement, sujet tabou en 1965. La femme avorte en
risquant sa peau. Lucile tombe enceinte d’Antoine. Elle ne veut pas
garder l’embryon. Elle considère qu’un enfant, c’est terriblement
contraignant, ça risque de la priver de la liberté, le bien le plus
précieux. Elle ressemble à Bardot qui ne voulait pas de son enfant, pour
les mêmes raisons. Antoine se rebiffe, il veut garder le bébé. Lucile
va voir Charles, qui accepte de payer un avortement sans risque. Antoine a
joué, il a perdu. Il ne fait pas bon être amant dans les romans de
Sagan. Lucile épouse Charles ; elle reste dans le même milieu où
l’argent est roi. On n’échappe pas à sa classe sociale. François
Mitterrand, qui aimait secrètement l’écrivain, aurait dit de Lucille
qu’elle « portait sa marque de fabrication. »
Ce roman n’a pas pris une ride. La musique de Sagan est là, elle pince le cœur.
Sagan
appréciait les langoustines car elle mangeait peu ; elle picorait
plutôt. Mais c’était fatigant à décortiquer, disait-elle en oubliant
quelques syllabes.
[Source : www.causeur.fr]
Sem comentários:
Enviar um comentário