Le troisième volume du journal d’Hélène Hoppenot (1894-1990) commence le 1er octobre 1940. D’abord tenu en France, il se poursuit en Espagne et au Portugal, se déploie en Uruguay et s’achève aux États-Unis en 1944. Le précédent, qui déjà nous avait passionnée et dont nous avions rendu compte dans En attendant Nadeau, couvrait les années 1936 à 1940 et relatait notamment son séjour en Asie et son retour en France avant et au début de la guerre.
Elle est profondément et viscéralement gaullienne : « Une seule solution à mes yeux : le général prenant le pouvoir entre ses mains honnêtes et sûres » ;
sait reconnaître le courage et l’importance de la résistance des Russes
quand l’armée allemande envahit leur territoire : « Les Russes auront peut-être sauvé l’humanité » ; tandis qu’elle dissèque la frilosité des Américains avant Pearl Harbor, leurs négociations avec Vichy : « Les Américains ont confié à Darlan le commandement des forces françaises en Afrique […] [ils] ne seront pas dégoûtés de traiter avec un Laval ou un de ses suppôts, en débarquant en France !
». Hostilité qui se confirme, lorsque le couple, en 1943, quitte
l’Uruguay pour les États-Unis où Hélène Hoppenot est choquée par « l’exhibitionnisme infantile » dont font preuve à son avis les Américains en exposant aux fenêtres « des
bannières portant en grandes lettres “our son is (dead)…” dans l’armée,
la marine, et, en-dessous, une ou plusieurs étoiles, selon le nombre de
fils enrôlés »… « N’y a-t-il pas, dans cette publicité de la douleur, quelque chose de répugnant ? »
La lecture des journaux, même du New York Times, fait plus que la déconcerter : « L’éditorial
se trouve à la vingtième page, les articles de la première continuent à
la quarantième, la cinquantième, ou plus loin ; pour les terminer, il
faut déplier, replier une masse de feuilles incommodes à manier […] Dans ce grand journal, comme dans les autres, tout est jeté pêle-mêle ».
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Charles de Gaulle, Henri et Hélène Hoppenot à
Washington: article paru dans The Times Herald du 9 juillet 1944 (archives
privées)
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Le plus émouvant, dans ces notes
journalières, est certainement le débat intérieur où se trouvent plongés
les Français de métropole ou en exil, à commencer par son époux qui se
demande : « Où est le devoir ? Faut-il conserver des places qui,
vides, reviendraient à des collaborateurs, ou, mieux, à des
sympathisants de l’Allemagne ? » Henri Hoppenot mettra en effet
longtemps avant de se décider à rompre avec le gouvernement de Vichy
pour aller rejoindre de Gaulle dont il deviendra un fidèle.
La grande peur d’Hélène Hoppenot tout au
long de son journal n’est pas que les Alliés soient vaincus ; au
contraire, elle ne doute, à aucun moment, de leur victoire. Sa grande
peur est que les Français, à cause de leurs divisions, en viennent à
s’entretuer. Ce qui, pour elle, serait « le péché mortel ».
Par ces anecdotes, ses observations sur
le vif et ses analyses, elle nous plonge dans une période infiniment
complexe où, même après tant d’années, il ne nous est pas toujours
facile de démêler le vrai du faux et de nous forger une opinion sur les
faits et gestes des protagonistes, grands ou petits, célèbres ou
anonymes, de cette tragédie. La solution, pour sortir du brouillard,
serait probablement de lire un point de vue complémentaire, voire
opposé. Par un hasard dont seule la littérature a le secret, je suis
tombée, alors que j’étais plongée dans le journal d’Hélène Hoppenot, sur
son contraire, un roman historique de Jacques Laurent, l’auteur oublié
(et qui mériterait d’être remis au goût du jour) de Caroline chérie. C’était Prénom Clotilde,
les aventures d’une entreprenante et jolie jeune femme qui traverse la
guerre, la Deuxième, elle aussi, et apprend à connaître, à travers ses
amants, les idées politiques de chacun des partis qui s’arrachent la
France. L’analyse est nourrie, même si elle penche plutôt du côté des
Français (de bonne foi) pétainistes et qu’elle soutient des thèses qu’on
voudrait vérifier : « Roosevelt est dans les meilleurs termes avec Pétain […] Bref
il est entendu entre ces messieurs que la France biaisera autant qu’il
faudra avec les Boches, que son gouvernement limitera les dégâts, qu’il
rassurera suffisamment Hitler pour que celui-ci ne s’avise pas d’occuper
notre partie de la Méditerranée et que, le jour venu, quand les forces
alliées équilibreront celles de l’Axe, nous reprendrons la guerre auprès
d’elles ».
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