quinta-feira, 21 de fevereiro de 2019

Le nouvel antisémitisme n'a pas remplacé l'ancien


La dénonciation d'un «nouvel antisémitisme» ne doit pas se substituer à une véritable réflexion sur les causes de la résurgence actuelle de cette haine. 

 Au rassemblement contre l'antisémitisme de Lille, le 19 février 2019


Écrit par Michel Wievorka 

En avril dernier, quelque 250 personnalités publiaient dans Le Parisien un appel vibrant pour dénoncer le «nouvel antisémitisme», imputé sans trop de nuances à l’islamisme et à l’islam, ainsi qu’à la gauche radicale antisioniste.

Outre que le caractère «nouveau» du phénomène était douteux –on en parle depuis une vingtaine d’années, sous cette appellation–, le texte, d’un revers de plume, passait à côté du «vieil antisémitisme d’extrême droite».

Il est grand temps d’en finir avec les obsessions monomaniaques d’une intelligentsia qui ne veut voir qu’un aspect du mal profond qui ronge notre société, comme beaucoup d’autres.

Persistance du «vieil antisémitisme»

Le «vieil antisémitisme», en effet, n’a jamais disparu. Malgré les efforts considérables de l’Église catholique, qui a rompu avec lui à l’occasion du concile Vatican II ouvert en octobre 1962, il s’alimente encore d’un antijudaïsme chrétien, lourd de préjugés ayant pour eux une bonne quinzaine de siècles d’existence –les Juifs sont un peuple déicide, qui refuse la conversion et incarne le mal par des pratiques maléfiques.

Les préjugés, opinions ou stéréotypes hostiles aux juifs se rencontrent dans toutes sortes de milieux, et les travaux de Nonna Mayer montrent qu’ils sont d’autant plus fréquents à droite, pour culminer parmi l'électorat et les sympathisants d’extrême droite.

Ils se nourrissent aussi de la Shoah, qui devient dans des milieux variés une pure invention des Juifs –c’est le négationnisme– ou une source d’argent pour eux –c’est la thèse du «Shoah business».

Il en va de même avec l’existence d’Israël, qui suscite, là encore dans des milieux divers, un antisionisme dont on ne sait jamais très bien jusqu’à quel point il est réductible à une simple haine antisémite –à moins que ce soit l’inverse.

On ne peut pas réfléchir à la haine contemporaine des juifs sans prendre en compte ces deux thématiques.

Circulation de la haine

On ne passe jamais automatiquement ou simplement des idées aux actes, et ce n’est pas parce que nombre de nos concitoyennes et concitoyens professent la haine ou le mépris des
Juifs que ces personnes sont disposées à transcrire ces affects concrètement. 

Au cours des années récentes, c’est néanmoins arrivé. On peut par exemple évoquer, en dehors du terrorisme islamiste de Merah ou de Coulibaly, les profanations de tombes voire de cimetières juifs par des néo-nazis et assimilables, comme à Carpentras en 1990, ou le meurtre crapuleux en même temps qu’antisémite d’Ilan Halimi, laissé pour mort en 2006 par le «gang des barbares» de Youssouf Fofana –qui découvrira l’islam pour sa défense, depuis la prison. 

Mais si le passage à l’acte ne concerne que quelques individus sur une population très large, il n’est pas pour autant acceptable de postuler l’absence totale de relation entre les violences concrètes et un climat, une propagande, la circulation de la haine accélérée et démultipliée par internet et les réseaux sociaux.

Au contraire, la recrudescence d'actes antisémites dans la période récente doit être lue dans le contexte de violence plus général qui affecte notre pays, en même temps que fleurissent les fake news et que le complotisme fonctionne à plein régime.


Re-légitimation de la violence

La violence des «actes» orchestrés par les «gilets jaunes» a marqué une rupture majeure dans ce qui était la caractéristique des trente ou quarante dernières années: elle réintroduit une légitimité de la violence qui s’était perdue, le phénomène étant devenu un tabou. 

N’est-ce pas elle, visible et hautement médiatisée, qui a permis samedi après samedi le recul d’Emmanuel Macron ? Ne peut-on pas dire qu’elle a payé ? N’a-t-elle pas aussi revêtu une tonalité insurrectionnelle qui a fait vibrer Jean-Luc Mélenchon, alors même que les idéologies révolutionnaires étaient quasiment désertées depuis longtemps en France ? N’a-t-on pas entendu diverses références à 1789, mais aussi à la guillotine ? La violence a retrouvé dans la pratique, mais aussi dans l’imaginaire, une place qu’elle avait perdue –et cela peut exercer un effet sur certains esprits. 

La hausse récente des actes antisémites n’est pas a priori imputable à une catégorie sociale précise, ni nécessairement à des organisations plus ou moins structurées idéologiquement et politiquement. Il faut espérer que les enquêtes policières et la justice apporteront ici un éclairage, qui pour l’instant fait défaut. Elle relève pourtant d’un raisonnement devant comporter une forte dimension sociologique.


Dangereuse césure «amis-ennemis»

D’une part, il est possible que certains actes relèvent du «nouvel antisémitisme», et donc de dérives islamistes. Et d’autre part, il est vraisemblable que d’autres actes s’inscrivent dans des logiques où coexistent le mensonge des fake news et la paranoïa du complotisme sur fond de fragmentation de la société.

Le mouvement des «gilets jaunes» a mis en lumière une coupure très nette entre la population qui craint d’être la laissée-pour-compte du changement –ou qui l'est déjà, effectivement, sans être la plus pauvre ou la plus démunie– et l’univers des élites, du pouvoir, des centres-villes bourgeois, des partis politiques classiques, des journalistes, perçus alors comme des ennemis –ou presque.

Avec une telle césure amis-ennemis, la confiance au sein de la population qui se sent abandonnée, ignorée ou méprisée est grande pour celles et ceux qui s’intéressent aux «oubliés» et aux «invisibles» dont parlait Marine Le Pen –au point que ce qui provient d’amis comme «information» est toujours crédible. 

Symétriquement, la méfiance règne pour tout ce qui vient d’en haut, du centre, du monde politique et médiatique, prolongée presque naturellement par l’idée que les acteurs visibles de ce monde sont manipulés par d’autres acteurs, invisibles ou cachés. 

On entre alors dans la défiance absolue, qui devient complotisme, paranoïa. L’antisémitisme est un débouché disponible, facile, surtout lorsqu’il est activé par des experts en technologies numériques et des intellectuels comme Alain Soral ou des amuseurs comme Dieudonné.

En plus du «nouvel antisémitisme», qu’il ne s’agit pas de sous-estimer, les expressions les plus récentes d’antisémitisme, les plus concrètes aussi, ont certainement beaucoup à voir avec ce mélange explosif de re-légitimation de la violence dans l’espace public et de coupure sociologique entre deux parties de la population.







[Photo : François Lo Presti / AFP – source : www.slate.fr]

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