Selon un dernier sondage, 44% des «gilets jaunes» croient
à l'existence d'un complot sioniste mondial. Pathétique et inquiétant.
Une
croix gammée sur le portrait de Simone Veil, survivante de l'Holocauste, prise
dans le XIIIe arrondissement de Paris, le 11 février 2019.
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Écrit par Laurent
Sagalovitsch
Les chiffres à eux seuls donnent le
tournis. Selon un sondage paru le 11 février pour le
compte de la Fondation Jean-Jaurès et l’organisation Conspiracy Watch, près de
44% de nos «gilets jaunes» pensent qu’il existe un complot sioniste à l’échelle
mondiale contre 22% de la population française en général –nombre
incroyablement élevé qui en dit long sur la transmission des valeurs, le
triomphe de l'ignorance, le règne de l'inculture généralisée. Autrement dit il
y a, peu ou prou, un «gilet jaune» sur deux parmi les sondés qui adhèrent à
des thèses antisémites.
Ce
qui, après tout, n’est guère étonnant.
Quand on agonise dans la misère, quoi de plus
normal que de regarder d’un air suspicieux ces vendus de Juifs qui, eux, riches
à ne savoir qu'en faire, bien au chaud dans leurs palaces dorés, à l’ombre des
bourses mondiales, continuent à prospérer et à s’engraisser sur le dos du
peuple.
Difficile
de croire, à chaque fois qu’un «malheureux» incident survient –une déclaration
à l’emporte-pièce, un slogan indélicat, un graffiti obscène– qu’il s’agit là
d'une action isolée. Quand vous avez 44% de vos membres qui adhèrent à de
pareilles ignominies, c’est que les brebis galeuses sont des troupeaux, des
légions d’antisémites qui aiment à voir dans la source de tous leurs malheurs
–prétendus ou réels– la main scélérate de la finance juive.
On connaît la chanson, on
la connaît même trop bien, on la chantait déjà au siècle passé outre-Rhin, on
la chante depuis la nuit des temps, on la chante sur tous les tons, sous tous
les toits, à toutes les sauces; on la chante pour incriminer le Capitaine
Dreyfus, on la chante quand on apostrophe le Juif Blum
à l’Assemblée nationale, on la chante pour célébrer le Maréchal Pétain, le
sauveur de la patrie, on la chante à la moindre occasion quand soudain il faut
trouver un responsable à ces vies qui se délitent.
Dans le même temps et sans
évidemment qu’on puisse faire un quelconque rapprochement avec l’avènement des
«gilets jaunes», on apprenait que les actes
antisémites avaient encore bondi en France. De près de
74%. Une broutille. Quand soudain la parole se libère, quand on se sent
autorisé, porté par le vent de l’Histoire, à laisser sa haine vagabonder dans
l’espace public, lorsque, encouragés par des leaders d’opinion à la cervelle
farcie de théories conspirationnistes, on vit au grand jour sa haine atavique
du juif, dans une débauche
de graffitis qui sont la honte de la France.
Bien sûr, lors des manifestations, pendant les
assemblées générales, sur les réseaux sociaux, on ne dit rien de ces
obsessions-là. Il est encore trop tôt, on a encore des pudeurs, un vague
sentiment de honte, des atermoiements peut-être, le reste d’un scrupule où
dansent au loin –dans un lointain de plus en plus évanescent d’ailleurs– dans
le brouillard confus de la pensée, la cohorte des déportés et le souvenir des
chambres à gaz.
Alors on parle référendum, pouvoir d’achat,
retraites, taxes, impôts, mais derrière ces revendications parfois légitimes,
parfois absconses, dans le secret de son âme, là où éclatent les vérités du
cœur, certains ont des démangeaisons antisémites qui leur montent au cerveau et
désignent encore et toujours le Juif –le suppôt de chez Rothschild– comme seul
responsable de toutes ces injustices.
Cette fois, ne dites pas
qu’on ne savait pas. On le sait. On
le sent, on le renifle, il est là, tapi, odieux, nauséabond, ce bon vieil
antisémitisme des familles qui, au fond, jamais ne meurt vraiment: il rôde à
chaque nouvelle manifestation, il frappe, il se retire pour mieux revenir, il
ne fait pas de bruit, il avance à pas feutrés, il dit «mais non, vous vous trompez, ce
n’est pas moi», il prend les airs outragés de
l’innocent accusé à tort, il s’offusque si jamais vous osez le montrer du
doigt, mais pas à pas, sans crier gare, dans la confusion des exaspérations
diverses et variées, parmi cet embrouillamini de fantasmes et de fausses
nouvelles portées au pinacle par les réseaux sociaux, il monte à la tête et
finira bien, un jour ou l’autre, par sortir de son lit.
Ce
jour-là, il sera trop tard. Le piège se sera refermé, toutes les issues de
secours seront condamnées, le peuple, celui de Munich et celui des
ronds-points, fort de son bon droit, triomphera et dans cette ivresse née de la
victoire, on ne prendra plus de gants pour s’attaquer à la racine du mal, au
Juif éternel, porteur de toutes les maladies et de toutes les fautes.
Pour
le Juif de France, si le temps n’est peut-être pas encore venu de partir, au
moins serait-il sage de commencer à préparer les valises.
Enfin
si jamais elles ont été défaites un jour.
[Photo : Jacques Demarthon / AFP - source : www.slate.fr]
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