En annonçant son départ du gouvernement, le ministre français de l’Écologie met Emmanuel Macron au pied du mur face à ses engagements, en particulier sur le climat. Mais il démontre aussi qu’activisme et politique font rarement bon ménage
Écrit par Richard Werly
Nicolas Hulot n’a pas été pour rien, pendant des années, l’un des animateurs télévisuels les plus regardés de France. L’homme a le sens du spectacle et de la mise en scène. Il sait dramatiser, et avoir les mots qu’il faut. Son annonce de sortie du gouvernement, en direct lors de l’émission matinale de France Inter, et sans en avoir, dit-il, informé auparavant le président français et le premier ministre, correspond donc parfaitement à son style.
Le ministre de la Transition écologique et solidaire avait besoin d’un coup d’éclat pour redorer son blason, après des mois à patauger dans les arbitrages politiques difficiles. Son sens de la dramaturgie médiatique ne peut pas être dissocié du fond de sa décision.
Il avait pensé maîtriser les codes politiques
Son message, en revanche, sanctionne deux erreurs. La première fut la sienne. Crédité par les spécialistes du dossier climatique pour son activisme sincère et son lobbying avant la Conférence sur le climat de Paris, en décembre 2015, Nicolas Hulot a cru que son expérience comme conseiller écologique du président sous le quinquennat Hollande lui avait permis de maîtriser les codes et les règles intraitables de la politique. Erreur grave.
Sa candidature présidentielle avortée de 2012, conclue par sa défaite à la primaire des Verts face à l’ex-juge Eva Joly, lui avait pourtant démontré avec éclat que la politique est d’abord, toujours, un rapport de force. Or cette réalité demeure. Sa familiarité personnelle avec Emmanuel Macron – tous deux conseillaient François Hollande – et son volontarisme ont, depuis sa nomination ministérielle en juin 2017, vite buté sur d’insurmontables écueils. Le poids de la raison financière et économique. Le virage vers la droite du gouvernement français mené par le juppéiste Edouard Philippe. Et la pression médiatique, devenue machine à broyer après les révélations sur les accusations de harcèlement et de viol relayées à son sujet par le défunt magazine Ebdo.
Il ne dominait plus les débats
Leader naturel et charismatique, Nicolas Hulot ne dominait plus les débats. Il redoutait la presse. Il se barricadait derrière sa communication. Le ministre de la Transition écologique, attaquant naturel, ne jouait qu’en défense.
La seconde erreur que sanctionne ce départ est celle d’Emmanuel Macron. Politiquement, l’entrée de Nicolas Hulot au gouvernement était, au lendemain des législatives de juin 2017, un coup de maître. Le président, résolu à incarner à la fois le centre, la modernité sociétale, le réalisme économique et l’engagement européen (pilier de son discours de rentrée devant les ambassadeurs français lundi), croyait avoir trouvé le trait d’union qui lui manquait avec la frange écolo-alternative-intelligente de la société française.
Autre erreur grave. Cette France-là n’a jamais été celle du technocrate Macron, plus à l’aise avec les banquiers et les diplomates qu’avec les activistes du climat, même si sa riposte initiale au renoncement de Donald Trump, en juin 2017, en anglais depuis l’Elysée, fut courageuse et éclatante. Pire: Macron est lui aussi un animal médiatique qui cherche la lumière. Sur la scène politique, les deux hommes se sont retrouvés inéluctablement rivaux.
La politique traditionnelle reprend ses droits à grande vitesse
La leçon de ce départ abrupt de Nicolas Hulot est que la traditionnelle politique française reprend ses droits à vitesse grand V. Le rassemblement macronien est embourbé dans les réalités économiques, et bloqué par les populismes européens. L’Élysée aimerait croire à un possible agenda vert-libéral, capable de transcender les clivages et de transformer l’écologie et la lutte contre le réchauffement climatique. Mais la France reste verrouillée par de puissants lobbies, dont celui du nucléaire. L’écologiste vétéran Daniel Cohn Bendit l’a compris, en prenant rapidement ses distances avec Macron, dont il continue toutefois de soutenir la ferveur européenne. La démission de Nicolas Hulot est donc avant tout un constat d’échec.
Va-t-il manquer?
Reste la société française. Hulot avait pour lui cette capacité incontestable à se faire comprendre simplement, à incarner un combat écologique débarrassé de ses accents gauchistes et révolutionnaires, à être une figure populaire. Va-t-il manquer? Pas sûr. Et échec là aussi. Son année ministérielle l’a usé. L’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, cher aux écolo-alternatifs, n’a pas été compensé par des avancées vertes fracassantes. Le «plan climat» d’Emmanuel Macron est naturellement tributaire de la donne internationale. Sans parler de sa réputation, ternie de toute façon par les accusations féminines lancées contre lui à l’heure de #MeToo.
Nicolas Hulot avait beaucoup de cartes en main. Son nom circulait comme possible tête de liste macronienne aux prochaines élections européennes de mai 2019. Mais l’homme de télévision a, finalement, perdu la partie sur le terrain qui est le sien: celui du public. Faute de convaincre l’opinion, faute de résultats, sa présence sur la scène politique finissait par être ce qu’il avait toujours redouté: un alibi et un accident «climatique».
[Source : www.letemps.ch]
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