quarta-feira, 4 de julho de 2018

Ode à la mélancolie

Les heures sont lentes, les paupières lourdes, le cœur bat comme au ralenti et c'est du plomb que charrie notre sang: soudain nous avons mille ans.



Écrit par Laurent Sagalovitsch 
[BLOG, You will never hate alone] 


Ah, cette mélancolie qui parfois nous étrangle sans raison, combien je la chéris et combien je serais désemparé si elle venait à m'abandonner. Cela arrive sans prévenir. Voilà qu'on se lève un matin et que, sans même avoir quitté son lit, on se sent découragé, sans envie ni ressort: le ciel peut bien être bleu, le soleil de sortie, les oiseaux de la partie, il pleut dans nos cœurs et notre âme soupire comme si elle venait d'apprendre une terrible nouvelle. On se sent languide et lascif et dans cet abandon de l'esprit qui expire d'ennui, on aspire à rien d'autre qu'au repos, à cet éternel repos dont nos aînés nous parlaient quand leurs vies se finissaient.

À regrets, nous nous habillons. En passant devant la glace, nous croyons apercevoir au plus profond de notre regard comme une tristesse qui ne dirait pas son nom et tandis que la ville s'éveille, que la rue bruit des premières clameurs de la journée, que le soleil apparaît au-delà des immeubles alentours, on se sent gagné par une fatigue extrême, un dégoût de tout, une envie invincible de rester chez soi, calfeutré au creux de cet appartement qui nous apparaît soudain comme un havre de paix où rien ne peut nous arriver.

C'est étrange: hier soir encore, nous étions alertes et vifs, confiants et pleins d'espoirs presque heureux, oui heureux, et voilà qu'en l'espace d'une nuit, tout a changé; on se sent comme endeuillé, lourd d'un chagrin pesant et on devine confusément, sans même en comprendre la raison, que ce disparu que nous pleurons à douce voix n'est autre que nous-même, cet inconnu qui est comme notre double et dont il faut supporter la présence sans l'importuner de trop de peur qu'il ne se venge. 

Comme la vie est étrange se dit-on, comme nous sommes si peu de choses, comme nous sommes fragiles quand l'existence nous apparaît de la sorte, sans apparat ni artifice, dans la lumière cruelle de la vérité qui nous dévoile tels que nous sommes: à jamais seuls, à jamais perdus à nous-mêmes, à jamais défaits par cette existence qui nous heurte et nous abîme, nous afflige et nous inflige des blessures si cruelles que nous nous tournons vers des dieux disparus à qui nous demandons des comptes sans jamais recevoir le début d'une explication. 

On annule ses rendez-vous, on reporte ses sorties, on se laisse porter pâle et pour ne pas alerter les proches qui s'inquiéteraient de trop, on prétexte une vilaine migraine qui nous mettrait au supplice. Nous ne sommes pas malades pourtant, juste fatigués, d'une fatigue qui ne serait pas l'épuisement d'un corps en proie à la fièvre mais la conséquence de cet incessant combat que nous livrons jour après jour pour nous maintenir à flots, pour donner le change, pour ne pas à céder à cette envie de tout envoyer paître, les autres et nous-mêmes, le monde et ses illusions, les hommes et leurs mensonges, leurs terribles mensonges, l'artifice de vies construites sur des châteaux de sable que le vent s'empresse de balayer comme le criminel efface les traces de son forfait, sans hâte mais avec l'envie d'en finir au plus vite. 

Les heures sont lentes, les paupières lourdes, le cœur bat comme au ralenti et c'est du plomb que charrie notre sang: nous avons mille ans. 

Quand le soir finit par tomber, nous nous en allons rejoindre notre lit comme d'autres descendent dans leurs cercueils. Nous avons hâte d'être demain. Et quand le sommeil finit par triompher, au moment de s'abandonner à nos rêves, dans cette seconde où l'on bascule de la réalité au songe, nous nous sourions à nous-mêmes: nous avons encore survécu, nous sommes toujours bien vivants, et demain, mon Dieu, demain, nous serons de retour à la manœuvre et nous étincellerons de mille feux.
De mille feux.


[Photo : Arvin Asadi via Flickr License by - source : www.slate.fr]

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