quarta-feira, 7 de fevereiro de 2018

Woody Allen – « Wonder Wheel »


 

Écrit par Miriem Méghaïzerou
Avec son titre enchanteur, Wonder Wheel laisse entrevoir une comédie à happy end. Mais ce serait feindre de méconnaître les facéties douces-amères d’un cinéaste qui cache à peine sa misanthropie. Qu’on se le dise la wonder wheel est plutôt l’image de l’éternel retour et de l’homme condamné, tel un hamster, à faire des petits tours sur la roue de la Fortune.
Le cinéaste choisit, pour la deuxième fois après Annie Hall, le cadre de Coney Island, de ses manèges, restaurants et plages aux couleurs chatoyantes, pour appâter le spectateur. C’est ainsi qu’on s’imaginerait volontiers la vie dans une boîte à musique des années 1950. Quatre personnages se débattent avec leurs rêves et leurs névroses (du Woody, quoi) Ginny (Kate Winslet), actrice déchue et épouse deux fois déçue, est serveuse dans un restaurant d’huîtres de la promenade. Désespérée, un rien excédée par son alcoolique de mari en sevrage (Humpty, joué par James Belushi) et son pyromane de fils, elle se console dans les bras de Mickey (Justin Timberlake). L’amant, sauveteur de cœur et de plage se rêvant en dramaturge, nourrit les rêves artistiques de Ginny. Et elle, de se fantasmer un retour sur les planches pour ne pas sombrer dans la mélancolie. Quand revient la pétulante Carolina (Juno Temple), fille que Humpty a eue d’un précédent mariage, la vie de Ginny se complique sévèrement.
Copyright Mars Films

Avec Carolina, le loup entre dans la bergerie - mais seulement si on feint d'ignorer que le ver était déjà dans le fruit. Recherchée par les hommes de main de son ex-mari, un patron de la pègre qu’elle a balancé au FBI, elle trouve refuge chez son père, dont elle avait déçu tous les espoirs. Le retour de l’enfant prodige fait ainsi planer la menace d’une vengeance funeste sur une famille déjà brinquebalante. Par ailleurs, Carolina représente une rivale de taille pour Ginny : elle a la jeunesse, la grâce et un passé sombre qui lui valent la protection de son père et l’attirance de Mickey. Kate Winslet, en épouse malmenée, en amante manipulée et en mère éplorée, joue admirablement la passionaria neurasthénique, poussant ses émois de femme accablée jusqu'à la somatisation, à grands coups de céphalées. On pourrait craindre que le film peine à trancher entre deux polarités aussi tendues, celle du film noir et celle du mélodrame, néanmoins il trouve subtilement son équilibre en travaillant sur l'humour, la distanciation et la mise en abîme du théâtre et du cinéma.
Le cadre artificiel du parc d’attraction exhibe en effet  la théâtralité de la mise en scène, avec un décor de convention aux couleurs volontairement saturées. On peut y voir une référence au carton-pâte et aux studios de Hollywood, affichés comme de purs produits de divertissement consumériste. Il en va de même des affiches de films devant les cinémas de Coney Island, où la tension dramatique est exacerbée par la rencontre de l’amant, sa maîtresse et sa belle-fille. Wonder Wheel est ainsi parsemé de clins d’œil cinématographiques. Depuis la séquence d’ouverture, les travellings qui suivent les déplacements de Carolina et de Ginny font apparaître, en plan large, les circonvolutions d’un grand huit ou d’une grande roue, les rails et mouvements des manèges connotant les dispositifs techniques de la caméra.
Mais Woody Allen va plus loin et investit la portée métaphorique de l’image, travaillée par le motif de la boucle. Dans l’univers fermé du parc d’attraction, la circularité évoque le fatum et son ironie tragique. Quoi de plus sarcastique que ce lieu d’amusement, de pommes d’amour et de musique entraînante pour les destinées qui s’y jouent ? La maison de Ginny et Humpty, tout entourée de verrières, ressemble ainsi à un lieu tchéckhovien, où les personnages tournent en rond dès qu'ils s'y retrouvent, et où Ginny est au bord de la folie. Non seulement Carolina, traquée par la pègre, intensifie la méfiance de la migraineuse, mais en plus Ginny semble vouée à un malheur certain qui prend les traits du vieillissement, de la conjugalité malheureuse et d’une carrière artistique révolue.
Copyright Mars Films

La vision pessimiste de Woody Allen se trouve ainsi distillée dans cet univers enchanteur que le cinéaste subvertit à des fins peut-être trop démonstratives. Néanmoins, il essaie de dépasser son propos philosophique et moral sur le désespoir absolu de l'homme par des visées esthétiques et un travail minutieux sur la forme. La photographie vintage et le jeu sur la lumière déconstruisent ainsi toute prétention de vraisemblance. La lumière est souvent irréelle, le cinéaste se plaisant à jouer avec les couleurs. Il sonne la fin de la romance avec des couleurs froides qui prennent le pas sur les couleurs chaudes, dès que s’assombrit le cœur de Ginny. Woody Allen ne craint pas de juxtaposer des ambiances contrastées au sein d'une même scène pour accompagner les revirements "lunatiques" de son personnage, permettant à Kate Winslet de crever l'écran par ses expressions, son corps et sa chevelure tantôt blond vénitien, tantôt fauve. Tout le travail de la mise en scène et de la photographie fait ainsi symptôme, sinon qu’il est au service du symptôme de Ginny et de son tourbillon de folie. Sans doute on trouvera peu efficaces ces procédés, au regard d'un film comme Match-Point, où l'amertume du cinéaste s'exprimait de façon plus nuancée. Toutefois, cette excursion dans l'univers suranné des années 1950 est une réussite par son approche à la fois ludique et sérieuse du thème de la famille maudite.
Copyright Mars Films

Évidemment, on retrouve dans Wonder Wheel des éléments récurrents de la filmographie de Woody Allen, avec toutes les ramifications névrotiques qu'il se plaît à exposer : échec du couple, destructivité du fils en proie à une étrange compulsion de répétition pyromane, échec des interventions thérapeutiques. Que le livre d’Ernest Jones sur Hamlet et Œdipe passe de main en main n’a donc pas de quoi étonner le spectateur averti. Les deux figures tragiques sont retravaillées et déplacées comme des motifs théâtraux et psychanalytiques de la vengeance et de l’inceste. Ginny, en cherchant à éliminer une rivale qui lui conteste à la fois l’amour de son mari et de son amant, veut confirmer sa place de femme, mais aussi revenir dans la boucle des femmes séduisantes. Dans une scène hallucinée, elle se joue son grand retour sur scène, grimée comme une voiture volée et costumée comme une vestale en fin de bal. Cette scène pourrait passer pour un morceau de bravoure quasi opératique, où Kate Winslet donne la pleine mesure de son jeu, investissant brillamment les tonalités pathétiques de sa palette dramatique. Elle peut aussi prêter à sourire si on la prend avec distance. Subtil pastiche de la dernière scène de Boulevard du Crépuscule, que celle où Norma Desmond descend le grand escalier face aux photographes, dans un total déni de la réalité. Dans l’hommage à Billy Wilder, le désœuvrement de Ginny s’affirme comme le renouvellement d’un constat amer sur la gloire éphémère de l’artiste. Pourtant, il n’y a que le cinéma qui sauve, comme en témoigne la propension du fils de Ginny à trouver refuge dans les salles obscures Il semblerait que ce soit là le fin mot d'un homme désabusé, qui n'en est pas moins excellent cinéaste.

[Source : www.culturopoing.com]

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