segunda-feira, 14 de agosto de 2017

L’art rebelle apprivoisé

Montréal est aujourd’hui une des villes préférées des artistes de la bombe aérosol

Les icônes du 7e art sont parmi les sujets préférés du graffiteur Stikki Peaches, qui s'exécute la nuit tombée, notamment sur les murs du Mile End et du Vieux-Montréal. On peut voir cette œuvre en face du 21, rue Fairmount.
Écrit par Isabelle Paré

Autrefois perçu comme une « pollution visuelle », le street art est aujourd’hui porté aux nues, coté dans les enchères d’art et commandité de toutes parts. Dans la foulée, Montréal, où se tient depuis jeudi la cinquième édition du festival Mural, s’est taillé une place enviable dans le milieu mondial des arts de la rue et du graffiti.

En 2004, l’artiste Roadsworth était écroué et accusé de 53 chefs d’accusation pour avoir égayé de sa bombe aérosol les trottoirs et le macadam de la métropole. L’affaire, qui a fait le tour du monde, fait aujourd’hui sourire. Non seulement la métropole attire ces jours-ci des graffiteurs des quatre coins du globe, mais la Ville commandite même festivals de street art et artistes. Elle accueille aussi au sein de son conseil municipal l’excentrique et tatoué Sterling Downey, alias Seaz, graffiteur plusieurs fois arrosé d’amendes salées !
 
Pas de doute, l’image de l’art urbain à Montréal s’est métamorphosée en moins d’une décennie et vit aujourd’hui des jours heureux, comme dans plusieurs métropoles du monde. « Je travaille dans plusieurs pays et tous les festivals se ressemblent désormais. Mais il y a quelque chose de spécial ici, où vivent plusieurs de mes amis et mon agent. Montréal est devenue énorme. Pour les artistes, c’est la place où il faut aller », affirme Ricardo Cavolo, un muraliste espagnol, qui trouve d’ailleurs Montréal plus pétillante que Barcelone côté street art. Ce n’est pas peu dire.
 
« C’est vrai que Montréal a une très bonne cote auprès d’artistes, non seulement parce que les loyers sont moins chers qu’à New York ou Toronto, mais aussi à cause de l’accès à toutes sortes d’expériences, comme les festivals et la possibilité de réseauter avec d’autres artistes », affirme Mélissa Proietti, responsable de l’organisme qui produit Underpressure, premier événement consacré aux graffitis et à la culture hip-hop à Montréal, créé en 1996.
 
Autrefois confidentiel, Underpressure est maintenant soutenu par la Ville. L’organisme qui produit l’événement gère aussi la galerie Fresh Paint, où de nombreux graffiteurs exposent leurs oeuvres. Le même organisme a aussi donné naissance à un programme de formation à l’art urbain à l’école secondaire James Lyng de Saint-Henri, dont tout le cursus — y compris les math ! — valorise la créativité par l’entremise du street art et de la culture hip-hop.
 
De honni à béni
 
« La perception du street art a complètement changé. Avant, dès qu’on parlait graffitis, les gens les associaient aux gangs de rue ou à la violence. Pas à des artistes qui ont aussi d’autres carrières », affirme la productrice d’Underpressure.
 
Ce qui a été longtemps perçu comme une épine au pied par la Ville est devenu matière à fierté et à gros sous. L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal et le conseil municipal refilent désormais environ 230 000 $ aux commerçants de la Main pour soutenir le festival Mural. Un règlement municipal a même été modifié il y a trois ans pour permettre la fermeture du boulevard Saint-Laurent pendant les 11 jours de ce pow-wow d’art, visité par plus d’un million de personnes l’an dernier. Une foule deux fois plus nombreuse que celle qu’attiraient les rutilants bolides de la Formule 1 avant la création du festival. Créé pour juguler la fermeture des commerces, l’événement aurait fait chuter de 15 % à 7 % le pourcentage de locaux commerciaux inoccupés, affirme la Société de développement du boulevard Saint-Laurent (SDBSL).
 
L’artiste Stikki Peaches, inspiré par le pop art et les figures iconiques, est lui-même surpris de la réaction générée par ses collages, apposés clandestinement. Dimanche dernier, le propriétaire d’un commerce légendaire du boulevard Saint-Laurent, Schreter Inc., s’est empressé de le remercier sur les réseaux sociaux d’avoir laissé sa griffe sur ses murs. « Ils ont même mis mon collage sur leur page Facebook ! » raconte l’artiste. Les collectionneurs ne se gênent d’ailleurs plus pour découper les panneaux de bois où il applique ses oeuvres pour égayer des bâtiments barricadés. « Ça fait partie du jeu. Une fois créée, l’oeuvre ne m’appartient plus. »
 
Plusieurs graffiteurs qui ont fait leurs classes dans les rues de Montréal vivent aujourd’hui de leur art. Stikki Peaches, qui revient tout juste de Gênes et de Berlin, vend ses pièces des milliers de dollars en galerie. Un succès qui ne l’empêche pas de continuer à faire du vrai « street work », une facette indissociable de son travail.
 
« Plusieurs artistes font cela maintenant à temps plein et voyagent comme moi pour produire leur art », dit-il. MissMe, une artiste dont les amazones féministes aux oreilles de Mickey Mouse carburent sur Instagram et sur le Web, a abandonné un poste envié dans le domaine de la publicité pour se consacrer à l’art urbain. « Je voyage partout. J’aime bien laisser ma trace. Au début, mon travail n’était pas toujours bien perçu. Maintenant, il y a un réel intérêt pour cet art alternatif. Je viens même de finir un film pour l’ONF », dit celle qui a fait l’an dernier l’objet d’une exposition au Centre Phi, l’une des mecques de l’art contemporain à Montréal.
 
Encore subversif ?
 
Longtemps jugé marginal par nature, le street art l’est-il encore, maintenant que des oeuvres de graffiteurs vénérés comme Bansky, célèbre adepte britannique du pochoir (vendues plus d’un million de dollars), font exploser les enchères ? Assidûment scrutés, les comptes Instagram sont devenus les terrains de chasse privilégiés des galeristes pour dénicher les artistes les plus prometteurs.
 
La popularité du street art auprès du grand public a du coup provoqué sa récupération commerciale par les Louis Vuitton, Absolute Vodka, Air France et McDonald’s de ce monde, qui surfent sur cette vague rebelle pour donner un peu de « oumpf » à leur image. « Certains artistes sont prêts à faire n’importe quoi. À la base, ça se veut un art contre la consommation et la propriété privée. Que ce soit récupéré par Louis Vuitton et McDonald’s, qui incarnent tout sauf ça, ça me choque ! » peste MissMe, dont les oeuvres parfois décapantes dénoncent l’image réservée au corps de la femme.


Une petite guéguerre idéologique oppose d’ailleurs certains « writers », rompus aux compositions calligraphiques associées au mouvement hip-hop, aux muralistes, davantage perçus comme de « vrais artistes » payés pour pondre leurs oeuvres lors de grands festivals ou dans des espaces réservés à cet effet. « Ce sont des pratiques très différentes. Certains muralistes n’ont jamais fait de graffitis, mais le public a tendance à tout mêler », note MissMe.

Un art multiforme

Difficile en effet de s’y retrouver dans cet art parapluie qui réunit aujourd’hui mille et une pratiques, y compris du tricot urbain, de la céramique et des installations en trois dimensions. « Certains font de l’art miniature ou des origamis, accrochés aux cabines téléphoniques. Les supports changent, les gens s’approprient la rue de toutes sortes de façons », observe MissMe.

Chose certaine, il n’y a plus matière à débat quant à savoir si le street art est de l’art ou pas, affirme Anna Waclawek, coordonnatrice du Département de l’histoire de l’art à l’Université Concordia. « Le street art repousse les frontières, soulève des questions sociopolitiques, d’une façon sensible, amusante et belle à la fois. Ces pratiques […]engagent le public dans l’expérience de l’art. Cela, en soi, est un geste très puissant. Le rôle que joue le street art dans l’expérience urbaine et les échanges qu’il fait naître entre l’environnement bâti et l’imagerie commerciale, cela assure [au street art] sa place dans l’histoire de l’art. »

Encore honni dans certaines villes ou certains arrondissements, l’art urbain est là pour de bon, affirmait récemment à Arte Magda Danysz, propriétaire de la galerie du même nom à Paris, qui a exposé le travail de Shepard Fairey bien avant que son célébrissime portrait d’Obama en bleu et rouge ne catapulte l’artiste dans les hautes sphères de l’art contemporain. Qu’on n’aime ou pas le street art, il « s’agit d’un des gros chapitres de l’histoire de l’art par la force de sa culture, de ses codes, de son langage, de ses thèmes et de ses techniques. »


Photo: Annik MH de Carufel- source : www.ledevoir.com ]

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