Ce portrait d'une femme qui glisse tout doucement sur la pente de la dépression voire d'une gentille folie n'est pas sans faire penser, toute proportion gardée, à Une Femme sous Influence de Cassavetes (la sculpturale Margit Carstensen n'est tout de même pas Gena Rowlands et la mise en scène de Fassbinder est beaucoup plus carrée que celle du John). Malgré tout, on compatit pour cette femme qui, sans forcément avoir à se plaindre matérialement, dérive lentement vers d'autres horizons plus fragiles. Le regard qu'elle pose sur les choses devient légèrement "mouvant", puis c'est au tour du regard qu'elle pose sur elle-même dans son miroir... Le doute l'assaille et rares sont les personnes qui parviennent réellement à lui faire retrouver sa sérénité.   
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Le mari de Margot, Kurt, est moustachu et bien gentil, au demeurant, mais ne semble pas non plus porter plus d'attention que cela à sa femme, qui vient d'accoucher de son second enfant. Faut dire qu'il prépare un exam en maths et cela a l'air super coton. Bref, il est aux abonnés absents et Margot se retrouve à la casa avec pour voisine sa belle-mère, le genre de commères à passer par la fenêtre, et sa belle soeur, une grande bringue aux petits yeux chassieux qui donne pas envie, mais alors pas du tout. Bizarrement ses enfants ne sont que rarement présents, la plus grande devant être à l'école et le chtit dernier devant passer pas mal de temps dans l'appart d'à côté. Margot, d'entrée de jeu, semble s'emmerder comme pas deux. Un poil anémique, pas vraiment énergique, elle subit les quolibets de ses harpies de voisines qui ne cessent de lui dire ce qu'il faut manger, ce qu'il faudrait cuisiner, et blablabla, arrrrhhhh DÉGAGE!!! Margot tente de résister mais le coeur n'y est point : elle passe quelques jours chez une amie, revient ragaillardie mais cela ne dure point... Alors forcément les conneries commencent : cela commence avec du valium pour trouver le sommeil, et puis vas-y qu'on se met à flirter avec le pharmacien du coin, celui avec les petits favoris grisonnants qui n'attendait que cela depuis 30 ans, et hop une bonne rasade de cognac et une autre, et un petit cocktail d'alcool, médoc, vague-à-l'âme sur l'oreiller de la blouse blanche..., qui finit en une bonne grosse dépression... Margot finit même par se couper le bras avec un éclat de verre sans que l'on sache si cela est plus du masochisme qu'un appel au secours.
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Il y a dans le film un être bizarre, qui passe son temps, planté dans la rue, à épier Margot. On peut se demander s'il ne s'agit pas de son double "mental", en phase plus avancée, un être qui a abandonné tout désir, toute volonté. Le plus dur dans le portrait de cette femme, c'est qu'on sent que sa chute est quasiment inéluctable : l'univers qui l'entoure ne laisse finalement pas beaucoup de prise pour qu'elle puisse se raccrocher à quoi que ce soit; elle semble proprement invisible aux yeux de son mari tout couillon et la belle-mère et la belle-fille donneraient presque envie de rétablir la peine de mort (oui bon, j'exagère, je suis po trop famille cela dit peut-être...); quant au pauvre petit pharmacien du coin, il ne semble guère en mesure de la sortir vraiment de son marasme. Margot ferait presque penser à une Emma Bovary qui ne rêve de rien... On espère qu'elle finira, bon an mal an, par s'en sortir (par le travail... mouais...), comme peut nous le laisser à penser ce joli plan à la clinique sur une Margot, heureuse, tournée vers la fenêtre alors que sa compagne de chambrée, Ingrid Caven, avachie sur sa chaise, semble devoir moisir ici (elle y est encore d'ailleurs, non ?). Fassbinder, au final, réussit à nous faire pénétrer dans l'intimité de cette dépression avec un réalisme remarquable : ce portrait de femme en manque de repères - on est jamais très loin non plus de Bergman - s'ajoute à ceux de Martha et d'Effi, deux autres belles réussites du Rainer.
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Posté par Shangols