domingo, 9 de julho de 2017

Makala, Di-Meh, Slimka, le rap qui enflamme Genève

Le rap genevois est en pleine effervescence. Une nouvelle scène prend ses marques, emmenée par Di-Meh, Slimka et Makala, du collectif Superwak. Ils sont jeunes, leur terrain de jeu est la ville, et leur imagination n’a pas de limite. Mercredi à l’Usine, le public d’ici leur a fait la fête. Demain, ils foncent sur Paris. Di-Meh, Slimka, Makala, vingt ans après l’arrivée du mouvement hip-hop à Genève, sont les nouveaux boss du rap.


Mercredi, 21 h. Ils ne sont pas encore cent dans la salle du rez de l’Usine que les bras se lèvent déjà, et la foule saute, et l’on crie d’une seule voix les paroles que tous connaissent par cœur. Sur scène, pourtant, ce n’est qu’un DJ s’employant à chauffer l’ambiance. Il faut patienter une heure encore. Dans les têtes, ce n’est qu’une seconde. Puis le concert commence. Un peu par la bande, sans qu’on n’annonce quoi que ce soit. Mais nul n’en était besoin. Depuis longtemps, l’attention était à son comble. Alors, le son enfle, le DJ lance le beat. Et le feu prend.




L’urgence comme moteur

Di-Meh, Makala, Slimka balancent le rap genevois de la dernière génération. A l’Usine ce soir-là, c’est l’échauffement avant une longue tournée qui va traverser la France. A chacun son personnage, sa gestuelle, ses couplets formulés comme des gimmicks. Makala le grand Black porte chemise fleurie. Le timbre chaud de sa voix, ses saillies soul mêlées de phrasés durs ont l’avantage de sonner clair et fort. Le pilier liant le trio, le voici. Mais les autres ont leurs qualités, et le jeu physique importe autant que la voix.

Di-Meh, coupe rase, tête baissée, fonce droit contre la foule: son rap est un cri, son flow un coup de poing. Slimka, le dernier venu de la bande, sera le premier à tomber la chemise, bondissant en long et en large. Voyez l’allure, imaginez le chant: Slimka est une bête de scène. Et le tout est un monstre d’efficacité dont on peut dire qu’il est rock. Punk même. S’il se dégage pareille énergie, c’est qu’il y a urgence. Urgence de prendre la scène, de faire entendre sa voix, de se sentir vibrer. Et pour cela, il faut tout donner, pour faire d’un concert un chaudron émotionnel. 

L’adhésion du public

«Il se passe quelque chose d’extraordinaire, vraiment.» C’est un ancien qui parle, croisé au bar. Eriah, pilier du rap genevois depuis les années 2000, ne cache pas son enthousiasme: «Di-Meh et les autres, c’est la ramification d’un même arbre, auquel on appartient tous. Un jour, la lumière tombe sur une branche, qui fleurit plus vite.» La métaphore est bonne, qui résume parfaitement l’histoire du rap local, et comment, des débuts dans les années 90 à aujourd’hui, le lien perdure et la famille hip-hop s’agrandit. Non sans se transformer.

Le goût des textes profonds s’est-il perdu dans la bataille? Le Superwak, du nom du collectif réunissant Slimka et les autres, préfère les mots fun, les rimes absurdes: «Squad gang gang, ma young est squad bang bang!» Le refrain de Slimka, cependant, fait hurler la foule. Qui en redemande, encore.

23 h. La salle est une étuve, quelque 800 personnes – concert complet – hurlent leur adhésion aux mots tranchés vifs, aux refrains cinglants lâchés sur des basses puissantes servis par les vedettes du jour. Il y eut encore de nombreux va-et-vient, des invités, BraccoBrax, autre figure genevoise des années 2000. Puis des inconnus, des gars en sueur, des types sautant de part et d’autre du plateau. Tout n’était pas clair, les musiciens se sont perdus parmi les corps. Le chaos n’était pas loin. Mais c’est là, précisément, lorsque le public s’est accaparé physiquement la scène, que l’ensemble a fait sens: cette musique est vivante.

Di-Meh, le rap qui roule devient maousse 




«Téma le combo de nawak/J’débarque à Tokyo comme Bow Wow/On démarre le pogo de ta life.» Les basses tabassent et la voix crache. Focus, lâché sur Internet il y a cinq mois, sert une langue puissante chargée de rimes au rasoir. Signé Di-Meh, rappeur genevois en pleine ascension. Voilà un style à part entière, lexique vernaculaire propre à la culture rap, anglicisme et verlan revisités. Pour qui comprend ces paroles, c’est un appel à la fête. Et pour qui ne fait que les entendre, c’est déjà une frénésie qu’on peut qualifier de rock. Di-Meh, 21 ans, skateur invétéré, envoie le rap du bout du lac sur une orbite vertigineuse. Le public du cru suit ses moindres gestes, regarde tous ses clips. C’est un buzz, qui déborde jusqu’à Paris. Sa musique charrie des sons qui claquent, des musiques qui dansent, en lien direct avec les derniers goûts de la scène rap. Que ce soit les pulsions sourdes et les textes crus de la trap du sud des États-Unis. Ou les beats carrés, électroniques, de la plus ancienne boom bap. Jeune héritier, Jabbawockeez, Benz, Agité…: onze titres de Di-Meh ont été regroupés sur un mini-album paru ce printemps, intitulé Focus Part. 1.


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Georges Cabrera

Makala, une douce mélodie virant à la rage 


«Genève n’est pas ma limite, loin de là, non, non, non.» C’est du rap et ça se chante aussi. Makala est-il le plus pop du trio de tête du collectif SuperWak? Le plus américain, probablement. Le plus soul, certainement. Entre deux secousses hip-hop, deux assauts costauds, le rappeur de 24 ans caresse la mélodie d’une douce voix, refrains glamour et tempi chaloupés. Mais, toujours, la chair du flow, le corps du texte, revient à l’allure vive de rimes tranchées: «Les canines d’un canidé/L’atmosphère d’une partie de dés/Aie au moins du cash si t’as pas d’idées.» Makala, qui a titré son premier album Varaignée, pour «va régner», se fait lui aussi l’écho des soirées qui n’en finissent pas, des bringues fabuleuses dont on ne ressort jamais vraiment pareil qu’avant. CadillacOyx3Freddy BlancoCapelaMexico, ce sont autant de clips renvoyant à un imaginaire complexe, où se rejoignent compétition sportive, western urbain et virée sur les chapeaux de roue. Le tout avec une dose d’humour bien cadrée.

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Slimka, le troisième complice qui compte pour dix 




Le dernier venu dans le «crew» SuperWak campe l’électron libre de la bande. C’est un petit grain de folie, une attitude à rebours de ce qu’on connaît. Le langage ne ressemble à rien: «Squad gang gang, ma young est squad, bang bang, on fait même pas partie de l’espace Schengen.» Slimka, 23 ans, est allé si loin qu’il n’a trouvé personne, résume ses frères de micro. La chevelure en pagaille, dreadlocks virevoltantes, Slimka est un chien fou lâché dans les quilles. Et le jeu en vaut la chandelle: avec les deux autres, avec Di-Meh et Makala, le dernier arrivé de la bande complète un triangle d’une efficacité redoutable. «Slimka, c’est un délire à part, qui ne répond à aucun code préétabli», concède Thibault Eigenmann, patron de Colors Records, label, studio et base arrière du collectif SuperWak. Au printemps 2017, Slimka a livré son premier mini-album, No Bad Vol.1, dix titres parfaitement huilés, production électronique bardée d’autotune. Pipo MamboBGGExotic TrashPiou Piou… Et Wes Anderson, le morceau de bravoure qui rejoint inexorablement les autres réussites printanières du collectif.

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Georges Cabrera




Le rap genevois, une histoire en trois temps, trois mouvements 




Le rap genevois est en effervescence. Di-Meh, Slimka, Makala, on ne vous donne plus les noms: ça y est, ils sont là, ils campent dans les têtes du public lémanique, séduisent déjà Paris. Mais si leur histoire commence à peine de s’écrire, celle du rap genevois, cependant, est bien plus ancienne. Trente ans? D’aussi loin que l’on regarde, la scène du bout du lac prend sa source ici: Duty Free, 1985. Premier combo hip-hop jamais répertorié dans la région, Duty Free anticipe de deux ans la naissance de cette autre formation, lausannoise celle-là et qui deviendra fameuse, Sens Unik. 

Mon quartier, ma «vibe» 

Duty Free avait donné le départ. Des musiciens ont surgi de partout. C’était chaud, ça bastonnait volontiers, l’ambiance était à la prise de position. Trouver son coin pour donner des concerts n’a jamais été une mince affaire à Genève. C’était le 216 Krew, DJ Chill Pop, Lil’Georges dans les fumées du Goulet, à Chêne-Bourg, comme à l’Usine Kugler de la Jonction. Première effervescence. Du Bronx à Paris, le mouvement hip-hop avait gagné la Suisse. Nega, de Thônex, composait avec Stress et Yvan, de Lausanne, le groupe Double Pact. A Thônex toujours naissait le D.U.O., avec Jonas et Rox Anuar. On vous les livre par quartier, à l’époque la localisation géographique faisait sens, chacun son coin, qu’il représente: M.A.M. aux Pâquis, J.A.X. à la Jonction, OPEE à Onex. Et Les Petits Boss aux Charmilles. 

Certains ont duré. Shaka est encore là, qui s’accompagne désormais d’un orchestre complet. Idem de Jonas, qui a ajouté de l’Afrique dans ses chansons. Rox Anuar, Nega et tant d’autres encore, dont Mans1, un roi de l’improvisation. Toujours debout. En fait de réussite cependant, ceux qui ont frôlé l’exploit dans les années 90 ont pour la plupart quitté la scène. Un quart de siècle avant Di-Meh, Les Petits Boss avaient eux aussi créé le buzz à Paris, accueillis sur le label du collectif La Cliqua. «Mais il manquait les structures de production. Et la com’. Paris nous semblait inaccessible.» Constat livré par Thibault Eigenmann, 36 ans, alias DJ Nevahdie, patron de Colors Records, qui abat un labeur considérable pour cadrer la carrière de Di-Meh, Makala et Slimka. En 2000 et quelque, une autre fournée de rappeurs se mit en branle: Williman, BraccoBrax, Basengo, et on en oublie, auraient pu percer. Ce ne fut pas le cas, quand bien même des contrats seront signés avec des maisons de disques françaises, pour Eriah, pour Nega aussi. «Cette deuxième génération proposait des sons parfaits pour cartonner en radio. Ça ne s’est pas fait.» 

Internet, et comment tout a changé

En 2000, l’immense majorité des squats a disparu,. Restent les salles municipales, les clubs d’associations. À Meyrin, l’Undertown interdit un temps les soirées hip-hop, trop de grabuge. Il faudra donner des gages de bonne volonté. L’Undertown sera à nouveau un haut lieu du rap. Comme La Gravière, aux Acacias. Et, parfois, l’Usine, lorsque les tremplins de Marche à l’Onde présentent les jeunes pousses du cru. Ces soirées, on les doit surtout à Céline Tawil, infatigable organisatrice de concerts. Passe alors dans le paysage genevois une des rares femmes à tenir le micro et s’imposer dans un monde presque exclusivement masculin: Aurélie Djee, de Geisendorf faut-il préciser, aura fait son chemin en Suisse, avant de partir à Montréal. 

Puis Internet a tout changé. Paris, soudain, était à portée de voix. Et Paris, comme Bruxelles, réclame désormais les brillants rappeurs du bout du lac. «Avec l’avènement d’Internet, poursuit Thibault Eigenmann, les barrières ont explosé. Il y a quinze ans, si je voulais rencontrer des producteurs parisiens, prendre un rendez-vous était impossible, il fallait s’y rendre soi-même pour faire le pied de grue devant les bureaux. Chose inenvisageable il y a quinze ans, s’inscrire dans le paysage francophone est désormais possible.» 

Soigne ton strea

Il suffira d’un clic alors, puis dix, cent, des milliers enfin, pour que le rap genevois se fasse connaître. Sur YouTube, les vues s’accumulent, 900 000 pour le clip Good Coffee de Di-Meh avec la chanteuse genevoise Danitsa. Mais le clic ne fait pas vivre. «Il en faudrait des dizaines de millions pour que cela devienne financièrement intéressant», analyse Oumar Touré Franzen. Le nouveau programmateur de la Fête de la musique, 38 ans, travaille également pour Colors Records. Il constate: «Pour capter la jeune génération qui consomme sur les plates-formes en ligne, Deezer et Spotify, la diffusion d’un album n’est pas une chose facile.» Slimka, par exemple, c’est 85% d’écoutes en streaming, dont 95% sur les téléphones portables, souvent gratuitement. Par conséquent, c’est sur scène que tout se joue. Là aussi qu’on pourra vendre des disques et des t-shirts. Voilà la stratégie de Colors Records. 

Un nouveau public

Le passé peut-il expliquer la réussite de Makala et Cie? Leur musique sonne «tellement différente». «Le rap d’avant parlait surtout de l’environnement urbain, des conditions de vie. Celui d’aujourd’hui parle avant tout de l’identité», relève Thibault Eigenmann. «Le collectif Superwak, c’est l’auberge espagnole», résume Oumar Touré Franzen: dix origines différentes, autant de parcours et de sensibilités artistiques. Syndrome de génération, les frontières mentales sont tombées, l’appartenance à un quartier devient secondaire. Les musiciens, les rappeurs, les beatmakers – Pink Flamingo, pour n’en citer qu’un, essentiel aux productions maison –, les illustrateurs, les vidéastes aussi, se regroupent pour leurs goûts musicaux. 

Un moment clé dans l’histoire de Superwak a été cette rencontre, à l’Usine en 2011, entre un Di-Meh d’à peine 15 ans et le collectif parisien 1995, base arrière du rappeur Nekfeu. 1995, on connaît leur succès. «Ils sont allés chercher un public dormant, explique Oumar Touré Franzen. En croisant les styles, la plus ancienne boom bap et la trap d’aujourd’hui, 1995 a séduit un public qui n’était pas exclusivement rap, des lycéens, des étudiants et même des amateurs de rap à l’ancienne. Makala, Di-Meh et Slimka, leur succès s’explique comme cela également.»




Textes: Fabrice Gottraux
Photos et vidéos: Georges Cabrera
Réalisation: Frédéric Thomasset et Paul Ronga
Correction: Nicolas Fleury et Alejandro Sierra
[Source : longforms.tdg.ch] 




Le rap genevois, une histoire en trois temps, trois mouvements








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