segunda-feira, 3 de abril de 2017

Les ombres derrière la porte

« Si rude soit le début », de Javier Marías

Écrit par Véronique Pittolo 

 On pourrait lire l’œuvre de l’Espagnol Javier Marías, qui, né en 1951, a passé une partie de sa jeunesse aux États-Unis, à la lumière du désenchantement. À la lumière de son nihilisme doux, l’existence est une somme de vanités, et la vérité ne demeure authentique que le temps qu’elle reste cachée. Un secret entoure la plupart des héros de ses romans, où un rythme narratif limpide alterne avec de longues digressions qui évoquent quelque peu Laurence Sterne ou Claude Simon et qui suspendent l’intrigue, reflètent une inquiétude. 

Si rude soit le début se situe au début des années 1980, dans l’Espagne de l’après-Franco. Au gré de longs chapitres, deux histoires parallèles décrivent à la fois le déclin d’un couple — le réalisateur Eduardo Muriel et son énigmatique épouse Beatriz Noguera — et la dictature. Aux faits historiques se mêlent les destins individuels. Certains personnages évoquent les grandes figures romanesques de l’ambiguïté : le docteur Van Vechten, sorte de Vautrin espagnol, fut avec cynisme un agent des années sombres du franquisme.

L’intrigue évolue à pas lents, au fil de révélations et de mystères qui s’enchevêtrent. Cette lenteur fait le charme d’un univers profondément mélancolique, ce qui n’empêche nullement l’humour. Un suicide, qui rappelle la scène inaugurale d’Un cœur si blanc(Gallimard, 2008), est décrit ici à la manière d’une farce, qui a pour contrepoint de longs constats pessimistes. 

Marías emprunte au cinéma quelques références évocatrices de panache héroïque et porteuses de nostalgie. Ses personnages en acquièrent une vive et sensuelle présence : ainsi, Eduardo Muriel a l’élégance et l’allure d’Errol Flynn. Il fascine son assistant, le jeune Juan de Vere, le narrateur de toute cette vaste histoire. L’apparition intermittente de figures hollywoodiennes (Jack Palance) ajoute comme un surcroît de fiction au roman, tandis que Beatriz Noguera, femme amoureuse et malheureuse, évoque les héroïnes du XIXe siècle qui, de Mme de Rênal (Le Rouge et le Noir) à Mme Arnoux (L’Éducation sentimentale), fascinent de jeunes hommes ardents. L’amour trompé, l’illusion de l’amour, la glorification et la destruction du couple sont les enjeux principaux de ce récit qui avance par phrases amples, emportant son lecteur dans les méandres d’un passé rejoignant le présent par une succession de mystères et de dévoilements. 

L’ombre de Henry James plane sur les silhouettes qui écoutent derrière des portes vitrées. La filature n’aboutit qu’à une réalité imparfaitement élucidée... Marías ne se berce pas d’illusions : les mensonges font partie du cours naturel de la vie, qui serait insupportable sans une dose de fausseté. Le roman est précisément un espace qui protège des désillusions, un monde clos construit avec ses propres lois. Souvent, en fin ou en début de paragraphe, une méditation prend forme, à l’appui d’une citation. Celle du titre est empruntée à Shakespeare : « Si rude soit le début, le pire reste derrière nous »… La citation agit comme un embrayeur de réflexion qui estompe la frontière entre fiction et réalité, entre ce qui nous a été raconté et ce que nous avons vécu. Marías, qui associe l’enchantement (romanesque) à la mélancolie poétique, propose une métaphysique accessible, portée par une écriture subtile qui exige un lecteur patient, bientôt proprement charmé.


[Source : www.monde-diplomatique.fr]

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