sábado, 29 de abril de 2017

La nature au cinéma : quatre paysages pour grand écran

Rendez-vous mortel dans le désert pour la deuxième saison de la série « True Detective ». 

Écrit par Eve Lamendour
Maître de conférences en sciences de gestion, Université de La Rochelle


Duel au soleil, un western de King Vidor réalisé en 1946, serait une parfaite métaphore pour évoquer la manière dont les cinéastes traitent la nature : elle est cette femme inaccessible au centre du récit. Incapable de la posséder, l’homme préfère s’acharner à la détruire quitte à le faire au prix de sa propre perte.
Le constat peut sembler définitif et nécessite sans doute d’être nuancé. Allons explorer la cartographie cinéphile à travers quatre paysages emblématiques d’un rapport compliqué de l’homme à la nature.

L’immensité désertique

Le Technicolor et le CinemaScope semblent avoir été inventés pour faire l’éloge du paysage nord-américain. Quand il est célébré par un John Ford, cela donne La Prisonnière du désert (1956), tourné en Technicolor et VistaVision.
Le film offre une image séminale de l’Ouest américain à travers les paysages de la bien nommée Monument Valley. Ford reviendra y tourner à sept reprises. Inoubliables, ces perspectives sont le fond âpre qui va alimenter l’imagination de tous ceux qui joueront aux cow-boys et aux indiens.

« La Prisonnière du désert » : une ferme dans le désert, un oxymore qui maintient à l’orée d’un monde primitif, dangereux parce qu’indompté (la nature, les indiens, la tempête de sable).

La nature qui emplit l’écran s’impose moins par l’aridité du milieu que par sa dimension qui écrase les individus, les renvoie avec brutalité à leur médiocre condition humaine. Elle est une machine à fantasmes : y aller pour le spectateur devenu voyageur, y survivre en dépit de la menace silencieuse, invisible qui l’habite, accepter de s’y perdre comme John Wayne qui à la fin du film, sa nièce retrouvée, repart vers cette immensité désertique, comme tous ces gangsters qui seront abattus et abandonnés à l’orée du désert dans les polars américains (comme dans Casino ou la saison 2 de True Detective).
En tournant ses westerns en Espagne (en totalité pour Le Bon, la brute et le truand (1966) ou en partie pour Il était une fois dans l’Ouest (1968) dont les extérieurs sont aussi filmés à Monument Valley et dans le désert de Moab), le très italien Sergio Leone réinvestit, avec un projet satirique, le paysage nord-américain pour en donner une représentation iconique. L’âpreté de la nature imprègne le récit, le caractère des personnages et bientôt leurs visages filmés comme autant de paysages ravinés.

Les paysages ravinés de Sergio Leone. DR

La forêt vierge

Parmi les réalisateurs européens, John Boorman est celui qui a célébré une nature sauvage, récalcitrante et en tout point irréductible.
Vierge folle, elle avale les hommes avant de les recracher, définitivement atteints dans leur masculinité et, bien plus, dans leur humanité (Délivrance, 1972). La descente de rivière en canoë que quatre cadres organisent pour « dernier hommage » à une région qui disparaîtra sous l’inondation liée à la construction d’un barrage sera un enchaînement de stations d’un chemin de croix qui les ramènera définitivement changés à la vie urbaine.
Malmenée par l’homme des villes (cadre, ingénieur, conducteur d’engins), la nature veut sa revanche. Elle s’appuie sur ses tribus pour se défendre, prolos ruraux dans Delivrance, druides et magiciennes dans Excalibur (1981), indiens dans La Forêt d’émeraude (1985). Ce dernier film rejoue le scénario de La Prisonnière du désert dans la jungle amazonienne. Cette forêt vierge est le lieu de l’enchantement pour l’âme innocente qui s’y perd (l’enfant blanc, les « Invisibles », ces indiens authentiques refusant tout contact avec l’extérieur) et se soumet à sa force tellurique. Le fils enlevé puis retrouvé dix ans plus tard par son père restera dans la forêt.
Chez Boorman, l’homme est soumis à la nature. De nombreux films japonais montrent à l’inverse une nature qui ne parvient plus à résister aux coups de boutoir de l’urbanisation.

« La Forêt d’émeraude » : un lieu primitif pourvoyeur pour ceux qui y vivent, menaçant pour ceux qui veulent l’exploiter. DR

La nature en lutte

On retrouve un territoire indompté chez Akira Kurosawa dans Dersou Ouzala (1975). La taïga parcourue par un topographe russe l’amène à rencontrer puis à se lier d’amitié avec un chasseur sibérien qui vit dans la forêt. Arseniev, le topographe, sera le témoin impuissant de la déchéance de son ami et de la destruction du paysage qui lui est si intimement associé. Quand il veut se recueillir sur sa tombe parmi les arbres, ce qui était un lieu préservé a disparu, annihilé par une ville nouvelle.
Depuis le milieu des années 1980, la production du studio Ghibli a développé ce thème de la nature désacralisée. Film emblématique de Hayao Miyazaki, Princesse Mononoké (1997) dont l’action se passe au XVe siècle montre comment la forêt menacée du fait de l’action des hommes est synonyme d’un risque pour l’humanité. La destruction des êtres de la forêt (esprits et animaux) laisse les êtres humains amoindris.
Fable futuriste réalisée en 1984 par Miyazaki, avant la constitution du studio Ghibli, Nausicaä de la vallée du vent décrit l’expansion d’une forêt toxique, seul moyen qu’a la nature pour se protéger des hommes dévastateurs. Dix ans plus tard, Pompoko d’Isao Takahata décrit les luttes des animaux de la forêt contre l’urbanisation et la dégradation inexorable de leur territoire par les humains. Il n’est pas neutre que ces films au message écologique explicite émane d’un territoire paradoxal, sensibilisé aux questions liées à l’environnement (forte densité de population, célébrations ritualisées de la nature, bombardements atomiques, accident nucléaire…).

« Princesse Mononoké » : la nature comme réservoir de la pensée magique. DR

La campagne bucolique

Chez Éric Rohmer, la campagne existe de façon nostalgique. C’est le petit Liré vers lequel Joachim du Bellay irait vivre le reste de son âge, ce paysage de l’enfance que l’on aimera retrouver préservé quand on voudra quitter les rumeurs de la ville ou les aventures lointaines. Mais, les pouvoirs locaux se sont employés à le bousiller. Rohmer a filmé la nature comme le moteur d’une croisade : L’Arbre, le maire et la médiathèque (1993) montre cette douce campagne française où l’on s’écharpe autour de la construction d’une médiathèque. Le maire et son projet seront vaincus par l’arbre centenaire et l’instituteur du village. Voilà le bucolique transformé en paysage politique.
En 2007, les spectateurs des Amours d’Astrée et de Céladon pouvaient lire dans le générique de fin : « Malheureusement, nous n’avons pas pu situer cette histoire dans la région où l’avait placé l’auteur, la plaine du Forez étant maintenant défigurée par l’urbanisation, l’élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation de résineux… ». Les élus ont réagi, le Conseil général concerné a porté plainte et certains spectateurs ont sans doute pu penser que le paysage de leur enfance était bien souvent enfoui sous des parkings, lotissements, zones commerciales et autres zones industrielles, signes de la modernité du paysage français.

« Perceval le Gallois » : le paysage parfait d’une campagne française avant l’étalement urbain, l’autoroute et la grande distribution. DR

Il est évidemment bien d’autres paysages dans la représentation que le cinéma fait de la nature. Les quatre lieux retenus ici jouent de la tension entre le civilisé et le sauvage en redistribuant les cartes attendues à l’instar du film de John Ford, ambigu au possible.
À la force tellurique d’une nature sauvage s’oppose une énergie dévastatrice des humains ; mais il y a des exceptions dont nous pourrions nous inspirer, vite. La jeune fille et les enfants, dans le dessin animé japonais, tiennent ainsi un rôle d’intercesseur pour défendre une nature fragilisée. De même, les autochtones à l’empreinte légère (indiens, chasseur sibérien) incarnent une forme de relation authentique à la nature, veillant à en préserver l’équilibre.


[Source : www.theconversation.com]


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