À 82 ans, le poète et musicien qu’est Léonard
Cohen vient tout juste d’annoncer la sortie d’un nouvel album intitulé
« You want it Darker ». Ce nouvel opus sortira à l’automne, après le 21
septembre, jour de son anniversaire. Il est d’ores et déjà possible de
savourer quelques précieuses secondes du morceau titre dans l’excellente
série télévisée britannique « Peaky Blinders ». Toujours prêt à nous
surprendre et nous étonner, ce Mensch de la chanson nous délivre un
14ème album, produit par son fils Adam Cohen. Un nouveau chapitre écrit
avec la même intransigeance et urgence qu’à ses débuts. Compte tenu de
cette actualité, il nous a semblé bon de partager une rencontre récente
avec Jean-Claude Kuperminc co-auteur du livre « Les Révolutions de
Leonard Cohen », récemment publié aux Presses de l’Université du Québec.
L’Arche : Pouvez-vous
nous présenter le colloque sur Leonard Cohen qui s’est déroulé à
l’institut Lévinas et dont le livre reprend les débats ?
Jean-Claude Kuperminc : Ce
colloque est un projet commun entre les universitaires canadiens et
français, ainsi qu’avec d’autres intervenants venus d’horizons
différents. C’est un vrai mélange: il y a des spécialistes de l’histoire
de la musique, des écrivains et des musiciens. Chantal Ringuet,
chercheuse à la chaire de l’Université Concordia en études juives au
Canada, est à l’initiative du projet. Elle travaille depuis plusieurs
années avec Pierre Anctil, sur la littérature et la sociologie des juifs
du Canada, et aborde, par extension d’autres sujets. L’Institut
européen Levinas dirigé par Gérard Rabinovitch repose sur l’idée
d’ouvrir un champ de recherche dans un large domaine qu’il définit
lui-même comme les humanités juives, en mettant l’accent sur l’influence de la pensée juive dans beaucoup d’aspects de la culture et de la société.
Comme notamment l’apport de la pensée juive dans les musiques populaires ?
Oui, c’est un des thèmes qui m’intéressent de par ma fonction de directeur de la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, et par
goût de la culture populaire qui commence à rentrer dans le champ
universitaire : ce que l’on a appelé un moment les mauvais genres,
la bande dessinée, la musique pop et rock. Il est beaucoup plus
fréquent de parler aux États-Unis ou au Canada de l’influence des Juifs
sur la bande dessinée ou le cinéma qu’en France.
Revenons à Leonard Cohen, quelles sont ses révolutions ?
Les révolutions, c’est peut-être l’idée que Leonard Cohen introduit
constamment dans son écriture de la nouveauté, et ce depuis les débuts.
Révolutionnaire ou pas, il est avant tout un poète. Pour beaucoup,
Leonard Cohen c’est d’abord le chanteur folk qui nous a fait rêver et
accompagné beaucoup de nos (r)évolutions. Pour les canadiens, c’est
aussi un auteur et un poète issu de la scène avant-gardiste montréalaise.
Ce livre vient nous éclairer sur son travail d’écriture qui est plutôt méconnu en France…
C’est un des axes importants de ce livre qui n’est ni une biographie
de Leonard Cohen, ni un lexique de ses chansons. Grâce aux propositions
des intervenants, c’est à chaque fois, une vision et une approche
différente sur la place de ses textes et de sa poésie, en faisant
peut-être nous aussi notre révolution autour de son œuvre.
Il y a aussi son engagement politique…
Là encore en France on a une vision un peu édulcorée de Leonard
Cohen. On a souvent dit que c’était un chanteur de l’amour, de la
nostalgie mais il n’y a pas que ça. Une chanson comme Le Partisan
ou d’autres que l’on peut qualifier de militantes, se positionnent
vraiment dans une vision de détestation de la guerre et s’accompagnent
paradoxalement d’une certaine violence. Le recueil Flowers for Hitler,
par exemple, avec son arrivée très tôt dans le cercle de la poésie et
de la littérature, a fait scandale au Canada. Il y a une revendication
humaniste qui est très présente et qui perdure encore aujourd’hui dans
ses chansons.
Son œuvre est imprégnée du judaïsme, de mysticisme ?
Leonard Cohen utilise encore et toujours les formes de la liturgie
juive dans ses chansons et ses poèmes qui sont imprégnées de la trame
narrative juive biblique. Cela démontre sa connaissance intime de la
chose. Il a d’ailleurs élargi sa palette en s’inspirant aussi bien des
formes cabalistiques du Zohar que du Bouddhisme Zen, et toujours dans
une recherche, solide et humaine, de la profondeur. Selon la tradition
familiale, les Cohen descendent des Kohanim. Il n’a ni changé son nom,
ni utilisé de pseudonyme et n’est pas devenu Dylan, comme un certain
Zimmerman. Pour citer Gérard Rabinovitch, il faudrait entendre
l’ensemble de l’œuvre de Léonard Cohen comme un « Shir Hashirim », un
« Cantique des Cantiques » à la fois profane et spirituel de notre
temps. Un chant qui dit le roman de l’homme tentant d’advenir à son
humanité. Écoutez l’ensemble de son œuvre chantée avec ce viatique et
vous verrez, c’est éblouissant.
Le texte de Jean-Claude Ghrenassia parle du choix d’une errance musicale ?
Leonard Cohen a toujours cherché d’autres influences que celles
ancrées dans la culture américaine que ce soit sur ces textes ou sa
musique. Sur sa technique de chant, on remarque qu’au fil du temps sa
voix tombe de plus en plus dans les graves. Pourtant dans ses derniers
albums, il renouvelle toujours et de manière très habile la mélodie par
l’utilisation des chœurs féminins, comme un relais de ses textes.
Quelles sont ses chansons les plus marquantes pour vous ?
C’est le Partisan, Lover, lover, lover, ou Hallelujah bien sûr… J’ai commencé à les écouter à l’âge de seize ans, dans les années 70, et les écoute encore aujourd’hui.
L’un des textes du livre évoque une sorte de trinité Mysticisme-Poétique-Existentialisme dans l’œuvre de Cohen.
Oui ça justifie assez bien le propos des humanités juives.
C’est à dire que même dans la culture populaire, lorsque l’on creuse on
arrive à trouver dans le fond des éléments importants du judaïsme. Mais
il n’est pas question de l’ethniciser ou de l’essentialiser. Lors des
journées d’études, des pauses musicales d’une extraordinaire qualité
se sont succédées par un groupe de musiciens formés autour du bassiste
et producteur Jean Claude Ghrenassia. C’était un complément
indispensable aux conférences. On pouvait ainsi à la fois entendre le
texte et écouter le jeu et l’intelligence de la composition musicale de
Leonard Cohen.
Il y a eu aussi des ajouts aux textes issus du colloque
Oui, comme le texte de Naïm Katan, un immense écrivain canadien, juif
originaire de Bagdad élevé dans les écoles de l’Alliance israélite
universelle. Il est passé par la France puis par Montréal. Il a fait
découvrir un grand nombre d’auteurs par le biais d’émissions culturelles
à la radio canadienne. Il nous raconte sa rencontre avec le jeune
Leonard Cohen…
Notamment à travers un auteur comme Irving Layton…
C’est un peu le passage des générations à travers les rencontres qui
se montre ainsi. Là aussi ça fait parti de cette histoire de
l’immigration juive, voire de ses déracinements. Leonard Cohen, en plus
d’être le fils spirituel d’Irving Layton, dira de ce très grand poète
juif d’origine roumaine: « Je lui ai enseigné comment s’habiller, et il
m’a enseigné comment vivre pour toujours ».
You don’t know me from the wind
Le vent ne t’a pas dit qui je suis
You never will, you never did
Tu ne le sauras jamais, tu ne l’as jamais su
I’m the little jew
Je suis le petit juif
Who wrote the Bible
Qui a écrit la Bible
I’ve seen the nations rise and fall
J’ai vu l’essor et la chute des nations
I’ve heard their stories, heard them all
J’ai entendu leurs histoires, je les ai tous entendus
But love’s the only engine of survival
Mais l’amour est le seul moteur de survie
–
Leonard Cohen – The Future – 1992
[Source : www.larchemag.fr]
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