Entre confusion religieuse et démonstration de force, l’auto-proclamé évêque Edir Macedo, de l'Igreja Universal do Reino de Deus (église universelle du royaume de Dieu), a inauguré au mois d’août en plein cœur de São Paulo le plus grand temple du pays, directement inspiré de l’ancien Temple de Salomon décrit dans la Bible.
Vue nocturne du temple de Salomon. |
Par Bruno Guinard
L’édifice est gigantesque, il s’étend sur 100.000,00 m², 126 mètres de longueur, 104 m de largeur et 55 m de hauteur, avec ses deux sous-sols cela équivaut à un immeuble de 18 étage. A l’intérieur, le temple abrite 36 salles « d´études bibliques », des studios de télévisions (cette église est propriétaire d’une des plus importantes chaînes du pays, la TV Record), un auditorium pour 500 personnes, un parking pour 2.000 voitures, 84 appartements dont celui de l´évêque et de sa famille, qui occupe 1.000 m² en terrasse. La nef, haute de 18 mètres est illuminée par 10.000 lampes, une par personne puisqu’elle est prévue pour en accueillir 10.000 – c’est aussi le nombre de chaises (importées d´Espagne). Dans les sous-sols du temple, on trouve un mémorial et un musée de l´histoire des anciens temples, avec des reproductions d’objets de l´époque biblique. Un autre secteur abrite le futur tombeau d´Edir Macedo et de sa famille… Les pierres de la façade ont été importées d’Israël, ainsi que les oliviers qui représentent le Mont des Oliviers. Au milieu de l´autel est installée une « Arche d’Alliance » recouverte de feuilles d’or, enfin, les parties latérales de la nef sont ornées de ménorah géantes (les chandeliers à 7 branches).
Le temple est inscrit sur la liste municipales des attractions touristiques de São Paulo,
très bien placé dans le centre de la ville, il a tout pour en devenir
l’un des monuments les plus visités. Mais qu’on le sache, le tourisme
n’est pas le but de l'Igreja Universal (l’église universelle) et
d’Edir Macedo, son fondateur. Inauguré en grande pompe fin juillet, en
présence de nombreuses personnalités de tous les secteurs de la société,
y compris Dilma Rousseff, la présidente du Brésil, le Temple de Salomon
est une démonstration de force et le couronnement de 37 ans d´existence
de cette église néo-pentecôtiste. La construction a duré quatre ans et a
coûté 226 millions d’euros, c’est tout un pâté de maison que l’église a
du acheter et raser dans cet ancien quartier traditionnel du Brás, dans
le centre de São Paulo.
Question : C’est délirant ce méga temple, que représente cette Église Universelle ?
Bruno Guinard : Au Brésil, selon les sources officielles, elle compterait deux millions de fidèles, mais selon cette église, c’est plutôt huit millions. Il s’agit d’une secte néo-protestante, qu’on appelle aussi néo-pentecôtiste, qui fait partie de ce mouvement évangéliste en pleine expansion dans le pays depuis plus de 30 ans. L'Igreja Universal, ou IURD, comme on l’abrège ici, a été fondée à Rio en 1977, par Edir Macedo, un ancien fonctionnaire comptable qui s’en est auto-proclamé le « bispo », c’est-à-dire, l´évêque. C’est lui qui la dirige jusqu’à aujourd’hui et qui est à l’origine de ce temple. Ce n’est d´ailleurs pas le premier dans le pays, il existe des temples géants dans toutes les grandes capitales d’État au Brésil, en tout ce sont 6.500 temples, mais celui-ci, le temple de Salomon, est le plus imposant et est désormais le siège mondial de cette église, qui est présente dans près de 200 pays. Au Brésil c’est la 5ème institution religieuse en nombre d’adeptes, elle a un poids médiatique considérable, puisqu’elle possède 76 radios, 4 revues, une société de production musicale avec des studios d’enregistrement, une maison d’édition avec des dizaines de titres publiés, et enfin la chaîne de télévision TV Record, la plus ancienne chaîne du pays (fondée en 1953) et la seconde en audience (juste derrière la Globo). Edir Macedo a acheté cette chaîne à la fin des années 80, alors qu’elle connaissait de gros problèmes financiers ; à l’époque, l’acquisition s’élevait à 45 millions de dollars, plus les dettes de 300 millions de dollars qu’il a fallu éponger.
Question : : D’où proviennent de tels moyens financiers ?
BG : En
grande partie des dons des fidèles, surtout du « dízimo » (la dîme),
ou les 10% de leurs revenus. Ce n’est pas une obligation, mais c’est
fortement suggéré et de toute façon inscrit dans la doctrine de cette
église. Edir Macedo prêche le don de façon très directe, sur le principe
que l’on reçoit de Dieu à la hauteur de ce qu’on lui donne. Et ça
marche apparemment très bien, puisque les moyens de cette église sont
colossaux. C´est d’ailleurs sur ce point, la dîme, qu’Edir Macedo
est le plus critiqué par ses détracteurs, mais comme de toute façon il
prêche l’enrichissement personnel à travers sa « Théologie de la
Prospérité », il est parfaitement en accord avec le fonctionnement de
son église. Un autre type de don est sollicité deux fois par an, c’est
la « Fogueira Santa de Israel » (le feu sacré d’Israël), il s´agit là
encore d’une interprétation propre des sacrifices existants dans le
judaïsme. L'IURD indique que le sacrifice permet d’approcher Dieu, et
que plus le sacrifice est grand, plus l’hommage à Dieu l’est aussi. Bien
entendu, le feu est symbolique et l’on n’y jette pas des animaux mais
de l’argent. L’idée est de sacrifier, ou plutôt se sacrifier directement,
en donnant ce à quoi on tient le plus, ou qu’on a eu le plus de mal à
obtenir. On peut ainsi vendre sa voiture et en offrir le fruit de la
vente au « Feu Sacré », ce n’est qu’un exemple, et plus ce fut difficile
de l’acquérir, plus le sacrifice est fort, ça remplace la flagellation
et toutes les pénitences bien connues des catholiques. Le reste de ses
moyens est le fruit des nombreux business de cette église, vente de
livres, disques et DVD, publicités, revues, radios et télés, etc ; et
comme tous les revenus et investissements sont rigoureusement bien
gérés, cette église n’a fait que prospérer.
Modèle d´une enveloppe distribuée aux fidèles pour y déposer la dîme.
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Question : Elle n’est donc jamais inquiétée et ça ne dérange personne ?
BG : Cette
église est sous surveillance, en tout cas en apparence car dans les
faits elle s’en tire toujours bien. Son parcours n’est pas de tout
repos, par exemple, en 1992, Edir Macedo a passé onze jours en prison. A
l’époque, le Ministère Public l’avait accusé de « charlatanisme,
escroquerie et atteinte à la croyance », mais faute de preuves, il s’en
est sorti, grâce aussi au soutien de nombreuses personnalités qui
défendaient la liberté de culte, comme ce fut le cas de Lula et de Pelé.
Il est aussi intéressant de constater qu’après cette affaire, le juge
qui était à l’origine de cette accusation a été transféré dans un
district populaire aux fins fonds des banlieues de São Paulo et qu’on a
plus jamais entendu parler de lui.
Plus
récemment, ce nouveau temple de Salomon fait lui aussi l’objet d´un
litige avec la mairie de São Paulo. Il a été édifié avec un permis de
construire dit de « restauration », et non pas de construction. Hors, il
n’y a avait aucun édifice à restaurer à cet emplacement, ceux existants
ayant été rasés, c’est bien une construction qui a été faite. Comme le
temple se trouve dans une zone « à priorité sociale », la mairie de São
Paulo exige aujourd’hui que l'Igreja Universal construise, à titre de
compensation pour le quartier, 3.500 habitations populaires. Ceci
dit, malgré ce litige, le maire de São Paulo était présent à
l’inauguration du temple, tout comme le ministre du Suprême Tribunal
Fédéral.
Question : Et les autres religions, comment ont-elles réagissent à ce temple ?
BG : Là
aussi il y a des critiques, mais rien de suffisamment dévastateur pour
que cela puisse troubler la fête. Certains pasteurs
d´églises « concurrentes » le qualifient d’affront à la pauvreté, ou
encore de retour en arrière de la foi chrétienne puisqu’on y pratique
l´adoration de symboles de l’Ancien Testament. Pour l’église catholique,
c’est un coup dur, puisque ce temple fait de l’ombre, par son
gigantisme, à la basilique d'Aparecida, jusqu’ici considérée comme le
plus grand espace religieux du pays. Mais au sein de cette même église
catholique, certains en font une lecture plus optimiste (pour elle), en
ce sens qu’on observe depuis quelques temps une diminution de la
croissance de l'IURD, et que ce temple aurait justement été édifié pour
impressionner et créer un impact susceptible de ramener des fidèles.
Pour les juifs, c’est plus compliqué car la communauté est très divisée
sur ce sujet. Au Brésil, elle aurait tendance à bien l’accepter, un
mouvement de la jeunesse juive de São Paulo a même récemment déclaré
qu’en utilisant les symboles du judaïsme, on peut contribuer à combattre
l’antisémitisme. D’autres, plus particulièrement dans la communauté
internationale, y voient une usurpation, et même un blasphème. Ceci dit,
le consul général d’Israël a lui aussi participé à la cérémonie
d´inauguration.
Question : Le pasteur se transforme-t-il en rabbin et ses temples en synagogues ?
BG : Pour
Edir Macedo, qui, je le rappelle, n’est pas pasteur mais évêque
(auto-proclamé), le but n’est pas de devenir rabbin, ce n’est pas en
rabbin qu’il a voulu se présenter, mais en prophète d’Israël, c’est plus
glorieux ! C’est Jésus qui reste la figure centrale de son église, qui
est basée sur le Nouveau Testament, mais il veut rappeler que Jésus
était juif, que le christianisme plonge ses racines dans le judaïsme. Il
ne lésine donc pas sur les symboles, le temple de Salomon, puis la
kippa, le talith, les menorah, l’Arche d’alliance, etc…
Entrée de l´Arche d´Alliance dans le temple le jour de l´inauguration. |
Question
: C’est tout de même une forme de syncrétisme ?
BG : Edir
Macedo n’est pas un compromis près, tout ce qui fait fonctionner les
autres religieux l’intéresse, tout ce qui fascine et attire le peuple
peut être incorporé à son église. C’est ce qu’il a fait avec le candomblé, par
exemple, pour mieux attirer le petit peuple, chez lequel les religions
animistes afro-brésiliennes sont bien ancrées, il a incorporé dans sa
liturgie la plupart de leurs pratiques, les percussions, les chants,
mais aussi les transes, les exorcismes… Ayant épuisé cette source, il se
tourne désormais vers le judaïsme. Un jour, ce sera peut-être l’islam,
avec Edir Macedo on peut s’attendre à tout, une reproduction de la Kaaba
en pleine Amazonie, c’est dans ses cordes !
Question
: Pour finir, peut-on parler de secte ?
BG : Dans
ce cas, la frontière entre la secte et la religion est très fragile, l'IURD n’oblige personne, elle ne fait rien ingurgiter aux gens, ne
séquestre personne, alors le lavage de cerveau est difficile à prouver,
d’autant qu’au Brésil, la législation est assez souple sur le sujet.
Bien sûr, comme on l’a vu, il y a des détracteurs, mais cette église
peut compter sur de nombreux appuis dans toutes les sphères de l’État.
Elle intègre le groupe parlementaire évangélique, qui, composé de
diverses églises néo-protestantes/pentecôtistes, siège au Congrès
National à Brasilia. Ce groupe, connu comme « Bancada evangélica », avec
73 députés et 5 sénateurs, représente 15% des votes au Congrès
National, ce qui est suffisant pour peser sur les décisions politiques
et économiques du pays. Ces églises ne sont donc pas considérées comme
des sectes, cependant, il y a une vraie polémique sur leur présence au
sein de l’appareil d’État d’un pays laïc. Les intellectuels et certains
parlementaires relancent régulièrement le débat, mais jusqu’ici cela ne
dépasse pas le stade de la rhétorique. L'Igreja Universal do Reino de Deus a
donc de beaux jours devant elle, et Edir Macedo peut finir les siens en
toute quiétude dans son beau et flambant neuf temple de Salomon.
L´heure de la prière. Représentants du groupe parlementaire évangélique au Congrès National. |
[Source : www.brasil-agora.com]
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