Hommage du quotidien de la gauche israélienne à la France, pays qui saura surmonter la terreur sans renoncer à ses libertés ni mettre au ban ses citoyens musulmans.
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À Paris, le 18 novembre 2015. |
Ceux qui entendent piétiner les valeurs démocratiques de la France au nom de la lutte contre le terrorisme obéissent à un scénario cher à Daech. L’immense majorité des musulmans français, qui représentent 10 % de la population du pays, sont révoltés par le terrorisme. Ils sont en très grande majorité français de naissance et souhaitent ardemment s’intégrer, étudier et faire une carrière. Une petite minorité extrémiste vise la destruction de la France et la ruine de la culture occidentale. Cette minorité joue sur la pauvreté, le racisme et la frustration qui règnent dans les banlieues pour recruter des jeunes sans espoir.
Les Israéliens font souvent preuve d’arrogance quand ce genre d’incident se produit à l’étranger : “Ils sont naïfs, ils ne comprennent pas vraiment à qui ils ont affaire.” Or les Français comprennent très bien. Il y a longtemps que la France est confrontée au terrorisme islamiste. Ses services de sécurité, qui sont les meilleurs d’Europe et qui ont les meilleurs réseaux, en ont fait leur cible principale. La dernière chose qu’on puisse dire, c’est que la France se repose sur ses lauriers en la matière. Elle est parfaitement consciente de la gravité de la menace.
La survie de la démocratie se joue maintenant
Le véritable danger, en revanche, concerne son caractère et son esprit. D’un côté, les terroristes cherchent à entraîner le pays dans une guerre contre ses citoyens musulmans. De l’autre, les forces ténébreuses de l’extrême droite sont en embuscade dans les zones grises de la république et attendent dans l’ombre que l’état d’urgence mine le régime, comme la peste de Camus. Le gouvernement français navigue entre ces deux écueils et sa mission devient de plus en plus difficile. Comment éliminer les terroristes français sans que la France soit touchée au cœur ? La survie de la démocratie française est en jeu. Ce n’est pas un hasard si l’EI a attaqué Paris, selon lui la capitale de la prostitution et du vice. Et que considère-t-il comme le vice ? La laïcité, la culture, la liberté, l’égalité, la fraternité, le fait que la France se revendique comme le berceau des droits de l’homme. C’est ce que Thomas Jefferson voulait dire quand il a déclaré :“Tout homme a deux pays : le sien et la France.” C’est ce pays-là que Daech cherche à mettre à terre.
Le président François Hollande est désormais confronté à sa plus grande épreuve, l’une des plus difficiles de l’histoire de la France moderne. Certains dans son entourage le pressent d’adopter la politique de l’extrême droite et de cibler tous les musulmans. D’autres comprennent le danger que présente cette idée. Anne Hidalgo, maire de Paris et fille d’immigrés espagnols, sait que pour lutter contre le terrorisme il faut impliquer les communautés [musulmanes] locales, recruter des chefs musulmans. Elle est consciente que la plus grande catastrophe serait de déstabiliser des communautés entières, qui n’auraient alors pas d’autre choix que d’aller vers Daech.
L’Europe et l’ensemble du monde libre vont connaître des jours sombres. Les cris des victimes suscitent des appels à la guerre. Dans ce genre de situation, en France comme en Israël, certains commentateurs considèrent les droits de l’homme comme un obstacle à la lutte contre le terrorisme et font pression pour supprimer toutes les barrières légales. Ce serait la plus grande des erreurs. Un État démocratique peut lutter contre ses ennemis sans perdre son âme et la France le sait. Elle a payé un prix élevé par le passé pour s’être écartée de la voie démocratique. Non seulement il n’y a pas de contradiction entre les valeurs démocratiques et la lutte contre la violence, mais c’est justement pour ces valeurs qu’on se bat. Si l’on réduit la démocratie au nom de cette lutte, le terrorisme aura gagné parce que c’est là son objectif : tuer l’esprit de liberté.
[Photo : JOEL SAGET/AFP - source : www.haaretz.co.il - republié sur www.courrierinternational.com]
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