Soumission, de Michel Houellebecq, la possibilité d'une liberté d'expression sans limite ?
La promotion de Michel Houellebecq arrêtée en France, certains osent s'étonner qu'elle se poursuive malgré tout en Allemagne. Or, à l'occasion de la présentation du dernier roman, Soumission, Houellebecq s'est exprimé à Cologne, lors du festival international de littérature. Outre-Rhin, le romancier fait l'objet d'une admiration qui n'est pas aussi affirmée qu'ici-bas.
Michel Houellebecq, juillet 2014 |
La promotion du livre n'a pas connu les meilleurs auspices : d'un côté, il y eut ce piratage, déclenché près de 10 jours avant la commercialisation officielle du livre. La presse n'a pas manqué le tir, et déjà tout un chacun parlait du dernier Houellebecq – et la disponibilité du livre piraté facilitait sa lecture. Aujourd'hui, les services juridiques de Flammarion ont fait un fameux ménage, obtenant bien plus de retraits qu'on n'aurait pu s'y attendre.
Et puis, il y eut l'attentat chez Charlie Hebdo, survenu peu après que Houellebecq a achevé son interview au micro de France inter. Une douloureuse situation, et l'auteur blessé d'avoir perdu un ami décidait de mettre un terme à sa tournée médiatique en France. Comme le rappelle fort bien l'écrivain, depuis Cologne, les entretiens tournaient autour de la question de l'islamophobie – des interrogations poussées par le prisme Charlie Hebdo.
"Le livre n'est pas islamophobe" (Houellebecq)
Une situation d'autant plus ironique que l'hebdomadaire satirique n'avait pas raté du tout Houellebecq, avec un dessin des plus chiadés. Mais il est vrai que, pour lui, « les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient typiquement des têtes de lard », un critère suffisant pour devenir un héros.
« Le début de mes interviews sur Soumission a été pénible, car j'ai eu le sentiment de répéter en boucle : mon livre n'est pas islamophobe », précise ainsi Houellebecq depuis Cologne, cité par l'AFP. Or, après les attentats, la question devenait récurrente, et à l'avenir, sera « encore plus pénible », estime-t-il. Et de scander : « 1) que le livre n'est pas islamophobe, et 2) qu'on a parfaitement le droit d'écrire un livre islamophobe. »
N'importe qui de sensé se demandera alors si l'écrivain n'est pas en train de dire tout, et son contraire dans la même phrase. Ou plutôt, à proprement parler, il a raison, et il a tort. En France, l'article 24 de la loi de juin 1981 condamne, dans les écrits, dessins, réunions publiques, affiches, et bien d'autres :
[c]eux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.
La loi portant sur l'incitation à la haine interdirait donc la publication d'un ouvrage qui contiendrait des propos comme, tiens, par exemple :
« C'est pas les musulmans qui amènent la merde en France aujourd'hui ? Il faut le dire quoi ! » (Philippe Tesson)
Une pareille déclaration, c'est donc de l'incitation à la haine. En revanche, un ouvrage qui dirait en substance « le christianisme fait peur, parce qu'il y a des intégristes » serait tout à fait admissible.
Du Degré zéro de l'écriture au second degré de la fiction ?
« L'islamophobie n'est aujourd'hui ni un crime ni un délit, avant tout parce qu'il n'existe pas de définition juridique de “islamophobe” et qu'à ce titre, seule demeure la définition admise, et quasi étymologique, de peur de l'islam », nous précise une spécialiste de la propriété intellectuelle. Le terme a évolué, pour désigner, selon le dictionnaire Larousse, une « hostilité envers l'islam, les musulmans ». C'est là tout le point : l'hostilité n'est pas, comme dans le cas de l'antisémitisme, prise en compte par la législation française.
Que le livre de Houellebecq ne soit pas, selon ses dires, islamophobe, est une chose. Que l'on ait le droit d'écrire un livre qui le soit, impliquerait qu'à aucun moment l'ouvrage ne contienne de propos qui contreviennent à l'article 24 – pas d'incitation à la haine. Dans la lecture que nous avions faite de Soumission, nous lui avions trouvé des relents de haine, quand d'autres lisaient là la dernière virevolte d'un romancier – l'art de la fiction, donc. Et tout le problème devient alors celui d'une lecture analytique, qui déterminerait alors si Soumission incite ou non à la haine. Il va falloir relire, donc.
« La seule défense qui existe, face à l'accusation d'incitation à la haine, c'est celle de l'humour, du second degré. Il faut démontrer que la personne accusée n'est pas humoriste, par exemple, et considérer un faisceau d'éléments, les circonstances, les antécédents, le pluralisme des paroles », nous précise-t-on. Dans le cas de Dieudonné, la cible est devenue récurrente, ce qui conduit légitimement à se poser des questions. [NB : il ne s'agit certainement pas d'assimiler les deux personnes]
La question de l'humour fait alors intervenir un autre point : peut-on réserver à une population, le fait de pratiquer l'humour sur elle-même ? L'humour juif, réservé aux juifs, l'humour belge, aux Belges, l'humour noir... à qui ?
Caricature bien ordonnée commence par... des clefs
Revenons un instant sur l'affaire de la caricature de Mahomet, republiée dans Charlie Hebdo. L'une d'entre elles représentait le prophète avec, dans son turban, une bombe. « En l'état, elle aurait pu être requalifiée comme une incitation à la haine, parce qu'il n'y avait pas les clefs nécessaires pour décrypter le message. Le Tribunal de Grande Instance ne l'a pas décidé ainsi, mais il y avait certainement matière. »
A contrario, le dessin de Cabu, montrant Mahomet en larmes, ne pouvait pas contrevenir à la loi : « Le message : “C'est dur d'être aimé par des cons...” était contrebalancé par la mention du terme “intégristes”, qui indiquait bien que le dessinateur ne ciblait pas les croyants, ni les personnes pratiquant l'islam, mais les dérives islamistes et les terroristes. En somme, les clefs étaient dans le dessin. »
Avec Houellebecq, il faudrait donc trouver les clefs, dans le livre, qui permettent de comprendre au mieux, pour le lecteur. Mais la difficulté est que les déclarations de Houellebecq à Cologne sont en mesure de décrédibiliser le propos, voire de faire disparaître la dimension fictionnelle. Déclarer que le livre n'est pas islamophobe, et revendiquer de pouvoir en écrire un, voilà des messages contradictoires, comme un syllogisme pernicieux. « L'autre risque, si les clefs viennent à manquer, c'est que le romancier finisse par incarner une forme d'incitation à la haine, alors que ce n'est pas là son souhait », conclut l'avocate.
En matière de droit, on pourrait objecter que la loi de juillet 1990, visant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, a voix au chapitre. Que nenni : puisque l'on parle d'écrit, c'est la loi de 81 qui s'applique. Pourtant, de la xénophobie à l'islamophobie, ne verrait-on pas des éléments qui se retrouvent ? Et si l'histoire justifie pleinement que l'antisémitisme soit qualifié de délit, pourquoi une loi ne protège pas les musulmans de la même manière ? Dans le vide juridique qui entoure la notion d'islamophobie, se trouvent alors plusieurs méandres qui donnent des maux de crâne.
"Une fiction islamophobe", selon Edwy Plenel
Edwy Plenel ne s'était pas embarrassé de tant de prudence. Déplorant la place accordée, dans les médias non spécialisés, à Houellebecq, il expliquait : « Un écrivain sort un roman. Un roman, c'est une fiction. Nous, les journalistes, nous devons nous occuper des faits, de la réalité, et pas de scénarios futurs, de sortes de cauchemars inventés par un écrivain. Qui plus est, un écrivain dont l'on connaît depuis 15 ans, l'islamophobie, la peur, la haine de l'Islam, des musulmans. » Mais suivant le principe de ce raisonnement, il serait alors un fait que Houellebecq est islamophobe.
Il avait d'ailleurs accusé Patrick Cohen, animateur de la matinale de France Inter, premier journaliste à avoir accueilli Houellebecq, de lui avoir fait trop d'honneur. « Vous faites un évènement politique d'un livre qui est une fiction islamophobe », arguait Plenel. La réponse de Cohen ne manquait pas de finesse, mais tombait un peu à plat : « Orwell ou Lovecraft ont fait des fictions d'anticipation qui étaient aussi fondées sur la peur et on n'aurait pas dû les publier ou les recevoir ? ». (via 20 Minutes)
Cette islamophobie présumée, pressentie ou supposée, l'Observatoire national contre l'islamophobie l'avait d'ailleurs dénoncée, dans un communiqué. Au sein du Conseil français du culte musulman, on regrettait toute la publicité accordée au « dernier roman de l'islamophobe endurci Michel Houellebecq ». Le fond du livre – l'arrivée au gouvernement d'un parti musulman modéré – « ne peut que favoriser l'expansion de sentiments islamophobes au sein de la société française ». Sauf qu'en fait d'islamophobie, il faudrait donc bien définir si l'ouvrage contient une incitation à la haine.
Le président de la Licra, Alain Jakubowicz, parlait d'ailleurs de « plus beau cadeau que l'on puisse faire à Marine Le Pen », mais à ce jour, les différentes associations ne s'avancent pas sur le terrain de l'incitation à la haine.
Écrit par Nicolas Gary
[Photo : ActuaLitté CC BY SA 2.0 - source : www.actualitte.com]
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