Patrick Modiano tisse une toile de livres sensibles depuis quarante-cinq ans et Gallimard lui a demandé de choisir dix de ses livres pour les publier ensemble, dans la collection “Quarto”. L’exercice est intéressant pour l’auteur, puisqu’il l’oblige à créer des liens entre toutes ses histoires. Modiano se retrouve alors face à ce que la critique lui a souvent reproché : il écrirait toujours le même livre…
Loin de s’en émouvoir, l’écrivain s’amuse et apprend de ces correspondances : “Je croyais les avoir écrits de manière discontinue, à coups d’oublis successifs, mais souvent les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases reviennent de l’un à l’autre, comme les motifs d’une tapisserie que l’on aurait tissée dans un demi-sommeil” .
Aussi, il a pu choisir quelques photographies, pour illustrer les pages du volume. Judicieuse idée, parce que les photos, dans l’œuvre toute entière de Modiano, tiennent une place primordiale. La description de celle-ci, la perte de celle-là, la découverte d’une autre, dans une poche oubliée… Il aime les photos, et celles qu’il a choisies sont signifiantes pour la réflexion du lecteur. En effet, des rues, des hôtels, des passeports, des coupures de journaux, ses parents, sa femme et ses filles, se mélangent habilement, comme l’œuvre elle-même de Modiano : on ne sait jamais s’il parle vraiment de sa vie ou si ce qu’il dit de sa vie est vrai.
Même incertitude avec les photos qu’il a choisies. Elles font plus qu’illustrer puisqu’elles permettent aussi de se questionner sur le travail de l’auteur. Quelles images l’inspirent ? Les lieux dont il parle sont-ils des lieux inventés ? Quel est la place de l’imaginaire ? Cette réflexion se fait grâce à l’accompagnement de certaines photos par des citations choisies des romans.
Cette publication du vivant de l’auteur permet de le découvrir sous un nouvel angle, choisi par lui. Ce n’est pas juste un travail autobiographique, c’est une mise en perspective de l’œuvre, et le fait de choisir et d’organiser permet à l’auteur lui aussi de se replonger dans son univers et d’en extraire du sens.
De plus, en faisant le choix de ne pas assortir les textes de matériel critique, Gallimard différencie “Quarto” de “La Pléiade”, en permettant un parcours libre et non jalonné aux lecteurs. Et cela va bien à Modiano. Parce que ses romans aux lignes et contours flous, laissent le champ libre aux divagations de la mémoire, et les notes de bas de pages hacheraient la lecture et la rêverie qui va avec. Gallimard permet aux lecteurs de retrouver l’univers modianesque sans le dépouiller de son mystère.
Les romans entre eux correspondent de manière étonnante et c’est cette réunion qui permet cette observation. Les lieux, comme Nice, Megève et Paris, les cafés et les hôtels, les appartements vides. Le charme suranné des divagations dans la ville, les allusions à la guerre, et les photographies aident à recomposer un passé oublié.
Les récurrences sont troublantes entre les romans, car les personnages se répondent, dans un dialogue ininterrompu. Les narrateurs en quête de leur identité, les noms des gens, les mystères autour d’une femme rousse perdue, enfuie, volatilisée. La personnalité de Modiano se compose en filigrane, entre tous ses personnages, ses parents, son frère, les femmes qu’il a aimées, tous à la fois réels et personnages de romans.
Grâce à la mise en perspective de ces textes, le lecteur peut réfléchir à l’utilisation qu’un auteur fait de sa propre vie et de l’imaginaire, comment les deux sont liés intimement et qu’il est difficile, dans l’œuvre de Modiano tout particulièrement, de démêler le vrai du faux, le vécu du fantasme. Le choix de ces romans met au jour la continuité troublante des obsessions de Modiano et nous permet de plonger avec un œil neuf dans son univers singulier
Patrick Modiano, Romans
Gallimard, “Quarto”, 1088 pages
7 mai 2013, 23,50 eurosLe volume contient : Villa triste – Livret de famille – Rue des boutiques obscures – Remise de peine – Chien de printemps – Dora Bruder – Accident nocturne – Un pedigree – Dans le café de la jeunesse perdue – L’Horizon. Constance FISCHBACH
Patrick Modiano, Romans
Gallimard, “Quarto”, 1088 pages
7 mai 2013, 23,50 eurosLe volume contient : Villa triste – Livret de famille – Rue des boutiques obscures – Remise de peine – Chien de printemps – Dora Bruder – Accident nocturne – Un pedigree – Dans le café de la jeunesse perdue – L’Horizon. Constance FISCHBACH
[Source : www.nonfiction.fr]
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