Scène du spectacle « Les Particules élémentaires » |
Écrit par J.-P. Thibaudat
« Les Particules élémentaires », une adaptation du roman de Michel Houellebecq, est le troisième spectacle du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur (Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Alexandre Lecroc, Marine de Missolz, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Tiphaine Raffier), emmenée par son metteur en scène Julien Gosselin. Un spectacle qui avait affolé le Festival d’Avignon en juillet 2013.
Qu’ils l’aient vu ou pas, tous les programmateurs voulaient ce spectacle.
Une écriture « éminemment théâtrale »
Trop tard pour être programmé durant la saison dernière (les saisons des théâtres français, à de rares exception près, sont faites plus d’un an à l’avance, abonnement et paresse obligent), le spectacle va tourner toute cette saison en commençant par le théâtre de L’Odéon dans le cadre du Festival d’Automne, avant de briser là en juin prochain une tournée qui aurait pu durer encore une autre saison.
Sage décision. Semblable à celle de la Compagnie de Sylvain Creuzevault qui avait préféré stopper la tournée de « Notre terreur »en plein vol avant que le spectacle et les acteurs n’y ratatinent leur énergie.
C’est au sortir de l’école de Lille (alors dirigée par Stuart Seide) que Gosselin et ses camarades ont créé leur compagnie en 2009. Premier spectacle « Gênes 01 » de Fausto Paradivino, créé à Lille au Théâtre du Nord, puis, avant Nordey, « Tristesse animal noir » d’Anja Hilling créé au Théâtre de Vanves. Deux belles et fortes pièces.
Et il en va ainsi du roman de Houellebecq, auteur que Gosselin considère comme « un des plus grands écrivains vivants du monde ». Mieux encore, souligne-t-il, son écriture est « faite pour le théâtre », en ce sens que loin d’être monolithique, elle brasse, bouffe à tous les râteliers, elle est « impure, totale, polyphonique, bâtarde », dit-il, donc « éminemment théâtrale ».
L’héritier de Gainsbarre
Et c’est là la première vertu de cette version théâtrale des « Particules élémentaires » : faire entendre la langue de Houellebecq à ceux qui en ont entendu parler mais ne l’ont pas ou peu lu, la connaissance de l’œuvre étant filtrée par l’image caricaturée du personnage. Par là même, le spectacle contribue à brouiller l’image médiatique de l’auteur que l’on connaît : ce type efflanqué à la gueule un peu de travers, le visage pale, les yeux ensuqués, le parler évanescent vantant l’utilité sociale du tourisme sexuel tout en fumant, entre le troisième et le quatre doigt de sa main droite, cigarette sur cigarette à longueur d’interview.
D’une certaine façon, Houellebecq a occupé une place laissée vacante par la mort de Gainsbourg. Comme si Gainsbarre avant de fermer boutique lui avait passé son paquet de clopes et sa dérision, sur l’air de « à toi de jouer ». Ce personnage, Gosselin le met en scène au début du spectacle avec un acteur quasi clone (voir photo ci-dessus) avant de vite l’évacuer. Autrement dit : place à l’écriture.
Gosselin qui signe aussi la scénographie offre à cette écriture un parfait habitacle. Pas de décor mais une machine à raconter des histoires avec tous les moyens du bord : vidéos, mots projetés, musique live (le plus souvent), paroles dites, ou amplifiées par un micro, ou enregistrées, discours indirect et indirect (reprenant en cela un des procédés du roman). Seul effet théâtral : des fumigènes qui accompagnent le lyrisme teinté de tristesse du texte.
Une machine scénique à raconter le roman
Scène de « Les Particules élémentaires » |
Tout au long du spectacle, les acteurs qui sont aussi musiciens, vidéastes sont disposés sur les trois côtés de la scène, un peu en hauteur. L’espace intérieur au rectangle constituant en contrebas une sorte d’arène où les protagonistes évoluent, des protagonistes qui n’incarnent pas mais accompagnent les personnages du roman. Pas de coulisses. La machine à raconter le roman tourne à plein régime, les parties du livre scandent le spectacle au fil d’une adaptation qui lève comme une levure le théâtre intérieur du texte.
Le roman raconte sur un gros quart de siècle en France (du milieu des années 60 à la fin des années 90), l’histoire de deux demi-frères, Bruno, l’homme de sexe (prof) et Michel, l’homme de science (chercher en biologie cellulaire) et, à travers eux, les derniers feux d’un millénaire sur fond de vie sexuelle et de quête du bonheur en berne. Deux vies comme à contretemps, vides de vie à remplir, que rien ne saurait combler, avec toutefois quelques balises de survie que Houellebecq glisse ici et là comme celle-ci :
« La tendresse est antérieure à la séduction c’est pourquoi il est si difficile de désespérer. »
« Les particules élémentaires » est, d’une certaine façon, un roman d’apprentissage de la relation amoureuse des héros qui vient trop tard chez l’un et trop tôt chez l’autre, avec des accents flaubertiens, ceux de « L’Education sentimentale ». « C’est là ce que nous avons de meilleur », dit Deslauriers à la fin du roman, évoquant une visite ratée dans un bordel avec Frédéric, lorsqu’ils étaient ados. De même, Bruno se souviendra, plus que des partouzes avec Christiane, de sa main d’adolescent se posant sur la cuisse de sa voisine au cinéma et ressentant pendant quelques seconde « un bonheur effroyable ». De même Michel se souviendra plus d’une fois des « après-midi de ses 15 ans, quand Annabelle venait l’attendre à la gare, et se serrait dans ses bras ».
13 ans quand le roman paraît
Roman du vieillissement tout autant, avec les ravages du corps qui vont avec. Extrait :
« Ils se sentiraient de plus en plus vieux et ils en auraient honte. Leur époque allait bientôt réussir cette transformation inédite : noyer le sentiment tragique de la mort dans la sensation plus générale et plus flasque du vieillissement. »
En corollaire, une obsession de la mort et du suicide. L’un des deux frères finira dans un HP, l’autre disparaitra sans laisser de traces, après avoir vu, chacun, la femme qui les aimait se suicider, faute d’avoir su être aimée sans égoïsme.
Partouzes de l’un, équations de l’autre, misère sexuelle à tous les étages, deux vies (et d’autres en miroir) dans un monde froid où seule la vulve des femmes semble pouvoir apporter un peu de chaleur. « Nous sommes les Michel et Bruno d’aujourd’hui », dit Gosselin, qui avait 13 ans quand Houellebecq a fait paraître « Les Particules élémentaires » en 1998.
L’humour de Houellebecq pousse partout
Ce roman dit toute une époque en lorgnant la suivante. La force du spectacle est là, dans ce passage de témoin. Des acteurs jeunes racontent ce monde d’avant avec des gestes, des musiques, de rythmes d’aujourd’hui. Des acteurs qui, en outre, constituent un groupe durable, une équipe soudée pour raconter ces histoires d’hommes et de femmes seuls. Merveilleuse dialectique en actes. Où la musique (Guillaume Bachelé, l’un des acteurs de la compagnie) met tout le monde à l’unisson et rythme les chapitres et les parties du livre dont les titres sont projetés.
Gosselin et ses acteurs mettent aussi en évidence l’humour ravageur de l’auteur pour qui la formule qui en fait « la politesse du désespoir » semble avoir été inventée. Les scènes au club de vacances (massage californien, atelier karma, règle du oui-oui) dans le texte et plus encore dans le spectacle sont dignes des scènes cultes des « Bronzés ». L’humour de Houellebecq est comme une mauvaise herbe, il pousse partout. Bien des phrases s’y collent dans les collisions qui, mises en bouche, font mouche.
« Dédié à l’homme »
Autre chose encore. Le travail d’orfèvre sur la temporalité de la narration que mène Houellebecq, ses glissements dans l’ordre du discours se trouvent comme magnifiés, veloutés par le spectacle. Une buée de tristesse narrative et musicale l’habite, comme la musique d’une chanson qui fait revenir aux lèvres des paroles que l’on croyait avoir oubliées.
« Ce livre est dédié à l’homme », ce sont les derniers mots du roman. Au théâtre, à la fin, quand tous les morts et les fantômes se relèvent, c’est une actrice qui s’avance et dit au nom de tous :
« Ce spectacle est dédié à l’homme. »
INFOS PRATIQUES
"Les Particles élémentaires" d'après Michel Houellebecq
Adaptation, mise en scène et scénographie Juliens Gosselin, par le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur
- Théâtre de L »Odéon, Ateliers Berthier, dans le cadre du Festival d »Automne, du 9 oct. au 14 nov., mar. au sam. 19h30, dim 15 heures (3h45 avec entracte).
- Puis tournée jusqu »en juin 2015 : Rennes, Valencienne, Mulhouse, Nantes, Le Mans, Evreux, Vire, Tours, Marseille, Draguignan, Châteauvallon, Saint-Etienne, Valence, Annemasse, Lyon, Rouen, Creil, Quimper, Clermont-Ferrand, Grenoble, Toulouse, Lorient, Orléans, Poitiers, Niort, Besançon, Lausanne, Chambéry, Annecy, Perpignan, Angers, Vélizy-Villacoublay, Montpellier.
[Photo : Simon Gosselin - source : www.rue89.com]
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