Si vous n’avez jamais lu Patrick Modiano (le remède est ici), vous avez peut-être déjà entendu un texte de Patrick Modiano. En 1968, année de publication de son premier roman, La Place de l’étoile, le futur prix Nobel de littérature 2014 avait conquis les charts par procuration avec Étonnez-moi, Benoît, face B d'un des singles les plus connus de Françoise Hardy, Comment te dire adieu.
La chanson elle-même connut son petit succès, au point d'être réédité en 45 tours un an plus tard.
Par Jean-Marie Pottier
Dans son livre-enquête fouillé sur l’auteur, Dans la peau de Patrick Modiano, le journaliste Denis Cosnard rappelle à quel point ce duo pouvait paraître improbable, l'écrivain ayant qualifié la chanteuse, fin 1966, de «kapo de charme» et les yéyés de «camarades concentrationnaires».
C'est en fait un camarade d'hypokhâgne de Modiano, guitariste à ses heures, Hugues de Courson, qui a sollicité un rendez-vous avec la chanteuse. Parmi les morceaux qu'il lui propose, la chanteuse en retient un écrit par Modiano, ce Étonnez-moi Benoît, qui démarre en fanfare décalée («Avalez des abricots et des poires/Et des larmes de rasoir/Étonnez-moi») avant de virer au mélancolique («Car de vous à moi/Cela ne peut pas, cela ne peut pas, durer comme ça/Car de vous à moi/C'est fou ce qu'on s'ennuie ici»). «J'ai trouvé ça si original, si saugrenu, que je l'ai aussitôt retenue», racontait la chanteuse en 2012 au Figaro Littéraire.
Le début d'une amitié fondée sur des connaissances communes, l'essayiste Emmanuel Berl et sa femme Mireille, qui, raconte Françoise Hardy, chargeait cette dernière «de veiller à faire manger Patrick. [...] Sans doute, Patrick était-il très démuni matériellement à cette époque, et puis il paraissait assez désincarné, distrait, peu préoccupé par ce genre de contingences. Je l'ai souvent emmené dîner au restaurant».
Dans son autobiographie Le Désespoir des singes, Françoise Hardy raconte une autre anecdote amusante sur celui qu'elle a qualifié de «meilleur écrivain de sa génération» et dont elle a joliment écrit que «faire cuire des pâtes ou déboucher une bouteille semble plus compliqué et plus dangereux pour lui qu'écrire un roman»:
«On me sollicita pour un show allemand dont l’idée était d’amener avec soi une personne rencontrée dans des circonstances suffisamment pittoresques pour amuser les téléspectateurs. L’imagination de Patrick Modiano n’étant jamais en reste, il imagina [...] un scénario selon lequel nous étions tombés l’un sur l’autre à l’enterrement de notre nourrice commune, découvrant ainsi avec stupéfaction que nous étions frère et sœur de lait. À partir de là, il me dédicaça ses livres en signant: "Ton frère de lait".
Après Étonnez-moi, Benoît, la chanteuse sollicitera encore Modiano et Courson pour signer des adaptations françaises de trois morceaux, San Salvador, À cloche-pied sur la grande muraille de Chine et le très beau Je fais des puzzles, qui clot l'album Soleil (1970):
«Il avait des yeux décembre/Un sourire de juillet/Il me disait des mots tendres/En hiver comme en été/Le soir, le soir, je fais des puzzles/Le soir, le soir, je me sens bien seule.»
Plusieurs autres artistes ont aussi chanté des textes siglés Modiano –Régine (L'Aspire à cœur) ou la future biographe de Primo Levi et Romain Gary Myriam Anissimov, notamment– et Sheila a failli en retenir une, mais l'écrivain refusait d'en modifier la fin (où une jeune fille se jetait sous le métro) pour en faire un happy-end.
En 1979, plusieurs morceaux signés par le romancier, qui venait d'obtenir le Goncourt l'année précédente, ont été enregistrés par Hugues de Courson, sur un album intitulé Fonds de tiroir 1967, dont Modiano a signé les notes de pochette:
«Nous écrivions des chansons et nous en placions quelques unes. Nos aînés immédiats nous conseillaient d’être patients et obstinés. La chanson est une longue patience.»
Et il existe aujourd'hui toujours de la musique signée Modiano puisque sa fille Marie, est devenue musicienne, signant quatre albums depuis 2006.
[Source : www.slate.fr]
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