segunda-feira, 1 de setembro de 2014

SAMI BOUAJILA - "On va attendre quoi pour se dire : “nous sommes français, métissés, et forts ensemble” ?"

Plus jeune, il rêvait d’être garde forestier. Aujourd’hui Sami Bouajila est une valeur sûre du cinéma français. Il a réussi à passer outre les clichés bas de gamme et sa modestie naturelle pour s’offrir une carrière reconnue. À l’occasion de la sortie de Divin Enfant (en salles depuis le 15 janvier), une comédie chorale où le dîner de Noël part dans tous les sens, et de sa prestation dans la pièce de théâtre Ring, il nous raconte son histoire. Une émouvante et sincère tranche de vie.

Ils sont venus, ils sont tous là. Joyeux Noël !
Lepetitjournal.com - Vous est-il déjà arrivé de vivre un Noël, si ce n’est aussi radical, un peu mouvementé, avec quelques règlements de compte ?
Sami Bouajila  - Je n’ai aucune anecdote, aussi insolite soit-elle, sur un réveillon. En fait cela se passe ni bien ni mal, il n’y a aucun imprévu. Chez nous, nous fêtions Noël pour ne pas que l’on soit ostracisé et que l’on soit un peu comme tout le monde. Mes parents ne le pratiquaient pas dans leur culture et cela s’est donc vite effacé, à partir de mes 16 ans, quand je me suis mis à bouger de la maison. J’en ai refait depuis peu avec mes enfants, tranquille à la maison, avec les lumières.


Comment avez-vous accueilli ce rôle, plutôt insolite, du mari qui réveillonne avec les anciens maris de sa nouvelle femme ? 
Je suis à l’affût des bonnes comédies. J’ai eu envie de faire celle-ci car j’ai tellement été chargé de rôles dramatiques que j’ai plaisir à aller vers quelque chose de plus léger. Et puis j’avais déjà fait le premier film de Olivier Doran, Le Déménagement, en 1997, avec Dany Boon, Dieudonné… Lorsque j’ai lu cette comédie chorale, j’ai eu envie de ce vivre le vaudeville. C’est un portait cocasse de notre époque. Le film est théâtral et j’adore ce genre de situations. On est dans la veine du Père Noël est une ordure, ou Mes meilleurs copains avec Jean-Pierre Bacri et toute la bande.

Pourquoi faites-vous finalement si peu de comédies ?
Sûrement parce que j’ai incarné des rôles assez dramatiques et trop marquants pour ceux qui font les films. Et que cela correspond un peu au cinéma français de mettre des étiquettes sur les gens. Mais je ne souffre plus de ça. J’ai réussi à esquiver pas mal de clichés dans ma carrière, je le vis bien. J’ai des petits manques parfois. Mais je m’éclate autant dans un rôle dramatique que comique. C’est à notre charge, nous acteurs, de faire notre chemin et de montrer une autre palette de son talent. Même s’il est vrai qu’incarner des personnages marquants créé un réflexe auprès décideurs pour l’attribution des rôles.

Certains, dramatiques, vous ont valu des récompenses : César du meilleur second rôle en 2008 pour Les Témoins et prix d’interprétation en 2006 Palme d’Or pour Indigènes. Franchement, ça change quoi ?
Je ne suis pas devenu bankable en tout cas ! Cela n’a fait que confirmer un parcours qui est le mien avec des rôles qui m’ont popularisé. Ces récompenses m’ont fait très plaisir, du bien, mais je ne construis pas tout dessus, je ne m’endors pas en pensant à ça. Ils sont dans mon bureau.

Vous parliez de parcours compliqué, cela concerne…
Complètement perdu, Sami Bouajila ne sait plus 
à quel saint se vouer
… Uniquement mes origines, et rien d’autre. Je le subis moins maintenant, même si des rôles doivent s’écrire sans que l’on pense d’instinct à moi uniquement de par ce que je suis. Mais les films que je dois faire, je les fais. J’arrive à me débarrasser de ça. Je le vis mieux, mais c’est ma réalité et celle de notre pays. Aujourd’hui, je ne subis plus de discrimination au premier degré, je peux incarner des personnages qui s’appellent Jean ou Philippe.              


En 1998, vous avez joué dans Couvre-Feu, un blockbuster hollywoodien. Pourquoi ne pas avoir poursuivi l’expérience ? 
J’avais un vrai bon rôle, j’ai passé quatre mois là-bas, c’était super. Le film avait un gros budget. Mais je n’ai pas prolongé cette expérience parce que j’avais démarré tout un travail ici et qu’il aurait fallu que je me cogne pas mal de clichés là-bas, que j’avais réussi à éviter ici. Je ne voulais pas remettre le couvert.

Les clichés étaient les mêmes là-bas ?
Quelque part oui. Même si l’histoire n’est pas la même. L’histoire de la France avec le Maghreb est particulière. Les Etats-Unis n’ont pas connu ça, mais ils ont une connaissance de l’histoire, surtout de l’Europe. Ils sont curieux. Ils ont eu les mêmes "problèmes" avec les Latinos, les Africains. Aux Etats-Unis, j’étais seul, j’avais un ou deux scénarios qui m’attendaient en France. J’ai eu d’autres propositions mais rien de vraiment passionnant. Sinon, je serais resté ! (rires)

Vos parents venaient de Tunisie. Quel lien avez-vous aujourd’hui avec ce pays ? 
Sami Bouajila et sa dernière femme, à l'écran, 
Emilie Dequenne
C’est très complexe. J’ai presque toute ma famille en Tunisie, mais je n’y vais pas particulièrement. Mon père et ma mère sont à Grenoble, je vais les voir là-bas. J’allais en Tunisie jusqu’à mes 16 ans, mais quand j’ai décidé de bourlinguer tout seul, mes parents ne m’ont plus obligé à les accompagner et j’y suis très peu retourné. 

Quel regard portez-vous sur l’actualité récente de la Tunisie, avec par exemple la reconnaissance de l’égalité homme-femme dans la constitution ?
La Tunisie est particulière dans l’histoire du Maghreb. La nation qui se détache, à nos yeux, c’est l’Algérie, par son indépendance. En Tunisie, de par la politique de Bourguiba, le planning familial a été instauré avant la France, ce qui n’était pas rien. Donc la plupart des Tunisiens et Tunisiennes ont déjà grandi avec ce droit à l’émancipation et à la liberté. Du moins théoriquement. Je pense que la bourgeoisie pouvait profiter de ça, la classe moyenne, elle, n’a pas existé, elle n’existe que depuis 20 ans. Il y avait donc tout de même une certaine liberté de la femme qu’il n’y avait pas ailleurs au Maghreb. Et cela leur a porté défaut car les pays voisins n’emboitaient pas le pas de cette émancipation. Du coup, pas de progression commune, la Tunisie était seule et ne pouvait faire office de locomotive. Cette émancipation de la femme instaurée par Bourguiba a rendu le pays schizophrène car, qu’on le veuille ou non, il est de confession musulmane. Donc il y a une culture différente, y compris pour la place de la femme au sein de sa société. Si on ne lui donne pas à elle aussi les outils et moyens de s’émanciper correctement, cela crée cette schizophrénie. Je sens qu’il y a un militantisme fort dans l’intelligentsia tunisienne et qu’ils se battent malgré la prise d’otage des islamistes après la révolution de 2011. Qui était prévisible à mon sens, comme en Égypte. Aujourd’hui le pays est encore en train de se battre et il y a une victoire à mettre aux crédits des libéraux, des indépendantistes. Mais cela concerne finalement les bourgeois et l’intelligentsia, pas la masse.

Cela vous rend-il tout de même heureux ?
Un peuple qui se libère, évidemment que cela fait plaisir. Mais je trouve qu’il y a trop d’amalgame avec l’islam. L’islam politisé, que ce soit ici ou ailleurs, il ne nous sert pas vraiment. En fait, je trouve étrange la façon dont l’on a vite oublier l’islam modéré que l’on avait jusqu’à il y a peu. On en fait abstraction. En France, on s’inquiète de la république en danger pour un foulard ou quelque chose comme ça alors… Tant que l’on nie cette population, tant que l’on nie ces métissages, il y aura des problèmes. Car les autres ne se retrouvent pas dans cette société, mais ils sont français. Et comme ils ne s’y retrouvent pas, ils se raccrochent à ça. Et, après, s’ils sont récupérés, c’est un autre problème…

Que pensez-vous de l’affaire Dieudonné qui a animé les informations et mobilisé les politiques depuis le début de l’année ? 
Je vous parlais tout à l’heure de la schizophrénie et des mots qui vont découler de ça, vous en citez un : "Dieudonné" et son phénomène. Si ça ce n’est pas un exemple flagrant de dichotomie dans notre société, de dissonance, de choses qui marchent sur trois pattes... Lui ce qu’il en fait, comme il le fait, je n’en sais rien. Je vois juste qu’il y a beaucoup de gens qui se reconnaissent dans ses propos et qui adhèrent à cela. Mais il ne sert à rien d’aller chercher la faute ailleurs. Si l’on avait tous été éduqués de la même manière et que l’on pouvait se reconnaître derrière un drapeau, une patrie, une république, et des lois… Ça n’a pas été le cas. Il ne faut pas faire les surpris genre "mais comment cela se fait nom d’un chien ?!". Les foulards, l’antisémitisme, le reste, c’est ça ! On va attendre quoi pour se dire "punaise, nous sommes français, métissés et forts ensemble". Nous avons tout à faire. Je parle de choses de fond, pas de trucs showbiz genre la Coupe du Monde 1998 black-blanc-beur…


En ce début d’année, il y a également l’affaire François Hollande-Julie Gayet…  
Ce que je trouve incroyable est que cela vous dépasse vous la presse. Vous êtes obligé d’en parler. Vous dénoncez, mais vous en parlez. Alors que ça n’intéresse personne.


Sami Bouajila malmène un des ex de sa femme

J’ai l’impression que ça intéresse beaucoup de monde, au contraire…
Hélas alors. Bon OK, je vais aller au bout de mon idée. À partir du moment où l’on apprendra et que l’on éduquera, et que l’on n’arrêtera de niveler vers le bas, vous verrez que ça n’intéressera personne. Et on dira "mais de quoi je me mêle ?". Tant que l’on revendiquera et mettra sur le tapis ce genre de trucs, bien sûr que les gens vont s’y intéresser. Alors que nous ne sommes pas obligés de nous coller des kilos de merde et de pollution pour avancer. Il y a des choses intéressantes et plus passionnantes que ça.

Je suis quelqu’un de positif et constructif, et finalement je m’extrais de tout cela. Je regrette ce qu’il se passe, c’est excessif, pathétique, mais je m’en détache. Si je ne veux pas allumer la radio, je ne l’allume pas. Pour moi, nous n’avons pas une information saine, j’ai même le sentiment qu’avec la surabondance d’informations on a plus de désinformations que d’informations.

C’est un peu la faute de la presse en fait ?
La presse, les médias, vous êtes la fenêtre sur le monde. Pour la masse, pour les gens. Vous avez un devoir moral, un rôle à jouer. C’est comme l’éducation. On peut dire OK les malabars sont là, les chewing-gum là  la télé ici, la console Xbox, je pars. Celui qui a faim, il bouffe… Mais on peut aussi essayer d’éduquer, de dire à l’enfant qui sort de table que le malabar sera pour plus tard. S’il veut une collation ? Ok un fruit. Non, la télé c’est mardi soir et samedi… À l’ancienne peut-être. C’est la liberté, la démocratie, la vie. Quand on part ailleurs, en dehors de la France ça nous manque ! Faut aller dans les pays où il faut chaud et où on ne peut pas trop la ramener. C’est le paradoxe de notre société. Et nous sommes les enfants de cela. Même si des choses me blessent, j’aime ma vie, je fais un métier qui me permet d’exulter.

Quelle image pensez-vous que la France a à l’étranger ? 
Elle est un peu peau de chagrin pour être honnête (rires). Mais il y a une attirance vers la France, une certaine éthique qui plaît.

Quand vous quittez l’hexagone, quelles choses vous manquent ? 
Mon chez moi. Vous savez, tout ce dont on a parlé précédemment sur l’identité, je pense que ça parlera beaucoup aux expatriés, car lorsque l’on est loin, on arrive à avoir du recul sur notre pays et notre société. Et on peut voir les choses qui roulent et celles qui n’avancent pas. 

Vous aimeriez vivre ailleurs qu’en France ?
Je suis assez atypique. Par exemple, je ne vis pas à Paris mais à la montagne, même si cela me coûte. Je suis très provincial, je préfère vivre la vie plutôt que de la subir. Donc je suis heureux là-bas. Après, j’ai tourné dans pas mal de pays et j’aime l’Espagne, l’Italie, les Etats-Unis, le Canada, le Maroc... Mais je suis bien en France, chez moi. Je ne suis pas un grand voyageur, sauf avec mon boulot. Je profite de tout ça par rapport à mon boulot, mais je n’ai pas démarche personnelle de globe-trotter.

À 47 ans, à quoi aspirez-vous professionnellement ? 
Le problème de l’acteur est que l’on dépend du désir des autres. Aujourd’hui, je n’ai qu’une envie : être maître de mes propres projets. J’ai un peu de mal. J’ai fait deux tentatives avortées sur des projets que je trouve très beaux. Je n’ai pas trouvé les investissements suffisants, mais je repars sur une autre écriture. 

C’est une fatalité de passer derrière la caméra ?
J’ai l’impression que pour ma génération, c’est une évidence, oui. Pour nombre de mes camarades en tout cas, comme Jalil Lespert (Yves Saint Laurent) ou Roschdy Zem (Mauvaise foi, Omar m’a tuer). C’est pour moi la continuité du travail d’acteur. Le but du jeu est d’aller vers l’épanouissement. Il faut trouver son chemin. Eux ont réussi. Cela ne sert à rien de les envier. Il faut construire son propre édifice.

On vous sent foncièrement passionné de cinéma, de votre métier…
Le cinéma est un mode de vie pour moi. Et je suis trop modeste. C’est ce qui fait que je n’habite pas Paris. On ne me voit pas. Et même quand on me voit… Par exemple, lorsque l’on est à Cannes pour Indigènes, je suis en mode loup solitaire entre ma chambre et la réception. Je sais que je gagnerais à communiquer plus mais je suis un peu vieille école. L’essentiel est de s’y retrouver, même si j’avoue que cela m’a desservi pour financer mes films par exemple. Mes autres camarades ont construit depuis longtemps un tissu social de communication et ils sont moins anonymes que moi, même si on me connaît. Je suis beaucoup sur la réserve. Trop rare. J’ai du mal à faire plus, je ne fais pas d’effort pour ça. 

Être connu ne représente finalement aucun intérêt pour vous ? 
Je ne savais même pas que c’était possible quand j’ai débuté le métier d’acteur. Etre connu, c’est gratifiant, mais la reconnaissance doit venir de son travail, pas de la gymnastique que l’on peut faire autour pour avoir un bon carnet d’adresses. J’habite dans un village et quand j’y suis, je suis le plus modeste du village. J’oublie que je suis acteur. J’aime cette simplicité là et j’adorerais que cela se passe toujours comme ça.

Divin Enfant (1h25), un film de Olivier Doran, avec Sami Bouajila, Emilie Dequenne, Géraldine Pailhas, Guillaume de Tonquédec…

Écrit par Jérémy Patrelle 

[Source : www.lepetitjournal.com]

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