quarta-feira, 7 de maio de 2014

ALLEMAGNE : Gurlitt disparaît avec ses secrets

Cornelius Gurlitt est mort. Le collectionneur, qui avait entassé un trésor faramineux dans son appartement de Munich, laisse aujourd'hui autant de mystères que d'œuvres d'art derrière lui. L'Etat allemand reste avec ce lourd héritage du trésor volé par les nazis.
La maison de Cornelius Gurlitt à Salzbourg en Autriche, le 6 mai 2014.
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG [LA RÉDACTION]

Cornelius Gurlitt n'est plus. Sa disparition clôt l'un des scandales artistiques les plus retentissants de l'après-guerre outre-Rhin. Il est probable qu'elle close aussi l'affaire Gurlitt. L'homme aurait laissé derrière lui un testament dans lequel il désigne comme unique héritier de sa collection une association basée à l'étranger. Ses rares proches percevront, au mieux, un dédommagement financier.

C'est la fin d'une histoire qui a rappelé aux Allemands que leur passén'est pas encore derrière eux. Sous le manteau, Cornelius Gurlitt, fils et héritier d'un marchand d'art qui avait les faveurs du Führer, a stocké pendant plusieurs dizaines années, dans ses appartements de Munich et de Salzbourg, plus d'un millier d'œuvres d'art de grande qualité datant de l'époque moderne et prémoderne. En novembre dernier, on a appris que le parquet d'Augsbourg avait ordonné la saisie des tableaux de Munich, soupçonnant une infraction à la législation fiscale.

Les autorités judiciaires dépassées

Depuis cette date, les œuvres sont stockées dans un entrepôt de Munich ; une équipe d'experts internationaux s'emploie à retracer le parcours tortueux des tableaux sous le régime nazi. Lesquels sont le fruit de spoliations de familles juives ? Lesquels ont été vendus par des candidats à l'exil pour une bouchée de pain ? Et que s'est-il passé en zone occupée, en particulier en France, où le père de Gurlitt, Hildebrand, commerçait pour les nazis et pour son propre compte pendant le conflit ? Quelles œuvres ont été sorties des musées allemands par les nazis et vendues car jugées trop modernes, “dégénérées” ?

Aujourd'hui, Cornelius Gurlitt est mort, et une question prime sur toutes les autres : que va-t-il advenir de ses œuvres ? Les descendants des collectionneurs juifs tourmentés n'ont pas été dédommagés à ce jour, même si Gurlitt le leur avait promis et avait conclu un accord à cet effet avec l'Etat allemand. Rien n'a filtré de la chambre d'hôpital de Gurlitt ces derniers mois sur le sort réservé aux dizaines d'œuvres modernes issues des musées allemands et naguère jugées “dégénérées”.

L'affaire Gurlitt a confronté non seulement le milieu de l'art, mais aussi les autorités judiciaires, à de nouveaux défis. Conçu pour le temps présent, leur arsenal réglementaire ne leur permet pas de remonter jusqu'aux heures les plus sombres de l'histoire allemande. Or Gurlitt vivait en quelque sorte dans le passé.

Une affaire d'Etat

Lorsque la découverte de sa “caverne d'Ali Baba” a été relayée par les médias, on a exigé un peu vite de le déposséder de ses œuvres sur-le-champ. La lenteur des investigations menées sur la collection d'art est devenue quasiment une affaire d'Etat, lorsque les avocats des héritiers des propriétaires juifs et les représentants des associations de victimes juives ont pointé du doigt le peu d'empressement des autorités allemandes, d'ordinaire si efficaces. La chancelière Angela Merkel a promis d'y remédier personnellement et a mis sur pied une “cellule de crise” sous la direction d'Ingeborg Berggren-Merkel, du ministère de la Culture.

Essentiellement composée de groupes d'intérêt et d'un nombre limité d'experts, celle-ci est devenue un organe politique de poids. Un certain nombre de mesures qui avaient été négligées par le passé – comme la création de pôles de recherche sur les œuvres d'art volées et le soutien financier des archives – pouvaient désormais voir le jour et bénéficier d'un appui durable.

La mission de Gurlitt

Gurlitt emporte avec lui beaucoup d'énigmes et bien peu de certitudes. Il voulait protéger à tout prix le trésor que lui avaient légué ses parents. Il était malade du cœur depuis un certain temps déjà et marchait à grand-peine. En décembre de l'année dernière, alors que le monde entier était à ses trousses, il avait été admis dans une clinique. Gurlitt y aurait reçu la visite d'un notaire au mois de février ou mars, avec lequel il aurait rédigé un testament. A cette occasion, il aurait arrêté le sort des tableaux. Les détails de l'arrangement sont inconnus à ce jour.

On sait simplement que Gurlitt n'était plus intime avec aucun membre de sa famille. Par conséquent, il était peu probable qu'il choisisse de léguer ses tableaux à un parent. Son choix d'en faire don à une institution laisse entendre que la collection ne sera pas dispersée, ce que Cornelius Gurlitt s'est toujours fixé comme mission.

Le collectionneur n'aura pas assisté à l'annulation de la procédure lancée à son encontre, ce qu'il aurait considéré comme une victoire. Bien que la mesure de saisie ait été levée précédemment, il n'aura donc jamais revu ses tableaux.

Note :* Hans Leyendecker, Jörg Hantzschel, Kia Vahland

[Photo : AFP / WILDBILD - source : www.courrierinternational.com]

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