Écrit par Michèle Royer
*El Tigre, d’Alfredo Arias, théâtre du Rond Point des Champs Elysées (Paris) du 17 déc. 2013 au 12 janvier 2014
Une comédie théâtrale mi-jouée, mi-chantée. Qui, ô surprise, se prolonge avec une bande dessinée jointe au livret d’Alfredo Arias. La "griffe" de cet opus ? Une hyper-versatilité, toute argentine…
La représentation, renversante à maints égards, joue les prolongations
avec une bande dessinée bientôt disponible dans toute " bonne librairie "
! Celle du Théâtre parisien du Rond Point diffuse en avant-première le
livret et la BD prolongeant la pièce à l’affiche, El Tigre. Accrochées
au mur de l’antre dirigé aujourd’hui par Michel Ribes, quelques planches
du dessinateur José Cuneo allié au dramaturge Alfredo Arias, jalonnent
le chemin vers … les planches de la salle Renaud-Barrault où se joue la
pièce. Mi-jouée, mi-chantée en vérité : une vraie performance, d’une
justesse époustouflante. Je ne dirai pas " parfaite ", ni " impeccable "
mais pas loin. Sur la corde. Espérons qu’au fil des représentations
elle ne s’effilochera pas trop.
La haute voltige à laquelle se livre corps et âme l’excellente
distribution, timbrée à souhait, est située par l’auteur-metteur en
scène d’origine argentine à l’intérieur d’une maison sur pilotis non
loin de Buenos Aires, dans le delta marécageux d’El Tigre. L’animal
éponyme, dans le zodiaque chinois, est réputé pour sa superbe et son
caractère indomptable, à l’image de cette pièce. Que son " unité de lieu
" tire son nom d’un ancien terrain de chasse au tigre ou de son pelage
que figureraient les îles de l’estuaire vu d’avion, qu’importe ?
Toujours est-il que l’endroit, ré-enchanté par une folie toute argentine
sert de point d’ancrage, si l’on peut dire, à une volubile et délirante
évocation de l’âge d’or holliwoodien. Mais, soulevée par un souffle,
des accents et des outrances extrêmement latino, la voilà plus proche de
la Comedia d’el Arte que de l’Actor Studio.
Un conseil : cinéphiles avertis ne pas s’abstenir ! Et réviser ses
classiques, dont la vie et la carrière tumultueuses de la première "
blonde fatale " de la Metro Goldwyn Meyer pour saisir au vol les
références-éclair qui émaillent rapido cet hommage. Travelo-chic,
articulé autour de Lana Turner et ses doubles oedipiens tourneboulés il
saute du coq à l’âne. Pardon, du Facteur sonne toujours deux fois ou de
Imitation of Life à Mars Attack. Sont tout aussi brouillés dans ce
pastiche déjanté les genres animal/humain, masculins/féminins, les
continents et les " niveaux " de langues. Qui fourchent même, quand la
Reine des Angora Lana T. sous les traits stylés non-stop d’une Arielle
Dombasle capable d’être altière et drôle à la fois, débite un flot
irrésistible d’insanités sans se départir de sa classe suave.
La tête dans un nuage de gaze vaporeuse, comme perchée sur des cothurnes
que sa robe fourreau achève de transformer en paire de " jambes
interminables " -épithète homérique des Stars glorieuses- La Dombasle
ranime la vie glamour et violente dont la bien nommée Lana Turner fut
l’épicentre.
Bigarrée, transgressive dans moultes dimensions du terme, la trame
commune à la pièce et à la BD ne donne pourtant pas lieu à exactement la
même divagation. Si dans cette dernière les personnages prennent la
poudre d’escampette et s’évadent dans l’espace, pour cause de "
dérèglement climatique " toutes fusées dehors, sur scène en revanche,
ils évoluent dans un espace intérieur plus resserré, mais ostensiblement
vaudevillesque. Avec, en arrière-plan un décor plein centre d’une
étrange et poétique fixité, inattendue, fenêtre ouverte sur un autre
spectacle qui tiendrait d’ombres chinoises jouant à cache-cache derrière
les arbres… Mais non, rien à voir, rien ne bouge en cette profondeur de
champ. Tout se joue sur les planches. Au premier plan. Au 1er degré ?
Jeu mélodieux de portes et de fenêtres bien huilés, moulinets de menuets
(un peu trop répétitifs à un moment…) : il y a de l’animation sur
scène. Et dans le livret-BD, bien sûr.
Sur scène, pour 1h30 d’ébats moins oniriques, plus grotesques, que les
Peines de cœur d’une chatte anglaise (puis française) qui firent son
succès et celui de sa mythique troupe TSE sur les scènes du monde,
Alfredo Arias troque ses légendaires félines contre une Angora et sa
cour hermaphrodite. Un spectacle plus loufoque, mais encore un tantinet
merveilleux. Moins fantastique que fantasque. Un moment de bonheur et
d’apesanteur, qui tombe à pic
[Source : www.nonfiction.fr]
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