Au XVIe siècle, la grande majorité des habitants de
l'Hexagone ignoraient le français ! Etonnant quand on connaît la place
marginale octroyée ultérieurement aux autres idiomes : breton, corse...
Mais il y aussi tous les autres : créoles, portugais, arabe, polonais,
yiddish, romani… Une mosaïque détaillée par l’ouvrage «Histoire sociale
des langues de France». Rencontre avec deux de ses auteurs.
C’est la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée par François Ier en 1539, qui a prescrit l’usage du français dans les actes officiels et de justice. Le livre Histoire sociale des langues de France
(qui fait 905 pages !) est le résultat d’un remarquable travail mené
par un collectif de plusieurs dizaines d’universitaires internationaux
et dirigé par Georg Kremnitz, professeur de philologie romane à
l’université de Vienne (Autriche) de 1986 à 2012.
Destiné aux «spécialistes du langage et de la communication» et à un «public motivé», ce livre tente de donner «une vision aussi complète que possible de l’histoire de la communication»
en France. Une histoire passionnante et inattendue ! Qui eût cru que
l’unité linguistique dans l’Hexagone se soit faite si tard ? A tel point
que «jusqu’au milieu du XXe au moins, des interprètes interviennent
devant les tribunaux dans de nombreuses régions pour traduire les
déclarations de justiciables qui ne peuvent s’exprimer en français»…
Dans le même temps, la carte linguistique de la France a évolué avec
l’arrivée dans l’Hexagone de nombreux immigrants : Allemands, Italiens,
Polonais, Maghrébins, Africains, Chinois... Sans compter les Arméniens,
les Ukrainiens, les Russes, les Iraniens…
Georg Kremnitz, professeur de philologie romane à l'université de Vienne (Autriche) de 1986 à 2012 © DR |
Georg Kremnitz, professeur de philologie romane à l'université
de Vienne de 1986 à 2012: «La culture française ne peut que s'enrichir
de nouveaux apports linguistiques»
Pourquoi cet ouvrage ? Et pourquoi a-t-il été rédigé à l’initiative d’un non-francophone ?
Avant cet ouvrage, aucun francophone n’avait pris cette initiative. Il faut dire que l’observation de points délicats d’une société se fait plus facilement de l’extérieur qu’à l’intérieur.
Pour moi, ce projet était urgent et nécessaire. Dans la vie sociale française, les autres langues, que ce soient les idiomes régionaux ou issus de l’immigration, ont été trop souvent négligés. La France délaisse ainsi une partie de ses richesses culturelles. Pour autant, je tiens à dire que le but de ce livre n’était pas de faire un ouvrage militant, mais de dresser un inventaire et de proposer des analyses.
Quel bilan tirez-vous d’un travail qui a duré neuf ans ?
On trouve, dans l’Hexagone, des langues en voie de disparition sociale, comme le flamand. Alors que d’autres font une entrée en force, comme les langues du Maghreb. Si on les considère comme gênantes, on passe à côté de beaucoup de choses. L’Allemagne connaît une situation similaire avec le turc, ou l’Autriche avec les langues balkaniques.
On ne tient pas suffisamment compte de ces éléments culturels qui, conjugués avec des problèmes sociaux, peuvent s’avérer conflictuels. En montrant aux locuteurs de ces langues qu’ils possèdent un capital culturel, on les revalorise dans leurs personnes.
Votre ouvrage fait la liste impressionnante de toutes de langues parlées en France. Est-ce une situation propre à l’Hexagone ?
Nos sociétés européennes se trouvent à peu près toutes dans cette situation, qui est liée à l’immigration. A Berlin, par exemple, on dit qu’on y parle quelque 150 langues ! Ce n’est donc pas un phénomène proprement français. Mais en France, l’idéologie unilinguiste s’exprime plus farouchement qu’ailleurs.
Pourtant, la culture française ne peut que s’enrichir des nouveaux apports linguistiques. Une culture, c’est une somme de continuités et de changements. Si l’on supprime ces apports, ils reviendront par l’inconscient. Dans ce contexte, on peut peut-être faire un lien avec les violences urbaines de 2005.
Pourquoi cet ouvrage ? Et pourquoi a-t-il été rédigé à l’initiative d’un non-francophone ?
Avant cet ouvrage, aucun francophone n’avait pris cette initiative. Il faut dire que l’observation de points délicats d’une société se fait plus facilement de l’extérieur qu’à l’intérieur.
Pour moi, ce projet était urgent et nécessaire. Dans la vie sociale française, les autres langues, que ce soient les idiomes régionaux ou issus de l’immigration, ont été trop souvent négligés. La France délaisse ainsi une partie de ses richesses culturelles. Pour autant, je tiens à dire que le but de ce livre n’était pas de faire un ouvrage militant, mais de dresser un inventaire et de proposer des analyses.
Quel bilan tirez-vous d’un travail qui a duré neuf ans ?
On trouve, dans l’Hexagone, des langues en voie de disparition sociale, comme le flamand. Alors que d’autres font une entrée en force, comme les langues du Maghreb. Si on les considère comme gênantes, on passe à côté de beaucoup de choses. L’Allemagne connaît une situation similaire avec le turc, ou l’Autriche avec les langues balkaniques.
On ne tient pas suffisamment compte de ces éléments culturels qui, conjugués avec des problèmes sociaux, peuvent s’avérer conflictuels. En montrant aux locuteurs de ces langues qu’ils possèdent un capital culturel, on les revalorise dans leurs personnes.
Votre ouvrage fait la liste impressionnante de toutes de langues parlées en France. Est-ce une situation propre à l’Hexagone ?
Nos sociétés européennes se trouvent à peu près toutes dans cette situation, qui est liée à l’immigration. A Berlin, par exemple, on dit qu’on y parle quelque 150 langues ! Ce n’est donc pas un phénomène proprement français. Mais en France, l’idéologie unilinguiste s’exprime plus farouchement qu’ailleurs.
Pourtant, la culture française ne peut que s’enrichir des nouveaux apports linguistiques. Une culture, c’est une somme de continuités et de changements. Si l’on supprime ces apports, ils reviendront par l’inconscient. Dans ce contexte, on peut peut-être faire un lien avec les violences urbaines de 2005.
Quel paysage linguistique se dégage de cet ouvrage ?
Un plurilinguisme que la France a pris en compte en 1999 quand l’INSEE a
ajouté au recensement un questionnaire annexe sur les langues parlées
dans l’Hexagone. Il a été rempli par plusieurs centaines de milliers de
personnes. Pour la première fois, on a pu constater que dans ce pays, il
y a plusieurs centaines de langues, entre celles des régions et celles
de l’immigration, quelle que soit sa provenance géographique. Des
langues parlées par des milliers, voire des centaines de milliers de
locuteurs, ou même des millions comme pour l’arabe.
Pour autant, la France a encore du mal à reconnaître l’existence de
cette pluralité. Dans le passé, il y a toujours eu un déni vis-à-vis des
langues régionales. On estimait que l’enseignement devait se faire en
français et qu’il fallait l’apprendre à ceux qui ne le connaissaient
pas. Le mouvement s’est accéléré au milieu du XXe siècle.
D’où vient ce déni ?
Progressivement, au sortir du Moyen Age, le français a pris la place du
latin comme langue de l’éducation. Le phénomène s’est exacerbé sous la Terreur. A cette époque, la terreur a également été linguistique. L’abbé Grégoire et Bertrand Barrère entendaient alors lutter contre les langues régionales. Barrère voulait installer un instituteur enseignant le français dans toutes les communes de Bretagne où l’on parlait breton.
Tout au long du XIXe, ce discours a été intégré dans l’imaginaire
français. Il a été réactivé à la fin du XIXe, lors du conflit entre
républicains d’un côté, conservateurs et catholiques de l’autre. Les
premiers ont alors repris la thématique de l’unilinguisme. On a assisté à
un renversement à la fin du XXe, quand la gauche s’est mise à défendre
les langues régionales.
Henri Grégoire (1750-1831), plus connu sous le nom d'abbé Grégoire. © AFP - ELK-OPID |
Histoire sociale des langues de France, Presses Universitaires de Rennes, 31€.
[Source : www.francetvinfo.fr]
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